Facteur (Le)

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Le facteur ici, c’est bien sûr un postier, comme celui que joue Kevin Costner dans le film tiré du livre et qui s’intitule précisément « The postman" » Mais pas seulement : en fait, ce n’est d’ailleurs pas un postier de métier à l’origine mais un comédien ambulant du nom de Gordon Krantz, que la découverte fortuite d’une livraison de lettres abandonnées incite à endosser l’uniforme, et du coup le rôle social, du facteur. Commence alors un périple plein de pérégrinations en terre hostile d’après-guerre. Quelle guerre ? Celle qui aura consumé notre civilisation actuelle, à une époque que ni vous ni moi n’avons donc encore connue. Ce facteur est un postier anachronique, car on peut supposer que, demain, le service postal aura disparu – l’absence de fonction tuant l’organe –, remplacé par la technologie. Il faut imaginer cet employé-là comme une résurgence d’un système obsolète, parachuté dans le futur. Un drôle de futur du coup : on se croit dans un couloir de passe-passe temporel allant et venant entre un monde à la « Mad Max » et le bon vieux western. Alternent dans ce paysage post-apocalyptique, des emblèmes du passé américain – colts, bannière étoilée, banjo, harmonica, chevaux, sheriff – et d’autres caractéristiques de notre époque occidentale high-tech – convertisseur paramétrique, ordinateurs, jeux video. Bref, autant d’éléments qui font... très vrais pour le coup, historiquement parlant. Nous parlerait-on donc de nous au demeurant? Et si notre époque était la destinataire des missives dont cet énigmatique messager se fait le gardien?

Vérifions : que vient faire ce facteur dans un scénario au décor sinistré dont la colorisation rappelle les films hollywoodiens sur la Guerre de Succession, et l’action, les catastrophes dont nous menace la science-fiction? Il distribue et relève assidument le courrier partout où il passe. L’imposture rapporte à notre opportuniste, logis, pitance et surtout... charisme et notoriété. Usant de ces soudains atouts, ce héros malgré lui qui, avant de se grimer en postier, jouait sur les planches de théâtre, se révèle un formidable faiseur de contes, un personnage-auteur, une créature factrice de fiction. Il ne traverse pas un village sans y colporter des histoires inventées de toutes « pièces » – y compris celles qu’il a jouées – qui redonnent espoir et courage aux victimes de hordes de pillards barbares appelés les « survivalistes ».

Comme si la meilleure façon de motiver un peuple pour son bien était de s’arranger avec la vérité et de lui donner surtout à croire. Serait-il donc des mensonges bons à dire? Et là n’est pas le seul questionnement auquel fait finement allusion le romancier David Brin. Quoi qu’il en soit, dans un désert sans foi ni loi où règne le droit du plus fort, Gordon Krantz le postier rétablit ainsi, étape après étape, ligne après ligne, la communication entre résistants isolés. Les rencontres semant son parcours, avec une femme nostalgique de l’âge d’or de la ménagère, des kamikazes féministes ou un néo-hippie adepte de la méditation, ponctuent cette aventure de héros solitaire qui lui demande persévérance et... imagination.

Au final, de bobard en bobard, un mythe naît. Et si l’on a toujours cru que c’est l’Histoire qui faisait les mythes, ce livre nous apprend que, parfois, le contraire se produit : c’est alors la légende qui inspire et précède l’Histoire. On ne vous dira pas ce qu’il y a de vrai dans tout cela bien sûr ou comment démêler le mensonge et les faits. Une chose est indiscutable : le titre nous prévenait. « Factor, factoris » en latin – pour ceux que le passé via l’étymologie intéresse autant que l’avenir via la littérature – désigne celui qui fait, auteur, inventeur ou fabricant. Bravo, Mr Brin, tout y est. A la lettre. Reste le plus beau message que transmet ce postier, celui qu’il a ramené à l’arrache du futur et semble léguer comme un appel et un signal d’alarme à la conscience actuelle : faisons montre de « responsabilité » au moins pour les enfants, demain arrive si vite !

Message reçu, les grandes personnes ? Faites passer...

Le facteur de David Brin, traduction de Gérard Lebec, Milady, 8,20 euros

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