Fileuse d’argent (La)

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Il y a dans ce livre plusieurs fils plus ou moins entremêlés.

 

Le premier qui m’a sauté aux yeux est une description, assez précise, de la situation des Juifs dans la Russie du Moyen-Âge, survivant comme ils peuvent face à la haine de tous et aux brigandages des Staryk. Au début, on pourrait presque prendre les Staryk pour une représentation des Chevaliers Teutoniques, qui effectivement pillaient les pays qu’ils occupaient. L’héroïne principale, Meryem, est la fille d’un prêteur juif, trop gentil pour aller réclamer l’argent qu’il a prêté. Quand sa mère malade n’a même pas de quoi payer les soins, elle s’empare des livres de comptes et va, à la place de son père, réclamer l’argent qui leur est dû. Elle sauvera ainsi toute sa famille de la misère ; elle engagera la fille d’un débiteur, Wanda, deuxième héroïne du roman, pour aider ses parents à tenir la maison, puis, ayant attiré l’intérêt du Roi des Staryk, ira à la ville proche « transformer l’argent en or » en faisant fondre des pièces d’argent en bijoux et en les vendant au seigneur local. C’est ainsi qu’elle rencontre la troisième héroïne, Irina, la fille du duc.

Bien entendu, tout de suite apparaît la part de féérie du roman : les Staryk sont, en fait, tous les habitants d’un autre monde, un monde d’hiver permanent, et pas seulement les chevaliers pillards qui viennent dans notre monde où d’ailleurs existent aussi magie et démons. Meryem va découvrir cet autre monde et passera de la haine des Staryk à la compréhension, à la volonté de les aider...

 

Le deuxième thème, c’est la libération de chacune des trois héroïnes de leurs chaînes respectives. Wanda, fille de ferme miséreuse et soumise à un père alcoolique et violent, lutte pour sa survie et celle de ses deux frères, surtout après que son ainé, pour les défendre, ait tué ledit père. Et Irina, mariée de force par son père à un tsar connu pour sa cruauté et possédé par un démon, va, avec l’aide des bijoux en argent Staryk vendus par Meryem, essayer de se libérer de ce démon...

 

Et le troisième, c’est le monde des Staryk, avec ses lois d’honneur et son économie qui interdit la dette ou le prêt, cest-à-dire la non-équivalence immédiate de la vente et de l’achat dans toute relation. Il faudra longtemps à Meryem pour s’adapter à ces règles et pour obtenir de partager sa vie entre les deux mondes.

 

Un livre complexe, mais un « page turner », où le fait que le roman passe sans cesse d’un acteur à un autre, tous parlant à la première personne d’eux-mêmes, mais le lecteur comprend immédiatement qui est le nouveau narrateur. Par contre, heureusement, les épisodes se suivent dans l’ordre chronologique, avec parfois un court retour en arrière pour revivre avec de nouveaux yeux une scène antérieure.

 

Bref un livre écrit d’une manière tout à fait actuelle, au point qu’on ressent parfois la pensée américaine contemporaine dans le choix des mots ou la tournure des phrases, et qu’on s’en fiche, que cela ne fait pas anachronisme.

 

Et, comme je l’ai dit plus haut, un livre qui, à répétition, nous rappelle la vie juive telle qu’elle est, jusqu’au texte translittéré d’une prière.

 

Prix Locus 2019, mérité.

 

La fileuse d’argent, de Naomi Novik, traduit par Thibaud Eliroff, J’ai Lu n°13226, 2021, 542 p., 8,90€, ISBN 978-2-290-23270-5

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