Royaume des fantômes (Le)

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Une somme. Il est rare d’ouvrir une critique de la sorte, mais cette fois c’est vrai. Il est en effet exceptionnel de trouver un ouvrage aussi complet sur un genre relativement pointu. Aussi richement illustré aussi : ce Royaume est aussi celui du livre d’art, et fascinera rien qu’à cet égard. Bon, le fantôme est un thème connu en fantastique, tout comme le vampire ou le double. « Encore un livre sur les fantômes ! soupirera-t-on » : ainsi débute Jacques Finné. Car il veut, enfin, approcher toutes les facettes de son thème. Et il y arrive, ce qui fait la richesse de cet ouvrage considérable. Il est divisé en deux parties, d’inégales longueurs. L’une intitulée « Les fantômes sont-ils parmi nous ? », l’autre « Les fantômes en littérature ». Suivent un appendice sur le thème dans d’autres dimensions (peinture, musique, théâtre, cinéma) et une conclusion concise et impérative.

La première partie est consacrée au « folklore », à la pure thématique canonique. Il est en effet clair que tout l’Imaginaire provient de la peur de l’inconnu et de l’explication donnée par l’intelligence humaine aux phénomènes incompréhensibles auxquels elle est confrontée : l’amour, la guerre, la mort. Le fantôme est une tentative d’explication : l’apparition surnaturelle d’une personne morte. Quelle est sa cause, son objectif, sa revendication ? A partir de ces questions, Finné tisse la toile de son questionnement et, brillamment, parcourt un domaine immense. Définitions du fantôme, ses lieux de prédilection, sa famille (incubes et succubes), son humour. Sa postérité aussi, via le spiritisme et les auteurs célèbres qui y sacrifièrent tels Sax Rohmer, Jung, Conan Doyle, Maeterlinck, Camille Flammarion ou Thomas Edison. Même François Mitterrand, murmure-t-on. A chaque pays, ses fantômes et Finné de parcourir l’Angleterre (en particulier Londres), l’Allemagne, la Russie, même l’Amérique et l’Orient (splendides illustrations japonaises).

La seconde partie est plus spécifiquement littéraire. L’auteur scrute cette terreur devant la Mort, essence de la peur du fantôme, de l’Antiquité à nos jours. Egratignant au passage le succès actuel de la Fantasy et de son Moyen-âge de pacotille, il insiste à juste titre sur l’influence de l’Eglise et sa conception du surnaturel. Le théâtre élisabéthain puis le roman gothique attirent toute son attention, bien sûr, fondements du fantastique moderne, parfois anticatholique, mais fantastique le plus souvent expliqué. Avançant dans le temps, Finné étudie longtemps l’époque victorienne, à laquelle il a consacré de nombreuses études et recueils. Période faste en effet, âge d’or de la ghost story, qui vit une transformation capitale, celle du bric-à-brac traditionnel (squelette, suaire) vers le fantôme moderne, devenant Monsieur-tout-le-monde, bien tangible, en chair et en os, pourrait-on dire. Finné insiste aussi sur l’impact des romancières, trop longtemps dans l’ombre des hommes. Il passe ensuite aux auteurs des Etats-Unis, en saluant Lovecraft, même s’il n’a jamais écrit d’histoires de fantômes, mais en citant Hawthorne, Poe, Bierce, Crawford et tant d’autres. L’Europe est à nouveau abordée, bien évidemment.

L’appendice dont je parlais est un peu court : il survole son thème dans les domaines extralittéraires. L’art pictural bien sûr, mais aussi la musique (rappelons que Jacques Finné est un grand mélomane, ayant écrit un fort bel ouvrage, très recherché, sur les livrets d’opéra), le théâtre et le cinéma. La conclusion de son livre, très dense, est aussi importante que son introduction, en forme d’acte de foi philosophique : « Revoir un défunt constitue-t-il un bien ou un mal ? ».Très joliment, il ne se prononce pas sur la croyance, et renvoie poétiquement à la citation d’Hamlet : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve ta philosophie ».

Jacques Finné, Le Royaume des Fantômes, L’Apart, 49730 Turquant, 2012, 189 p., 24 euros.

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