GEVART Pierre 01
Cher Pierre Gévart, avant de commencer cette interview, j'aimerais, tout simplement, que tu te présentes. D'où viens-tu ? Parle un peu de ton enfance et de ta jeunesse.
Dès le début ? Tu ne me laisseras donc aucun mystère ? En te répondant, me voici obligé de figer par écrit la légende. Allons, donc, tant pis, s’il le faut. Je suis né en 1952, un jour de mai, à Valenciennes, dans le Nord de la France, juste au sud de ta Belgique, d’où venait d’ailleurs ma famille. J’ai grandi auprès d’un père héroïque : un de ces techniciens de radio et de télévision comme il en exista pendant deux générations, capable de visualiser sur un simple schéma les flux électroniques, comme un musicien entend sa partition, et de te réparer n’importe quelle machine dotée d’un paquet de résistances, de condensateurs, de diodes, de tubes électroniques et même de transistors. L’arrivée des transistors et des semi-conducteurs fut un défi relevé sans problème, mais les circuits intégrés détruisirent la magie. Ma mère exerçait un autre type de magie : elle était institutrice – on disait encore maîtresse d’école. J’ai eu une enfance plutôt heureuse, mais solitaire : ni frère ni soeur, l’enfant unique, fils d’enfant unique. Cela m’a forcé très tôt à exercer mon imagination, m’a donné le goût de la lecture et l’envie, réalisée, d’avoir cinq enfants...
Tu es très polyvalent. Parle-nous quelques instants de ta carrière professionnelle, hors SF.
Il y aurait donc une vie hors de la SF ? Eh bien j’ai fait des études techniques, parce que mon père l’entendait ainsi, et j’ai obtenu un CAP de dessinateur industriel. Plus tard, j’ai raté, délibérément sans doute, mon bac E, ce qui m’a permis d’échapper à une école d’ingénieur. J’ai obtenu un bac D, je suis devenu géologue, me suis lancé, pour vivre, dans l’enseignement, ai décroché un peu par hasard une agrégation de sciences naturelles, ce qui m’a donné le goût des concours et amené presque naturellement à intégrer l’École nationale d’administration, et donc à devenir un de ces énarques « d’où venait tout le mal » ! J’ai été sous-préfet, directeur d’établissement public, inspecteur général, enfin bref, toutes ces sortes de choses qu’on fait quand on sort de cette école-là. Et le temps de la retraite approche maintenant.
Maintenant, dis-nous comment t'est venu ce goût, cette passion même, pour la science-fiction ?
L’enfant unique dont je parlais, et qui aimait lire, a découvert Jules Verne dans la bibliothèque verte et parallèlement ses premiers récits de science-fiction dans des collections populaires. Puis, il y eut Van Vogt et ce carton de Services de Presse du Fleuve Noir que me donna un ami de mes parents, par ailleurs fils du colonel Rémy, héros de la résistance et écrivain, et dont je ne retins que deux titres : La septième saison, de Pierre Suragne, et Le disque rayé, de Kurt Steiner. Deux auteurs que je suis encore ébloui de rencontrer aujourd’hui. Dans le même temps, avec ma mère, nous regardions cette merveilleuse série qu’était la Quatrième dimension (Twilight zone), sur notre chaine unique en noir et blanc. Je crois que tout est parti de là.
Commençons par ton parcours d'auteur. Romans et nouvelles s'échelonnent rapidement. Comment cela s'est-il passé ? Et comment as-tu pénétré dans le monde de l'édition ?
Difficilement ! Si écrire me sembla toujours une évidence, personne ne m’a donné les clefs, et il m’a fallu attendre l’âge de quarante ans pour arriver enfin à une première publication sérieuse, dans le mensuel pour jeunes adolescents « Je bouquine ». Deux années plus tard, Philippe Hupp me publiait chez Fleuve Noir, sous le nom d’Hugo van Gaert. Parallèlement, je publiai aussi deux premiers romans de littérature « blanche ».
Avant de passer à l'homme « public », parle-nous de tes ouvrages et de ceux qui te tiennent les plus à cœur. Et de tes thématiques favorites, en ta qualité d'auteur de SF.
Celui de mes ouvrages qui me tenait le plus à cœur était et est toujours « Sommeil des Dieux », un gros roman écrit au sens propre dans la fièvre (une hépatite virale, au Maroc) : plus de huit cents pages en dix-huit jours et en perdant un kilo par jour ! C’était en 1979 et il s’appuyait sur une nouvelle écrite à dix-sept ans. Pour Philippe Hupp, qui voulait publier le cycle, je l’ai retravaillé et il est devenu multiple. Puis Hupp est parti et j’ai continué à travailler sur le texte, dont le premier volume est enfin sur le point de sortir, chez Atria, en novembre 2014 ! Mais à dire vrai, il en va des livres comme de mes enfants : je les aime tous également !
A Amiens, le public a pu assister à une de tes pièces, ayant pour sujet l'improbable rencontre entre Jules Verne et H. G. Wells. Quelle est la place du théâtre dans ton œuvre ?
