Route de Haut-Safran, La tyrannie de l'arc-en-ciel T1 (La)

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Bienvenue dans la Chromocratie ! Ici, les citoyens sont normaux, à la différence près qu’ils naissent Gris, Jaunes, Verts, Bleus, ou encore Rouges en fonction des couleurs qu’ils distinguent. Le rôle de chacun dépend justement de cette singularité. Les Pourpres accèdent aux postes les plus agréables tandis que les Gris, incapables de discerner les nuances éclatantes, sont traités en esclaves. Et comme dans toute tyrannie digne de ce nom, les autorités veillent à ce que cet ordre soit respecté !

Edward Rousseau est un jeune homme Rouge sans histoire, promis à un bel avenir. Jusqu’au jour ou un compagnon rencontré par hasard dans un train disparaît, dans l’indifférence la plus totale. Dès lors, de mystérieux incidents l’interpellent : on lui confisque ses papiers, il apprend que le médecin de la ville est mort dans des circonstances étranges... Sa rencontre avec Jane, une Grise effrontée au nez exquis, va confirmer ses soupçons : ces événements cachent une vérité effrayante. Qui réussira à la révéler sans y perdre la vie ?

De Jasper Fforde, je n’ai lu « que » les cinq premiers romans de la série des Thursday Next. J’ai adoré les deux premiers, j’ai moins accroché aux suivants, peut-être par lassitude, peut-être parce que l’auteur y jouait trop à mon goût sur les jeux de mots et les volontés parodiques, et moins sur le fond que je voulais voir un peu plus développé. Je n’en suis pas sûre. Cependant, avec cette Tyrannie de l’arc-en-ciel, j’ai retrouvé ce que j’aimais chez Fforde : de l’humour efficace sans être lassant, des idées absolument incroyables et une histoire solidement menée avec éventuelle(s) surprise(s). C’est presque avec autant de plaisir qu’en découvrant L’Affaire Jane Eyre que j’ai parcouru le récit de ce monde agencé par la perception des couleurs par ses personnages.

Jasper Fforde a l’art de rester lui-même tout en se réinventant. Point de Thursday Next dans les aventures d’Eddy Rousseau, pas la peine de les commencer en espérant trouver d’autres délires sur les livres et les fictions. Mais autant d’éléments délicieusement absurdes et discrètement déjantés. Nous sommes cette fois dans un univers post-apocalyptique, dont l’apocalypse nous est inconnue, ainsi qu’aux habitants de celui-ci. On sait juste qu’un événement indéterminé a eu lieu, et que depuis, cinq siècles ont passé sous le règne de la tyrannie des couleurs. Chaque homme a une position sociale obtenue grâce aux couleurs qu’il peut percevoir. Les Gris, au bas de l’échelle, sont des sortes d’esclaves surexploités qui ne peuvent rien faire pour changer leur situation, si ce n’est attendre qu’un de leurs enfants puisse percevoir quelques couleurs pour accéder à un avenir meilleur (enfin, quand je dis meilleur...). Dans cet état totalitaire, le nombre de règles est incroyablement élevé et ceux qui les font appliquer régissent avec un main de fer la vie quotidienne de personnes qui, par exemple, ne peuvent se marier qu’en fonction de leur couleur. A noter que ce qui est gentiment amusant pendant trois premiers quarts du livre devient tout à coup incroyable et marquant dans la dernière partie, quand on découvre tout ce qui se cache derrière ce petit monde en apparence anodin et léger dans son absurdité.

Histoire d’une rébellion dans un monde totalitaire, La Tyrannie de l’arc-en-ciel est un roman tout ce qu’il y a de séduisant. Jasper Fforde use encore ici de ce qu’on a envie d’appeler un « ton british » (oui, je fais dans les clichés si je veux), pour notre plus grand plaisir, mettant en avant des notes d’humour efficaces, récurrentes mais pas « étouffantes ». C’est en tout cas avec beaucoup de plaisir que j’ai parcouru ce livre assez épais mais qui aurait bien pu continuer quelques centaines de pages sans que ça ne me désole. Reste quand même une note négative, tout à fait subjective : je ne sais pas ce qui se passe avec les couvertures ffordiennes (qui sont reprises de celles anglaises si j’ai bien compris), mais elles me plaisent de moins en moins (alors que c’est celle sublime de L’affaire Jane Eyre qui m’avait fait découvrir cet auteur). J’ai en tout cas eu beaucoup de mal avec celle de ce roman, qui est en plus assez douloureuse à regarder.

Au final, ce premier tome de La Tyrannie de l’arc-en-ciel est un très bon début de série comportant le meilleur de Fforde : un mélange détonant d’humour et d’absurdité. Un petit plaisir à ne pas bouder. Vivement la suite !

La tyrannie de l’arc-en-ciel, t.1 : La route de Haut-Safran par Jasper Fforde, traduction de Patrick Dusoulier, 590 pages, Fleuve noir

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