BRIN David 01
Vous qui avez abordé de nombreux problèmes dans vos romans précédents (la vie extraterrestre dans « Infinity’s Shore » ; la couche d’ozone dans « Earth » ; le nucléaire dans « The Postman » ; les voyages dans l’espace dans « Heaven’s Reach » ; le clonage dans « Glory Season »), qu’avez-vous voulu dénoncer dans « Kiln People » ?
Il y en a plusieurs. D’abord, la notion de la transformation de l’humain et de l’augmentation du nombre d’humains sur la Terre. La science-fiction a longtemps été fascinée par la notion de changement – tant dans le monde extérieur que dans la nature humaine. Bien entendu, c’est là une des raisons de l’hostilité de l’establishment littéraire vis-à-vis du genre, eux qui se sont toujours investis dans une notion centrale, celle des vérités éternelles de l’humain. Une notion oppressante et erronée. Ils défendent l’idée selon laquelle les enfants doivent commettre les mêmes erreurs que leurs parents. Toujours. Une idée stupide puisque le coeur même de la littérature, c’est de défendre des valeurs d’empathie et de compréhension de l’autre. Si la littérature a le dernier mot, aucune vérité éternelle n’est possible. Nous devons apprendre. Et changer. Dans Le Peuple d’argile, je me demande... que veulent les gens ? Nous voulons les plaisirs, bien sûr. Le succès. La découverte. L’apprentissage. Mais nous voulons toujours plus. Plus de temps, plus de vie. De nombreuses histoires de science-fiction ont abordé les dangers de l’immortalité. Mais l’immortalité nous apporte plus de vie d’une manière assez simpliste, simplement en ajoutant des années supplémentaires à notre espérance de vie. J’ai choisi d’aborder une variation de ce thème. Et si nous pouvions ajouter quelques années à notre vie de manière réellement utile ? En parallèle. En offrant aux gens la possibilité d’être en plusieurs endroits en même temps ? En amplifiant et en multipliant la nature humaine, comme nous sommes arrivés à amplifier et multiplier nos sens ?
Quel regard portez-vous sur notre société ?
Si j’étais entouré d’optimistes, je serais en train de hurler et de balancer des briques dans les vitrines pour attirer l’attention sur les problèmes à résoudre. Mais les lanceurs de briques ne sont pas rares. La propagande hollywoodienne nous a appris à lancer des briques dans les vitrines. Il suffit de songer à un seul film populaire pour y retrouver la notion du Doute face à l’Autorité, l’individualisme et une certaine forme, bizarre, de tolérance. Bien sûr, je suis d’accord avec ces messages. Je les reprends dans mes romans et mes histoires. Mais, ce que je trouve amusant, c’est que peu de gens remarquent que nous sommes conditionné à défendre ces valeurs. Ce sont les thèmes communs de nombreuses chansons, d’histoires, de nombreux mythes. Mais en même temps, nous détestons nous entendre dire que nous sommes conditionnés pour être des excentriques et des rebelles ! Nous préférons imaginer avoir inventé l’individualisme. Prenez tous ces étudiants qui portent du noir 24 h sur 24. Un uniforme, signe d’un culte qui prétend avoir inventé la rébellion et le cynisme. Désolé, mais nous sommes tous rebelles et individualistes, dans un certain sens. Et parfois, nous essuyons des échecs.
C’est le questionnement, l’idée que les choses peuvent changer, si nous nous plaignons et si nous nous battons avec assez de force... Cette idée peut changer le monde et nos enfants. Une uniformité tranquille n’est pas la solution. Un monde meilleur jaillira du bruit et des transformations, d’une remise en question du pouvoir qui nous doit des comptes. Et c’est exactement ce pour quoi l’on nous conditionne... Et c’est je crois l’un des grands paradoxes, l’une des grandes ironies de notre société.
Comment vous est venue l’idée de « Le Peuple d’Argile » ?