Pas si improbable. L’improbable, ou plutôt l’incroyable, est que cette rencontre n’ait jamais eu lieu. Quant au théâtre... J’en ai joué, j’ai écrit plus de trente pièces, plusieurs montées, et mes deux filles sont comédiennes. Le théâtre fait partie de ma vie. C’en est même une part essentielle.
Petite question pour toi qui est dans le monde de la fonction publique : la SF modifie-elle ta vision de la société, en d'autres mots, ta SF est-elle parfois politique ?
La SF n’est intéressante que si elle est politique. Ma pratique, mon expérience, mon histoire m’apportent beaucoup, en ce sens. Par exemple, en m’obligeant à éviter la caricature. Trop d’auteurs (je veux parler des débutants, surtout), n’utilisent que les stéréotypes. Leurs dirigeants sont des salauds sans âme, leurs militaires des imbéciles galonnés, leurs financiers des machines inhumaines, leurs prêtres des ordures hypocrites, point barre. Mais tous ces gens sont d’abord de l’humain, avec leurs idées, leurs systèmes de pensées qui justifient leurs actes, leurs scrupules, leurs sentiments. Ils ne sont pas tous mauvais et quand ils le sont, c’est cela qui est terrible : ce que Hannah Arendt appelait « la banalité du mal », à propos du procès d’Eichmann. Et je pense sincèrement que mon expérience dans ces différents milieux m’a appris au moins cela. J’ai écrit une pièce, « Créon », qui est l’histoire d’Antigone du point de vue du Tyran. Ça n’en fait pas un saint, ça n’en fait pas un héros, toutes ses fautes, ses erreurs, ses horreurs lui sont laissées. Mais ça rappelle que malgré tout Créon est un de nos frères humains et que chacun de nous un jour peut devenir Créon...
Venons-en à un tournant de ta carrière : la reprise de la revue Galaxies. Comment cela s'est-il déroulé et quels ont été tes principes directeurs ?
Je ne sais pas si c’est un tournant de ma carrière, mais c’est quelque chose qui compte, en effet. La chose est arrivée simplement, à Nantes, en 2007. Je venais d’organiser la Convention nationale française de 2006, et j’avais créé Géante rouge, un fanzine qui arrivait à sa centaine d’abonnés et dont on disait parfois du bien, notamment dans Galaxies. Le dit Galaxies (ou la dite, puisque c’est une revue) venait de disparaître dans les conditions que l’on sait et Stéphanie Nicot en avait fait le récit public en appelant à la reprise du titre. Personne n’avait relevé le défi. Quant à moi, j’avais raté la conférence et j’étais lancé dans une conversation avec Alain Damasio, que j’avais reçu dans Géante rouge et Ketty Steward, quand Stéphanie arrive en lançant, un regard appuyé dans ma direction : « Je cherche quelqu’un pour reprendre Galaxies ». Le temps d’aller solliciter l’avis et l’autorisation de Nicole, mon épouse depuis désormais plus de quarante ans, car je me doute bien qu’une affaire comme cela va retentir sur notre vie à tous deux, et je reviens vers Stéphanie pour lui donner mon accord. A Sèvres, en décembre, nous nous isolons pour mettre au point la reprise. Il est bien entendu dès le début que le but n’est pas de jouer l’homme de paille, mais de continuer ce que j’ai commencé dans Géante rouge : découvrir des auteurs, explorer des domaines et j’y ajoute rapidement, aller à la rencontre des cultures SF du monde. Sur le plan pratique, j’ai décidé aussi d’honorer tous les engagements pris par l’ancien Galaxies, à savoir les abonnements, que j’ai servis sans faute jusqu’au dernier numéro, sans aucune compensation financière. Et malgré les bordées d’injures et de critiques (dès l’annonce de la reprise, le soir même du 20 décembre), nous voici au n° 31, avec trois spéciaux à ajouter...
Et quelle est la place de ton premier enfant, le fanzine Géante rouge, dans ce nouveau cadre ?
Je me suis posé la question. Finalement, Géante rouge a survécu. Au début sous la direction de Frédéric Gévart, mon fils mais également écrivain. Plus tard, Patrice Lajoye a repris le flambeau et le tient toujours. Périodiquement je me suis demandé s’il ne convenait pas de transformer Géante rouge en un des numéros annuels de Galaxies. Mais ce n’est plus d’actualité !
Avec la déferlante internet, quel est l'avenir d'une revue papier de SF ? Quelle est la situation actuelle dans ce domaine, tant en francophonie qu'à l'étranger ?L’avenir est dans le numérique : déjà dix pour cent de nos abonnés ont basculé. Nous avons trois éditions numériques : une en PDF, une en ePub et une en Mobipocket/kindle. Elles sont en couleurs et j’essaye d’enrichir le contenu par des chroniques ou des nouvelles en plus. L’avenir est là, bien entendu, même si je maintiendrai une édition papier, quoi qu’il arrive.
