Des mystifications littéraires

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Formidable pavé, oeuvre d’une vie, sans doute. Incarnation d’un rêve de toujours, de jeunesse aussi, comme l’explique Jacques Finné dans sa brève mais très dense préface. Car les mystifications sont éternelles, de Plutarque jusqu’au Bye Bye Belgium de 2006, et le thème le fascine, en littérature comme en d’autres arts (peinture, musique).

« Le fait d’abuser de la crédulité de quelqu’un pour s’amuser à ses dépens ». Ainsi l’auteur définit-il son sujet, non sans appréhension.

L’ouvrage (plus de 500 pages bien serrées) se divise en trois parties.
La première est consacrée au thème du plagiat, la seconde aux mystifications mêmes, la troisième à un seul exemple littéraire fameux, cher au fou de fantastique qu’est Finné : celui d’ H.P. Lovecraft. En guise d’entrée, le plagiat donc. Pourquoi plagie-t-on ? Pour améliorer une oeuvre médiocre, pour sauver une oeuvre en péril ? Le plagiat peut passer par la parodie, la réécriture même, ou l’utilisation de nègres (mot auquel l’auteur, en grand amateur de fantômes, préfère ghost-writer). Et de citer différents exemples célèbres ou non, tels ceux de Bertold Brecht ou Ridder Haggard.

Après une longue disgression sur le Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki, qu’il semble affectionner particulièrement, Finné cite Régine Desforges, Henri Troyat, Montherlant, puis s’étend sur le phénomène du Don paisible, roman-fleuve du Soviétique Cholokhov, prix Nobel 1965 bien immérité selon lui. Alors, la réponse à ce désir de plagier ? Selon ses mots : la facilité ? Le désir de gloriole uni au manque de talent ? Le désir de vengeance et la volonté de nuire ? Tous thèmes abordés avec une rare intelligence, ouverte à toutes pistes.

Ensuite, Finné se lance dans le corps central de son essai : la mystification. Et à nouveau, il cherche le but : envie de railler la galerie ? Désir de gain ? Partant des évangiles apocryphes, il parcourt l’Histoire, rapidement, en appelant à la barre Pétrone, Cervantès, Poe, Dickens, Potocki encore, ou Radcliffe et la joyeuse bande des romanciers gothiques. Deux faux journaux attirent son attention soutenue, celui d’Hitler et celui de Jack l’Eventreur, avec preuves et ’antipreuves’, sans oublier quelques pages d’écrivains francophones tels Mérimée, Cendrars, Jean Ray, Pierre Louÿs ou le bien oublié Adoré Floupette (un nom pareil, faut l’inventer !).

Après une nouvelle digression sur l’emploi du pseudonyme, Finné aborde un solide morceau : Omar Khayyam et ses célèbres Roubayat du XIème siècle. C’est ici que se pose alors la question de la traduction, qui reviendra plus tard lors de l’examen assez poussé des 1001 Nuits. Thème cher à l’auteur, qui est lui-même traducteur averti. Avec lui, nous survolons ensuite l’Affaire Dreyfus ou le tristement illustre Protocole des Sages de Sion pour terminer en vol plané fulgurant par Dafonseca et ses loups, Marco Polo, Chateaubriand, Gérard de Nerval et même Malraux – qui l’eut cru ?

Comme on l’a dit, la troisième et dernière partie est entièrement axée sur la personnalité de Lovecraft, grand mystificateur entre tous, qui « joue en virtuose de son instrument ». Tout y passe, bien détaillé, le Necronomicon en tête, son histoire et ses multiples avatars. Finné n’élude pas les autres livres mythiques créés par le solitaire de Providence, ni ceux de son cercle : C.A. Smith, R.E. Howard, A. Derleth, et tous les joyeux copains jusqu’à notre Belge Eddy C. Bertin. Les villes de Dunwich ou Arkham ou l’université Miskatonic ne sont évidemment pas oubliées.

En conclusion de son bel ouvrage , Finné lève son verre à la mystification qui ne rime pas toujours avec réprobation ou abomination, mais aussi avec récréation ou fascination. Magistral, il n’y a pas d’autre mot.

Jacques FINNE, Des mystifications littéraires, 518 p., Librairie José Corti, 2010.

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