Preneur d'âmes (Le)

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Alors bien sûr, le nom de Frank Herbert est indissociable à tout jamais de son œuvre maîtresse, la gigantesque saga intergalactique que constitue « Dune » et ses déclinaisons multiples - saga que son fils Brian contribue aujourd’hui à poursuivre à l’aide de diverses séries de romans de fort bonne tenue, ma foi. Mais il ne faudrait pas oublier que cet auteur majeur ne s’est pas limité à cet univers où l‘épice est reine, et qu’il a également produit d’autres récits tout aussi recommandables, bien que situés au sein d’autres espace-temps. C’est dans cette lignée d’œuvres annexes mais pas secondaires que s’inscrit ce roman, « Le Porteur d’Ames », qui relève non pas de la science-fiction mais du fantastique (quoique…).

Peu de personnages ici. Deux, en fait : Charles Hobuhet, d’une part, un Amérindien occidentalisé, brillant étudiant de l’Université de Washington et David Marshall, d’autre part, le jeune fils d’Howard Marshall, nouveau sous-secrétaire d‘Etat des USA. Deux êtres que tout sépare a priori et dont le destin se trouve soudainement lié suite au viol de la sœur de Charles par un groupe de délinquants, qui finissent par la tuer.

Une gigantesque chasse à l’homme se met en branle à proximité de la frontière canadienne dès qu’il apparaît évident que Charles - qui se désigne désormais sous le nom de « Katsuk » (le centre de l’univers dans l’idiome de son peuple), un esprit vengeur, authentique et ancien, l’habitant et guidant ses actions - a enlevé David du camp forestier où il venait passer ses vacances. Son objectif ? Sacrifier un Blanc innocent afin de frapper le monde, afin d’envoyer un message qui n’échappera à personne - un sacrifice en échange de tous les innocents massacrés de son propre peuple.

L’emmenant dans son sillage aux tréfonds d’une forêt ancestrale qu’il maîtrise mieux que quiconque, Charles découvre progressivement qu’il éprouve du respect pour ce jeune Blanc, qu’il ne sera pas aussi aisé de disposer de sa vie qu’il l’aurait d’abord pensé. D’autant plus qu’il lui sera nécessaire que sa future victime accepte son sort, qu’elle finisse par comprendre l’utilité de son sacrifice, juste rétribution pour les horreurs perpétrées par ses semblables.

Frank Herbert ne tranche jamais totalement dans ce récit à la linéarité implacable. Il nous laisse dans l’incertitude quant à la nature de la possession de Charles : vraie manifestation d’un esprit vengeur venu réclamer son dû ? démence déclenchée par le sort terrible rencontré pas sa sœur ? Peu importe au final. Ce qui est indéniable, c’est l’ampleur des massacres subis par les populations amérindiennes, la maltraitance passée et présente de ces diverses nations aux mains des Blancs. La colère ressentie par Charles / Katsuk ne saurait être niée, elle a de bonnes raisons d’être. La solution retenue - l’immolation d’un innocent - n’est probablement pas la meilleure, c’est indéniable, mais elle est compréhensible quand elle provient d’un être dont le peuple a été exterminé, d’abord physiquement, puis culturellement.

Ecrit en 1972, ce récit n’a malheureusement rien perdu de son actualité. D’indéniables progrès ont certes été réalisés aux Etats-Unis dans la reconnaissance des torts passés et dans le respect de la légitime différence culturelle des premiers habitants du continent - mais le mal est fait…

Frank Herbert, Le Preneur d‘Ames, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Berthon, illustré par Bastien L, 283 p., Pocket

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