Fantômes se lèvent toujours à l'Est (Les)

Auteur / Scénariste: 

Imaginez que je supprime votre nom, puis votre prénom, de manière à vous soulager un peu de ce qui compose votre identité. Imaginez encore, si vous poursuivez cette lecture, que pour affiner cette déshumanisation je vous désigne par un numéro, disons le 338, et que je vous inocule par injection sous-cutanée une maladie amusante – une peste, le typhus, le tsutsugamushi – ou bien un poison quelconque comme la toxine de fugu. Faisons tout cela, donc. On noterait alors sur une feuille de suivi les évolutions de votre consomption, l'affaissement des organes, le déchirement des tissus, cet œil gauche qui tombe un peu. On documenterait votre propre mort pour définir la meilleure manière de la donner à d’autres. Vous venez de lire, sommairement, quelques-unes des horreurs commises par l'armée impériale japonaise en Mandchourie occupée (1932-1945) sur les populations locales, chinoises ou coréennes. Des crimes impunis, encore aujourd'hui. Yuèliàng était l’une de ces innombrables victimes de la sinistre Unité 731. Revenue dans le monde des vivants par l’entremise de Martin Geist, le jeune homme qui fuit les morts, Yuèliàng prépare sa vengeance. De Berlin à la Sibérie, un voyage vers l'Est, une errance sentimentale et fantastique à la découverte de deux mondes qui entreront violemment en collision dans l'irréel.

 

J'ai déniché cet OVNI littéraire au salon des Aventuriales de Ménétrol, festival dédié aux littératures de l'imaginaire. J'y trouve toujours des livres qui sortent du tout-venant et je n'ai jusqu'à présent jamais été déçue. L'auteur, dont c'était le premier salon, a su m'intriguer malgré sa timidité manifeste et j'ai acheté le roman. Bien m'en a pris !

Emmanuel Gallant nous emmène dans un voyage à travers le monde et à travers le temps, en compagnie de deux héros cabossés, fragiles, ruminant chacun leur vengeance sur le monde et le mal qu'il leur a fait.

Il y a d'abord Lune (Yuèliàng), victime des horreurs commises pendant la Seconde Guerre mondiale par l'unité 731. Ces passages sont forts, troublants et lèvent le voile sur un pan d'histoire très peu connu en Occident. Lune est fermement décidée à punir les responsables du meurtre d'innombrables civils, y compris sa propre famille. Errant en tant que fantôme, Lune cherche la personne qui lui permettra de parvenir à ses fins, dans un clin d'oeil à Death Note.

Il y a aussi Martin, ado lunaire mal dans sa peau, incompris, orphelin, amoureux malheureux. Incapable de s'intégrer, Martin erre aussi à sa façon, dans une existence dont il ne maîtrise pas les codes.

Leurs deux histoires se promènent dans les pages, comme deux bulles indépendantes, on se demande quand et comment elles vont se rencontrer. Peu à peu, les bulles se frôlent, se touchent, jusqu'à s'imbriquer l'une dans l'autre et fusionner. Pour le meilleur et pour le pire.

Emmanuel Gallant maîtrise parfaitement son intrigue et n'hésite pas à laisser le lecteur sur le fil par moments, avant de rebondir sur une révélation ou une action qui laissent sans voix. À plusieurs reprises, il pourrait choisir la facilité scénaristique, mais il ne le fait jamais. Au contraire, il tricote une trame exigeante, puissante, jusqu'à un final éblouissant et audacieux.

C'est cultivé, documenté, intelligent, passionnant et très bien écrit (même si la concordance des temps est régulièrement malmenée).

L'aspect fantastique se fond avec aisance dans le propos, je pense que ce roman pourrait plaire même à ceux qui ne sont pas friands du genre.

Les fantômes se lèvent toujours à l'Est est une belle réussite, un premier roman qui promet une jolie carrière à Emmanuel Gallant ! Un coup de coeur pour moi.

 

Les fantômes se lèvent toujours à l'Est d'Emmanuel Gallant, éditions Ex-Aequo, ISBN 979-10-388-0358-9, 22 €

Type: