Nuit comme en plein jour (La)

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Les voies du marché ne sont guère sophistiquées ; elles procèdent ,au contraire, selon un syllogisme de la découverte plutôt pragmatique : tout lecteur est un consommateur, mais tout consommateur ne lit pas (et loin de là), donc il faut donner au lecteur une consommation adaptée à ses goûts, envies, qualités, etc. Pour vendre, il faut donc découvrir à qui l’on vend. Ou bien construire ce consommateur idéal, le formater, le modéliser pour lui refiler une bouillie parfaitement compatible. L’idéale conjonction des désirs programmés et des programmes adaptés s’appelle, dans le domaine de l’édition, la littérature de genre.

Il y a ainsi une littérature de l’adolescence. Le genre de produit que l’on offre pour les cadeaux d’anniversaire à nos chers nihilistes boutonneux, en même temps qu’une clé USB et qu’un spray anti-acné.

La nuit comme en plein jour s’inscrit en plein dans cet objectif marketing, avec les limites que l’on peut attendre d’un cahier des charges un peu restrictif. Le point de départ, un jeune garçon devenu invisible, une idée simple et poétique à la Marcel Aimé, pourrait ouvrir la porte à l’imaginaire, mais Bertrand Ferrier ne souhaite pas que son héros, Louis Masse, se libère pour autant des carcans quotidiens. Comme un cadre moyen récemment licencié ou un canard décapité, il reproduit mécaniquement ses habitudes, s’habillant, prenant son bus, allant au collège. Nous sommes ici dans une aventure française contemporaine : non seulement, il ne se passe rien, mais en plus il y a une logorrhée continue qui pollue le récit. Le héros est poursuivi, harcelé même, par la voix du lecteur, qui ne cesse de l’interpeller et de penser à sa place : Louis n’est qu’un nom de passe, qu’un concept d’invisibilité, et à aucun moment un véritable être humain. Il n’agit pas, il est mu ; il ne vit pas, il réagit.

On peut penser ce qu’on veut d’Harry Potter, mais la création romanesque emporte dans son souffle les différentes critiques. Les Anglo-Saxons savent raconter des histoires, les Français décortiquer leur histoire. L’effet de perspective n’est pas le même. La place de la narration est ici omniprésente, étouffante : rien ne se passe qui ne soit commenté longuement (le réveil qui sonne, le bus qui arrive…). En face de cette analyse constante, le cher Louis n’a pas droit à la parole avant la page 153. D’où, malgré un style assez agréable (mais hélas complètement passif) et de belles inventions humoristiques (des encadrés loufoques qui surprennent agréablement dans un désert dramatique), une terrible impression de pesanteur et d’ennui.

Je parlais du cahier des charges : c’est le questionnaire de Béatrice Quintin affiché en fin de livre, et qui sur le thème des apparences, serait la clé de voûte du récit. Bien, il est désormais prouvé qu’avec de bons artisans, on ne fait pas automatiquement de grandes cathédrales. Ceci n’est pas un mauvais livre, c’est un livre raté. Au suivant.

Bertrand Ferrier, La nuit comme en plein jour, 196 p., Editions Belin, Collection charivari

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Commentaires

Me voilà rassurée par votre commentaire, et admirative devant votre courage, car vous êtes apparemment allé jusqu’au bout de l’ouvrage. Pour ma part j’ai calé à la page 18 après avoir jeté un coup d’oeil à la fin. Heureusement pour les jeunes qu’il y a des romanciers plus inspirés !Quel pensum !