En tant que parent… Et avec tant de projets en cours… J’ai parfois l’impression de me battre contre le temps… Je voudrais trouver du temps pour faire plus de choses. J’ai alors réalisé… les humains sont très forts lorsqu’il s’agit de trouver des moyens de satisfaire nos désirs. Les gens voudraient plus de temps…. Peut-être la technologie nous proposera-t-elle des « copieurs de foyer » ? Sauf qu’au lieu de copier des documents, cette machine pourrait vous permettre de vous copier vous-même. Je ne parle pas de clones. Les clones ne sont pas des copies de personnes. Ce sont des individus avec leurs valeurs et leurs droits humains. Les jumeaux sont des clones et nous avons décidé depuis longtemps qu’ils naissaient égaux en droits. Non, les copies dans Le Peuple d’Argile sont des copies bon marché, temporaires, faites de glaise. Elles peuvent avoir des souvenirs, des ambitions… Mais elles savent toujours qui est l’original, le citoyen, avec ses droits. Feriez-vous des copies si vous saviez qu’elles disparaîtraient après 24 heures ? Dans Le Peuple d’Argile, l’angoisse de cette situation est relativisée par le fait que l’original peut télécharger les souvenirs de ses copies à la fin de chaque journée. Donc, les vies dupliquées se prolongent dans un seul et même esprit. Mais les implications psychologiques et morales du processus sont nombreuses… et renversantes. C’est un rêve devenu réalité… Mais également un véritable cauchemar… Et un chouette concept à explorer.
Vous qui avez écrit sur la vie extraterrestre, croyez-vous que nous puissions en rencontrer bientôt ? Pourquoi n’est-ce pas déjà fait ?
Vous décrivez ce que j’appelle le “Paradoxe du Silence”. La vie devrait être une denrée courante dans l’univers. Les voyages intergalactiques très difficiles, mais possibles. Alors pourquoi la terre n’a-t-elle pas été colonisée pendant les 3 milliards d’années durant lesquelles aucun sapiens n’était présent pour se l’approprier ? Des visiteurs auraient pu laisser des traces, des déchets dans les océans… Une seule goutte aurait pu changer la vie pour toujours et nous en retrouverions des traces dans les fossiles. J’ai beaucoup écrit sur ce sujet, en tant qu’astronome et auteur de romans. C’est l’essence même de cette « autre chose » qui nous fascine… et emplit nos rêves.
Comment êtes-vous entré dans l’univers de « Fondation » pour écrire « Foundation’s Triumph » ?
Les héritiers de Isaac Asimov voulaient que cet univers soit achevé par les « killer bees », soit Greg Bear, Gregory Benford et David Brin. Nous ne pouvions pas refuser… Fondation et Les Robots sont deux séries qui constituent une extraordinaire discussion sur la destinée humaine. J’ai eu l’honneur de nouer tous les fils laissés par Isaac, dans ses livres les plus connus, comme les plus obscurs. C’était un travail terriblement précis et difficile, puisqu’il devait également se dérouler dans le cadre d’une histoire intéressante, amusante et pleine d’idée. Certains m’ont dit que Le Triomphe de Fondation atteignait ce but. En tous les cas ce fut un défi amusant.
Comment considérez-vous Isaac Asimov ?
Isaac Asimov a commencé à réfléchir sur la destinée humaine alors qu’il travaillait dans le magasin de bonbons de son père. A une époque où le monde était dans la tourmente. Des forces incommensurables étaient à l’œuvre et des populations entières se comportaient de manière illogique et dangereuse – même à l’encontre de leur propre bien être. Des millions de gens pensaient que la solution se trouvait dans des recettes que l’on appelait idéologie. Le jeune Isaac était trop intelligent pour se laisser séduire par une de ses idéologies. Du marxisme au fascisme en passant par l’ultra-capitalisme, tous voyaient l’être humain comme une créature simple d’esprit, facile à décrire, au comportement prévisible à travers quelques textes abscons. En tant que scientifique, bien éduqué, observateur, il voyait que la plupart de ses scénarios étaient de la poudre aux yeux, plus proches de la religion que de la science. Et pourtant, Isaac comprenait parfaitement pourquoi les gens cherchaient ce genre d’idéologies, ce genre de modèles pour expliquer leur comportement. Entouré de tant d’irrationalités, Isaac rêvait qu’un jour peut-être, quelqu’un découvrirait un moyen de comprendre l’humain dans toute sa complexité. Il n’avait aucune idée de la solution de ce genre de problème, mais il était trop sensé pour attendre des réponses de la part des dingues qui prêchaient sur les radios au milieu du vingtième siècle. Mais dans le futur ? Lorsque les humains seraient présents dans toute la galaxie ? Les humains seraient peut-être moins faibles ? Laisseraient-ils les mathématiques résoudre l’évolution des peuples ? Comme les formules dynamiques de la chimie permettent de simplifier les comportements de vastes agglomérats de molécules gazeuses ? Prenons cette notion et ajoutons-y les lectures du jeune Isaac. En un seul été, il a dévoré La Chute de l’Empire Romain, de Gibbon.
