Fidèle à ton pas balancé
Depuis trois décennies Sylvie Lainé apporte sa pierre à l’édifice de l'Imaginaire et de la science-fiction en particulier. Même si elle n’a pas commis de roman et préfère écrire des nouvelles, elle représente une auteure majeure de la science-fiction francophone. À la différence d’autres, elle a suscité l’intérêt et la passion à travers des textes courts. Et le temps passant, elle a toujours suivi une voie qui lui était propre, pas influencée par les autres auteurs.
Lire une de ses nouvelles est toujours un vrai bonheur. Et Fidèle à ton pas balancé reprend 26 textes qui ont amené les lecteurs dans d’autres contrées de l’univers. On lui doit quatre recueils de nouvelles édités par ActuSF :
- Le miroir aux éperluettes
- Espaces insécables
- Marouflages
- L’opéra de Shaya
Ces quatre recueils sont entièrement repris dans cette nouvelle anthologie, et même complétés par sept nouveaux textes. J’invite le lecteur à retrouver les chroniques précédentes pour les quatre recueils sur mon blog ou sur Phénix Mag.
Dans cette chronique, je vais davantage me focaliser sur les nouveaux textes :
Mélomania – Cette nouvelle aborde le domaine du remplacement d’organe humain. Lorsqu’on a un frère qui est devenu manchot après un accident de voiture, rien de plus facile que de se faire pousser un autre bras sur son propre corps, pour ensuite le faire greffer chez le frère. Le problème c’est que le bras et la main sont devenus des virtuoses du clavier, et que l’idée de s’en séparer est hors de propos.
Sirius m’était compté – Et si votre chien préféré était recréé tous les jours ? Vous payez 30 jours de clonage et on vous fait une promotion de 40 jours. Soit 10 jours de bonus. De plus, vous pouvez étaler ces 40 jours sur une période plus longue. Le seul problème, c’est que ça vous coute la peau des fesses.
Le printemps des papillons – Et si on utilisait des papillons comme moyen de communication, en inscrivant des messages sur leurs ailes ?
Le karma du chat —La domotique est très présente dans cette nouvelle, au point que les objets de la maison décident eux-mêmes de ce qu’ils vont faire, jusqu’au chat qui n’est pas tout à fait naturel. La quiétude laisse soudain la place à une sorte de chaos orchestré par des intelligences artificielles, que les propriétaires n’arrivent pas à maitriser. Cette nouvelle est pleine d’humour et devrait faire prendre conscience que la domotique risque à terme de connaitre des dérives. Très amusant comme nouvelle.
Temps, bulle et patchouli — Sous une bulle représentant un modèle réduit, on assiste à la création de l’univers.
Toi que j’ai bue en quatre fois — Se faire le grand flash éroticomane, c’est tout un programme ! Quatre éprouvettes contenant des liquides de différentes couleurs vont permettre de faire un trip érotique qui va s’étaler sur deux heures. En fait, chaque couleur a une signification particulière. Pas mal comme nouvelle. On aurait presque envie que les quatre fluides existent.
Petits arrangements intergalactiques (Verso) – Cette nouvelle est le pendant de Petits arrangements intergalactiques. La différence, c’est que l’histoire est racontée du côté Groc plutôt que du côté humain. Si la communication (ou l’absence de communication) est au cœur de cette nouvelle, elle n’en reste pas moins originale et cocasse.
Parmi les autres nouvelles précédemment publiées, plusieurs d’entre elles m’ont marqué. Je pense à : La bulle d’Euze, Un signe de Setty, Carte blanche, Les yeux d’Elsa, L’opéra de Shaya, Un amour de sable. Nouvelles parfois sensibles, parfois surprenantes, parfois amusantes.
Petits arrangements intergalactiques et sa suite (Verso) mérite aussi une attention particulière, car les deux nouvelles racontent la même histoire vue par des personnages différents.
Comme d’habitude, dans les nouvelles de Sylvie Lainé, on va à l’essentiel des personnages, des lieux ou des situations dans lesquels ceux-ci se retrouvent. La technologie est présente, mais sans ennuyer les lecteurs avec des détails qui n’apporteraient rien de plus à l’histoire. Chaque nouvelle provoque le dépaysement. Une situation simple et évidente peut se transformer en situation complexe et dangereuse.
La prose de Sylvie Lainé ne m’a jamais laissé indifférent, au contraire. J’ai aimé la lire tout au long de ces années et si j’ai pris gout à lire des nouvelles, c’est grâce à elle. Comme je l’ai dit précédemment, Sylvie Lainé apporte une note de littérature à la science-fiction, rendant le genre encore plus ouvert à des lecteurs qui osent sortir des sentiers battus.
Le titre du recueil correspond à la dernière nouvelle du livre. Si je trouve le titre original, ce n’est pas nécessairement ce titre que j’aurais choisi, mais plutôt Le chemin de la rencontre, car des rencontres, on en fait à chaque nouvelle. C’est même le moteur essentiel de chaque nouvelle. Que ce soit des rencontres entre humains ou avec des extraterrestres, elles sont toujours au cœur de chaque texte. Parfois elles nous surprennent, parfois elles nous font sourire. Dans tous les cas, elles sont empreintes d’une certaine sensibilité qui se ressent au fil des pages.
À noter que dans Fidèle à ton pas balancé, on a droit à une préface écrite par Sylvie Lainé, alors que dans les quatre recueils précédents c’est Jean-Claude Dunyach, Catherine Dufour, Joëlle Wintrebert et Jean-Marc Ligny qui l’ont rédigée. Je ne veux pas dire par là qu’elle boucle son œuvre, mais que cette anthologie mérite une préface de sa part.
On pourrait me reprocher que cette chronique est plus subjective que mes chroniques précédentes. Si c’est le cas, je l’accepte volontiers, car Sylvie Lainé est vraiment une auteure majeure de la science-fiction, qui mérite que je lui apporte une attention plus particulière. Comme je l’ai d’ailleurs cité sur un autre média, lire Fidèle à ton pas balancé c’est un peu comme boire un grand vin. On prend son temps pour le déguster et pour apprécier tout son arôme.
Je dirai donc aux lecteurs qui veulent connaitre l’œuvre de Sylvie Lainé ou aux amateurs avertis qui veulent approfondir son univers de lire ce recueil de nouvelles qui reprend trois décennies d’écriture. C’est une perle qu’il faut avoir dans sa bibliothèque et qu’il faut évidemment avoir lue.
Interview de Sylvie Lainé ici
Fidèle à ton pas balancé, Sylvie Lainé, ActuSF, 2016, 484 pages
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