Dernière partie – et non la moindre – de tes activités publiques : les organisations de conventions SF. Tu en as conçues trois, deux chez toi, à Bellaing, en 2006 et 2009 et une l'an dernier à Amiens. Qu'est-ce qui te passionne tant dans ces conventions, dont l'organisation doit te prendre énormément de temps ?
Le fait d’organiser, de rencontrer, la prise de risque aussi. Et je viens de poser la candidature d’Amiens et de Galaxies pour une quatrième convention, en 2018, qui serait aussi une convention européenne dont j’ai déposé la candidature à Dublin, cet été 2014.
Abordons à présent le recueil Dimension Pierre Gevart qui fut l'occasion de cette interview. Tu l'as préparé toi-même et, pour te citer, tu écris : « J'ai donc finalement opté pour un non classement, ou plutôt un classement comme cela me chantait, ce qui ne veut pas dire au hasard ». Peux-tu expliciter un peu l'ordre des nouvelles ?
Une fois la première choisie « Comment les choses se sont vraiment passées ? », j’ai simplement butiné de l’une à l’autre, en essayant de suivre ma propre logique. Au jugé, en quelque sorte. Celle-là a une importance : elle a remporté le prix Infini en 2001 et c’est ce qui m’a permis de rencontrer enfin le milieu, de m’y insérer, de m’y rendre utile. Et puis, elle a une carrière internationale. Ian Watson l’a retenue (seule nouvelle étrangère) dans son Mammoth Book of Alternate Histories, sous le titre « Einstein’s gun », puis, elle a été traduite en russe, deux fois : la première à partir de la version française, dans le défunt magazine Iesli, et la seconde à partir de la version anglaise, avec l’ensemble des nouvelles du volume. Et l’an dernier, au Kazakstan, j’ai eu la surprise d’apprendre qu’une troupe de théâtre d’Astana en avait entrepris la mise sur scène. Le théâtre, encore.
Comment les choses se sont vraiment passées et Milioukov à la Loubianka sont deux uchronies, et très réussies. As-tu une affection particulière pour ce genre ?
Plutôt, oui. C’est un exercice intellectuel passionnant. Même s’il révèle aussi une perte d’espoir en l’avenir. Je suis actuellement en cours de travail sur des uchronies. Mais je n’en dirai pas plus, il est encore trop tôt.
Le second texte cité a pour cadre une Union soviétique un peu décalée. Es-tu russophile ? Quels sont tes liens avec la Russie ?
On en revient à mes fonctions officielles : je suis en effet expert international et à ce titre, je participe à des missions de coopération administrative avec de nombreux pays, dont la Russie. Au total, j’ai dû y passer plus de trois ou quatre mois. C’est un pays que j’aime beaucoup, très riche de culture et d’histoire. D’ailleurs, bien avant cela (j’avais dix-huit ans), j’avais noué une relation personnelle avec Pavel Popovitch, un cosmonaute russe disparu il y a quelques années. Il m’avait encouragé à faire des études de géologie pour avoir des chances d’aller un jour dans l’espace. Et j’ai fait une partie de ce chemin : j’ai été candidat quand la France a sélectionné ses premiers spationautes et j’ai même franchi la première étape : celle de la présélection. Malheureusement, l’hépatite à laquelle je faisais plus haut allusion m’a empêché de me rendre à Toulouse pour la sélection et je n’ai pas été plus loin. Et puis, la Russie est un pays où je me sens bien, voilà tout.
Les nouvelles signées de ton pseudonyme Hugo van Gaert sont souvent plus courtes que les autres. Y a-t-il une raison ?
Oui, il y en a une, et une bonne ! En 1982-1983, j’ai animé une émission radiophonique consacrée à la science-fiction, sur une des nouvelles radios libres autorisées par la gauche, arrivée au pouvoir en 1981, avec François Mitterrand. J’y mêlais interviews, musique et lectures de textes. Alors, je me suis mis à en écrire un nouveau chaque semaine. Il fallait que ce fut court, pour ne pas fatiguer les auditeurs. J’en ai écrit comme cela une centaine en deux ans.
Je suppose que tu as dans tes tiroirs au moins encore 29 autres nouvelles : un second recueil est-il prévu ? Et, question-bateau : préfères-tu le roman ou la nouvelle ?
Et bien plus encore que 29 ! On verra s’il y aura ou non un ou d’autres recueils. Cela dépend aussi de la réception du premier, de la décision de l’éditeur, etc. Mais quant à ta seconde question, je te l’ai dit : je n’ai d’autre préférence que celle qui va au texte que j’écris au moment où on me pose la question et quelle que soit sa forme.
Conclusion habituelle mais gaie à répondre Quels sont tes projets : un nouveau roman, une nouvelle convention, ou encore autre chose, car tu es actif dans tant de domaines !
Plein de projets, dont j’ai laissé poindre certains dans les réponses à tes questions précédentes. Mais j’ajouterai le retour vers le théâtre, avec en particulier la reprise de la revue Répliques, que j’avais dirigé pendant neuf numéros avant de lancer Géante rouge.
Merci, Pierre.
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