Mélangeons tout cela et jetons une pincée d’aventures dans la préparation et les choses commencent à apparaître. Des « choses » qui constitueront des classiques de la science-fiction du milieu du 20ième siècle. Hélas, Isaac n’a pas eu le temps d’explorer les implications de ses réflexions aussi loin qu’il l’aurait voulu. La mort nous rattrape tous.
Mais il a laissé des indices délicieux, suggérant à une nouvelle génération d’auteurs ce qui se préparait… De toute évidence, il n’avait pas fini de nous surprendre. Et nous ne devrions pas cesser de réapprendre les leçons d’Isaac. Ce qui compte c’est de rester en mouvement, d’être toujours ouvert à de nouvelles idées, à de nouvelles pensées, même celles qui mettent en péril nos convictions. Il faut repousser le rideau toujours plus loin afin d’en apprendre plus sur notre futur. Que le sujet soit les robots… comment les garder loyaux et intéressants… Ou notre destinée à long terme et d’autres sujets de science-fiction… nous utilisons les métaphores et les histoires comme des pieds-de-biche pour forcer des portes et ensuite laisser notre esprit grand ouvert.
Quel est votre avis sur le film “Le Facteur” basé sur votre livre ?
J’y reviens en détail sur mon site web. C’est difficile. Il y a tant d’espoir lorsqu’un film est réalisé à partir d’un de vos livres. Mais l’auteur n’a pas le pouvoir, ni l’argent…
Plusieurs de ses espoirs furent perdus, c’est certain. Le film n’a plus l’intelligence du livre… Et n’a gardé que quelques rares grandes idées. Il est trop long et mal structuré. D’un autre côté, il est visuellement magnifique. Costner a un œil de cinéaste. La musique est bonne. Et le film conserve finalement le message central du livre : la civilisation est la responsabilité de chacun. Nous la prenons pour une chose acquise, mais nous serions bien en peine si elle venait à disparaître. C’est une des raisons pour lesquelles je résiste à l’envie de m’apitoyer sur le film… ou de me mettre en colère. C’est un beau film, pas malin, avec un cœur gros comme ça. Des choses bien pires arrivent chaque jour… Bien pire.
Avez-vous pu participer au scénario, au tournage ?
Costner a travaillé en collaboration avec les auteurs de Danse avec des Loups et de Fields of Dreams. Mais nous ne nous sommes pas rencontré avant que le film soit à moitié terminé. Et nous avons passé cinq minutes ensemble lors de la première. Je ne sais pourquoi il a choisi cette voie. J’ai offert humblement mes services afin de tenter de faire du film un succès. Naturellement, il est tentant de reporter l’échec du film sur cette situation, mais il faut se protéger de ce genre de tentation, car c’est se laisser aller à la facilité.
D’autres projets cinématographiques ?
Il y a des scénarios qui circulent, basés sur Startide Rising et The Practice Effect et Heart of the Comet. Il y a également un traitement pour Le Peuple d’Argile. Ma série Out Of Time a également attiré l’attention d’un studio de production télé. Mais cela prend toujours du temps et beaucoup de personnes brassent du vent avant qu’il ne se passe effectivement quelque chose.
Durant ces 50 dernières années, quelles ont été pour vous les découvertes scientifiques les plus importantes ?
C’est une question difficile. Si vous demandez à 100 physiciens de citer les grandes découvertes du 20ième siècle, vous obtiendrez une courte liste pratiquement semblable chez chacun de ces hommes. Pareil pour la biologie… Parce que ce sont des sciences exactes. Il y a quelques années, au tournant du siècle, la même question a été posée à des philosophes et des psychologues. Ils étaient coincés. Les philosophes n’avaient pas de réponses et les psys avaient des réponses très différentes. Ce qui explique sans doute pourquoi le 20ième siècle fut une aubaine pour ces deux disciplines. Ironie du sort, puisque les deux champs d’activités nous avaient promis monts et merveilles il y a cent ans. Dans les deux cas, il nous était offert des modèles simples pour la nature humaine, l’esprit et les vérités universelles. Des modèles simples qui se sont écroulés au prix de nombreuses agonies et de millions de morts. Dans les deux cas, je pense que les découvertes les plus importantes sont intervenues lorsque philosophes et psychologues ont enfin admis la réalité : la conscience humaine est très complexe. L’essence platonicienne n’est pas un modèle trop simple, c’est un modèle tout simplement faux ! Complètement faux. Le monde est compliqué, très compliqué. Il faut s’y habituer.
