Symphonie des spectres (La)

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John Gardner est l’auteur du remarquable Grendel, dans lequel le monstre de la légende nous présente sa version de l’histoire et sa philosophie, présentée donc pour justifier ses actes. Il en devient sinon totalement sympathique, au moins compréhensible et, même, peut-être objet d’empathie de la part du lecteur.

Or la démarche de John Gardner dans ce livre est tout à fait inverse : dès la préface, il nous prévient qu’il éprouve pour son héros l’antipathie la plus complète et que celui-ci mérite les avanies qu’il va connaître ; qu’il s’excuse envers les habitants de Susquehanna d’avoir donné de leur ville un portrait plus sombre que la réalité, et que la faute est à ajouter aux défauts du personnage. Donc le roman va raconter la descente aux enfers du professeur Mickelsson, ou, plutôt, l’arrivée au bout de cette descente entamée avant le début du roman avec le départ de son épouse et le début des poursuites contre lui des services des impôts à propos d’impayés dont, apparemment, la dite épouse est responsable. Il a perdu un bon poste de professeur de philosophie à l’Université de Philadelphie et n’a plus rien publié depuis des années. Enseignant à Bloomington, il n’a pas développé ses relations avec ses nouveaux collègues et ne supporte plus l’appartement qu’il a loué. La recherche d’un autre appartement l’amène à acheter une maison qu’on dit hantée à Susquehanna. A cause de son manque de volonté, de sa procrastination et d’incidents divers, il ne parvient pas à profiter de cette occasion de prendre un nouveau départ. Différents incidents semblent liés aux fantômes qu’il commence à voir, sans compter ses propres fantômes, le fait d’imaginer des interlocuteurs quand il est seul.

Le titre original du roman est « Les fantômes de Mickelsson » (Mickelsson’s Ghosts)... Et d’autres incidents sont liés à un mystère attaché à la maison, qui va peu à peu s’épaissir et provoquer la crise qui marque la fin de la descente aux enfers du héros...

Le roman est long mais on ne le lâche pas : John Gardner multiplie les digressions, attache plus d’importance aux réflexions, aux hésitations, aux divagations de son héros qu’aux évènements, jusqu’à l’éclatement qui apportera la révélation de plusieurs mystères. Et va, peut-être, donner à Mickelson l’impulsion nécessaire pour, enfin, repartir de l’avant.

D’une certaine façon, Mickelson est une auto-caricature de l’auteur qui, au moment où il écrit, traverse lui aussi une mauvaise période. S’il appelle le lecteur à détester son héros, c’est parce que Gardner lui a confié un rôle de bouc émissaire, de porteur des défauts qu’il soupçonne en lui-même et qu’il décrit, grossis, pour mieux les chasser de lui-même. Ce livre énorme a certainement été pour son auteur une forme de catharsis. La mort a empêché Gardner d’en tirer tout le profit attendu. De là ce roman que, plutôt que de fleuve, je qualifierais d’inondation... Bourré de réflexions philosophiques qu’il a fallu retravailler pour cette réédition, afin de ne pas les trahir, et qui donnent à réfléchir au-delà des objets de l’intrigue ou des descriptions psychologiques.

Et, en fin de compte, je dois dire que, peut-être parce que ces réflexions et ces descriptions m’ont paru assez justes d’une part et m’ont aussi rappelé des situations vécues (sans aller jusqu’à une similitude profonde, j’ai certains traits communs avec le héros ou avec l’auteur et dans certains cas je me suis dit que j’aurais aimé être capable de certains actes, ceux de bricolage entre autres), je termine le livre avec une sympathie pour son héros bien supérieure à ce que me laissait attendre la préface.

La symphonie des spectres par John Gardner, traduit par Philippe Mikriammos, 787p. avec la postface de Fabrice Colin, Denoël 2012, 29€50, ISBN 978-2-207-10902-1

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