Identification des schémas

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Entre le verbe-sujet-complément-présent narratif de Sulitzer et le Burroughs des machines molles, William Gibson écrit dans une langue froide, saccadée et obsessionnelle, traversée d’images absconses. Les événements décrits dans Identification des Schémas se déroulent dans un ralenti improbable et tendu, où les gestes sont décortiqués, les pensées démembrées, les sensations démontées en minuscules items incompréhensibles.

Gibson écrit comme une webcam. Mais, au lieu d’éclairer le lecteur, la langue fait barrage. L’éloigne, le délaisse. Sans doute, comme l’auteur l’explique en postface, il n’a pas écrit ce livre d’un seul jet, mais l’a abandonné plusieurs fois lui-même. D’où cette impression de perfection maniaque et d’absence cruelle de plaisir. Pendant les soixante premières pages, on songe malgré soi au mot fameux de Cocteau selon qui, il n’y a rien de plus vieillot que les avant-gardes.

Au final, la persévérance est somme toute payante. Identification des Schémas exprime une vision artistique, personnelle et abstraite, dans l’esprit du déroutant Identification d’une femme d’Antonioni. L’esthétique est d’ailleurs le métier de l’héroïne, Cayce Pollard, une spécialiste de la tendance et de la fashion, trimballée de continent en continent, pour des consultations sélectes. Elle est là pour deviner ce que sera l’objet ou l’étoffe de demain. Elle vit dans et pour l’éphémère, tout en étant consciente de la futilité de son existence. Elle essaie au fond d’échapper à une histoire personnelle douloureuse, la disparition de son père dans l’attentat du 11 septembre 2001. Est-elle sur ce point si différente de tous les autres, est-elle si éloignée des considérations de tous ces allumés qui se réunissent sur internet, qui se parlent et ne se connaissent pas, qui se questionnent ? Aujourd’hui se répand sur le web un objet différent, un film diffusé en une centaine de courtes séquences dans le désordre. Par qui, pour quel usage, avec quelle intention ? Tous sont littéralement fascinés. On retrouve là un certain écho de la boîte à empathie, de l’ascension répétée de Wilbur Mercer dans Les Androïdes rêvent-ils de Moutons électriques de Dick. Mais le sentiment de groupe, le sentiment de fusion, n’est pas à l’ordre du jour. Il n’interroge pas. Au-delà de la curiosité élitiste et érudite des happy-few, Cayce se sent impliquée par l’énigme du créateur et c’est pour résoudre ce seul mystère qu’elle va sillonner le monde. Ce qui l’intéresse, c’est de savoir qui a lancé le film, et moins ce qu’il met en scène, ce qu’il représente ou ce qu’il fait ressentir. C’est là la grande différence d’avec la pensée humaniste de Dick. Il y a une quête du sens, fut-il accessoire, fut-il fragmentaire, dans ce roman postmoderne, où les humains devenus otaku se laissent submerger par leurs lubies.

Je ne sais pas si la solitude est obligatoirement ultra-moderne, mais Gibson est persuadé, pour sa part, que l’isolement est la seule preuve que nous ayons de l’existence d’autrui. Un vrai livre du vingt-et-unième siècle, un livre schizophrène !

Interview ici.

William Gibson, Identification des Schémas, traduction de Cédric Perdereau, éditions Au Diable Vauvert

Initialement paru dans Phenix Mag n°0

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