Quel rôle joue l’écrivain dans notre société ?
Nous sommes supposés donner aux gens le pouvoir de s’échapper de leur cervelle et d’imaginer ce que c’est d’être quelqu’un d’autre pour un temps. Nous ne servons pas seulement l’art et l’empathie, mais nous permettons également aux gens d’essayer les idées et de vivre les erreurs des autres. Et peut-être pourrons-nous les pousser à changer de voie. La mission de l’auteur est en contradiction logique avec les « vérités éternelles », parce que notre travail consiste à aider les gens, à leur permettre de ne pas commettre des erreurs qui ont été commises par d’autres… Ou d’autres personnages de fiction. Les plus belles histoires de SF sont celles qui annoncent des événements afin de nous en préserver, comme 1984, Le Syndrome Chinois ou Soleil Vert. Ces histoires peuvent convaincre des millions de personnes de ne pas s’engager dans une voie destructrice. C’est ça le pouvoir de l’auteur. Le pouvoir de la littérature.
Pouvez-vous nous dire quelle est votre vision de notre civilisation ?
Je suis surpris de me réveiller chaque matin et de constater que des barbares ou des barons féodaux ne sont pas venus saccager ma maison et enlever ma femme. Connaissant l’histoire comme je la connais, j’en suis très heureux. Il y a quatre cents ans, ils ont brûlé Giordano Bruno, un type qui me ressemblait beaucoup… Aujourd’hui je suis payé pour discourir sur des notions parfois étranges. Cela me semble une vraie marque du progrès de la civilisation. Je ne veux pas dire que la civilisation est aujourd’hui au-delà de la critique. La critique est le signe le plus clair d’une société saine. _ Une société tellement saine en fait, tellement auto-critique que nous avons peut-être une toute petite chance de parvenir à la Grande Réussite : voir nos enfants élevés, en bonne santé, éduqués et sages, totalement indépendants, dans un monde stable, sain et empli de joie… Pour cela nous avons besoin de gens critiques, comme vous les journalistes ou les auteurs. C’est un signe de santé. Tout comme une bonne dose d’ironie d’ailleurs.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’homme qu’est David Brin ?
J’adore être papa. Un peu trop d’ailleurs. Et travailler est parfois difficile. Je parle trop et ce défaut est encore aggravé par le fait que des gens paient pour m’écouter… Les conférences prennent beaucoup de mon temps. Il m’arrive aussi parfois d’être un peu donneur de leçons, alors j’essaie de me rattraper en participant à des œuvres de charité. C’est un ancien réflexe ça… Aucune religion, ni aucune culture n’a le monopole de la culpabilité. Mais, chaque respiration est un plus. Chaque coucher de soleil une joie. J’espère en voir encore quelques millions !
Vos projets ?
J’aime l’univers de Uplift, mais je ne peux pas me concentrer sur une seule création. J’espère revenir vers Tom et Creideiki et l’univers d’Uplift, mais j’ai d’abord d’autres projets. Mais j’ai tout de même quelques cadeaux pour les amateurs d’Uplift, sur mon site web http://www.davidbrin.com/, avec la nouvelle « Temptation ».
“Contacting Aliens : An Illustrated Guide To David Brin’s Uplift Universe” est une compilation amusante des races extraterrestres rencontrées dans Staride Rising et Uplift War… Et le jeu GURPS Uplift est sorti dans une nouvelle version.
Mon nouveau roman Le Peuple d’Argile pousse l’idée des « copieurs » jusqu’à ses limites. Créer une copie de vous-même en glaise, envoyez-le passer la journée à votre place, à l’école, au boulot, au supermarché, puis le soir venu téléchargez sa mémoire dans votre esprit ! C’est aussi un polar noir, très amusant.
DC Comics m’a demandé de préparer un nouveau roman graphique. The Life Eaters approche un thème sombre, ma version de la conquête du monde par des nazis, au travers d’une magie plus qu’étrange. L’histoire est basée sur un roman paru en 1985, mais l’histoire est plus développée et explose sous la plume du dessinateur Scott Hampton. Les Français semblent particulièrement intéressés par ce roman graphique. Je travaille aussi sur un roman très « Heinlein » ou des extraterrestres kidnappent 3000 enfants dans une école secondaire californienne…
Propos recueillis par Marc Bailly
Traduit par Christophe Corthouts (mai 2004)
Initialement paru dans Phenix Mag n°0
Critique du "peuple d’argile" ici