Panorama de la littérature fantastique américaine T3

Jacques Finné arrive enfin au terme de sa longue exploration du fantastique américain. Entreprise qu’il faut saluer à juste titre : il s’agit sans doute ici de l’histoire la plus complète du genre en langue française.

Le premier s’intitulait « Des origines aux pulps », le second « De la mort des pulps aux années du renouveau » et celui-ci : « Du renouveau au Déluge ». Et s’arrête ’arbitrairement’ suivant les mots même de l’auteur, en 1985.

Pourquoi 1985 ? « Sans doute parce que le fantastique change de plus en plus, et que les romans étiquetés sous ce genre me sont devenus étrangers. » Il accuse aussi la pléthore de la production d’où le terme de « Déluge ». C’est son droit le plus strict, après tout.

Suivons-le donc jusqu’en 1985. L’ouvrage s’articule en cinq parties thématiques, chacune d’elles illustrée par une liste d’auteurs et de romans, souvent et excellemment résumés, ce qui vaudra au lecteur de passionnantes découvertes.

Le Fantôme ouvre la marche, si je puis dire. Le fantôme et la maison hantée, bien évidemment. Fantômes moins sympathiques qu’auparavant, et plus sexués aussi. Finné cite Shirley Jackson et sa Maison hantée (1959), Robert Marasco et Notre vénérée chérie (1973) ou Anne Rivers Siddons et La maison d’à côté (1978).

Le Diable est la deuxième figure traitée. Après le nécessaire petit historique, l’auteur aborde les histoires de pacte, volontaire ou non. Impossible d’éviter ici les deux tubes que furent Rosemary’s baby d’Ira Levin (1967) et L’exorciste de William Blatty (1971) et leurs innombrables resucées. Mais Finné parlera également de cas de possession non diabolique ou de réincarnation (Le guetteur de Charles MacLean, 1982).

Etape suivante : les enfants et la campagne. Celle-ci sert souvent de cadre aux récits fantastiques (Thomas Tryon, La fête du maïs, 1973). Depuis Henry James, on le sait, l’enfant est un mystère de terreur insondable. Tour à tour victime, sadique ou monstrueux, il est devenu incontournable, ce n’est pas Stephen King qui le niera. Finné attire l’attention sur Ariel, roman de Lawrence Block (1980), troublant texte mettant en scène une petite fille adoptée. Il évoque ensuite ceux qu’il nomme les ‘frontaliers du fantastique’, dont les derniers tenants du vieux courant gothique comme Joyce Carol Oates (Bellefleur, 1980). Puis trois ‘enfants terribles’ : Harlan Ellison, qui mélange les genres, Charles L. Grant et son cycle d’Oxrun Station, et Dennis Etchinson, romancier et anthologiste.

Le dernier chapitre de l’essai s’intitule « Stephen King : un roi et ses vassaux ». Il fallait en parler, bien sûr, même si les sentiments éprouvés par Finné sont mitigés, comme il le laissait déjà pressentir dans le numéro de Phénix consacré à King en 1991. Il ne le traitera, suivant son option, que de Carrie (1974) à Brume (1985), en insistant sur les nouvelles, qu’il apprécie grandement, sur Shining et sur Simetierre. Passion et prolixité sont les deux maîtres-mots d’un écrivain jugé inégal, et avec lequel il paraît entretenir de singuliers rapports amour/haine (il lui consacre tout de même vingt pages, soit plus que sur n’importe quel autre auteur !). Les ‘vassaux’ de King ? Straub, Koontz, MacCammon, Saul entre autres.

En conclusion, Finné revient à son évaluation du fantastique actuel, qui l’a arrêté en 1985. Il réprouve l’« industrie rentable et florissante », la surabondance de pavés de mille pages au détriment de la nouvelle, le mélange des genres, les « écheveaux d’histoires parallèles », les clichés psychologiques, la violence enfin.

Ce troisième volume du grand œuvre de Jacques Finné s’achève donc sur un constat de doute. Voilà pourquoi sa réflexion me semble intéressante, passionnante même, car l’avenir même du fantastique pourrait être en jeu… Notons le style très vif de l’auteur, son art du résumé, son humour aussi, parfois cinglant et, last but not least, une liste de quinze livres incontournables, un impressionnant corpus de notes, une bibliographie et un index des auteurs et des titres.

Jacques FINNE, Panorama de la littérature fantastique américaine (tome 3), Du renouveau au Déluge, Editions du Céfal, Liège 2006, coll. : « Bibliothèque des paralittératures », 232 p.