Felicia
Lorsque le corps de Martin Lughaids, SDF délinquant fiché depuis une vingtaine d’années, est retrouvé carbonisé au fond d’un squat dans les bois, Berkrieff et sa supérieure Orgenasse s’attendent à une simple enquête de routine. Excepté que sur les lieux du drame, on retrouve une arme dérobée, et surtout une empreinte correspondant à Hélène Chalmain, l’héritière d’un gros industriel local. Hélène a disparu sans laisser de traces depuis cinq ans. A l’époque, son père avait refusé la thèse du départ volontaire et poussé le prédécesseur de la commandante Orgenasse à mener une enquête poussée. En vain. Hélène n’ayant pas officiellement été déclarée décédée, c’est son oncle qui gère la société familiale en attendant son retour… ou pas.
Ce que la police ignore, c’est que Lughaids n’était pas seul dans son campement de fortune. Lentement, patiemment, il a aidé et soigné une jeune femme laissée pour morte, sans mémoire, Félicia. Une jeune femme qui se retrouve embauchée illégalement dans un bistroquet du coin, ayant pour seule fortune un sac avec quelques affaires et un bocal en verre rempli d’argent. Toutes ses économies. Une jeune femme hantée par une double personnalité, un démon personnel, Sluagh, qui la pousse dans ses derniers retranchements. Mais lorsqu’un petit journaliste de quartier croit voir en elle le visage de l’héritière, elle disparait sans crier gare.
En un peu plus de 16 ans et 21 titres, Nick Gardel s’est construit une œuvre unique, où les personnages et l’histoire sont toujours étroitement mêlés et d’importance égale. Une observation fine, amusante ou tragique, de la société qui nous entoure, sans fioritures mais toujours avec le mot qui fait mouche, la comparaison qui interpelle le lecteur, le dialogue ou le monologue qui titille. Un peu comme le faisait Frederic Dard à ses débuts, avant que son fameux commissaire ne devienne surtout qu’un prétexte à des situations improbables et de l’argot à chaque page. De l’humour, il y en a souvent chez Gardel, souvent à double sens, le jeu de mots n’est jamais loin comme le double sens des noms.
Ses derniers romans avaient donné lieu à une certaine métamorphose : plus de tragique, moins de légèreté, mais toujours dans la satyre sociale, avec des personnages magnifiques dans leur déchéance et dans leur côté paumé. Encore ici, on n’y échappera pas, en particulier Josif et Issa. Plus le méchant est réussi, meilleur sera le film, disait Hitchcock. Chez Nick Gardel ce sont aussi les personnages aux vies ratées qui sont réussis. Et cette ambiance que je ne retrouve chez aucun autre auteur, mais qui me fait penser immédiatement à celle des films de Melville, Giovanni, Corneau ou Deray.
Félicia à ce titre est un roman noir. Un vrai, un pur, un dur. Sans doute le plus polar de ce qu’a pu écrire Nick Gardel. Un instantané de vie brisée tournée en monochrome, et quelques taches de couleur pour apporter au final un peu d’espoir. Sans doute le plus réussi de tous ses livres, même s’il est difficile de savoir à quoi s’attendre avec lui. En tout cas, comme toujours, un livre qui se doit de figurer sur le haut de votre pile de lecture.
Felicia par Nick Gardel, Friends only