Accroissement mathématique du plaisir (L')
« C’était il y a longtemps, très longtemps, quand les hommes affrontaient la terre à mains nues, luttant pied à pied contre les fauves des forêts, les démons de leurs rêves et la faim.
Une femme avait eu un fils. Ils vivaient tous les deux à la lisière d’un bois, non loin du gué d’une rivière. Mais en ces temps déjà, les hommes ne se contentaient plus des gués et rêvaient de ponts arqués comme des épaules, forts comme des bœufs, éternels comme des chênes, bâtis dans le lit enragé des fleuves à grands frais de pierres et de vies humaines.
En ces temps, les hommes n’avaient pas peur de mourir ».
Lire un livre d’un auteur reconnu et encensé, c’est toujours un peu délicat parce qu’on ne se confronte pas seulement à nos propres attentes par rapport à une (quatrième de) couverture, mais aussi à celles créées par les éloges des autres (éloges qui, en général, font atteindre à ces attentes des sommets vertigineux). Catherine Dufour est très appréciée dans le milieu de la SFFF française, mais je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer la dame (littérairement parlant bien sûr) et maintenant que c’est chose faite, je ne sais pas quoi penser.
Catherine Dufour s’est révélée « duelle » pour moi, à la manière d’un Double Face qui jongle avec des personnalités différentes. D’un côté, il y a l’auteur de nouvelles plus ou moins déjantées et humoristiques, mais d’un humour justement trop « pratchettien » pour que j’arrive à rentrer dans les histoires contées à travers celui-ci. Rien à faire, je ne sais pas pourquoi, j’ai beau aimer rire et l’humour en général, cette forme-là n’arrive pas à passer avec moi à l’écrit. Je le sais, je ne la fréquente pas en temps normal, donc cet aspect de Catherine Dufour n’aurait pas pu me séduire. C’est dommage, parce que ça concerne un nombre conséquent de nouvelles du recueil (à noter que j’ai quand même apprécié Le poème au carré, sorte de relecture de l’histoire d’Alice en l’abordant à l’aide d’une héroïne un peu plus âgée et... influencée).
De l’autre côté, il y a la raconteuse cruelle et cynique, mais terriblement réaliste aussi. L’humour est encore présent dans cet aspect-ci de l’écriture de Catherine Dufour, mais plus sous sa forme « noire » que via des jeux de mots et de références, ce qui me convient mieux je pense. Et c’est ce côté-là de l’auteur qui m’a réellement conquise. On le retrouve par exemple dans Un temps chaud et lourd comme une paire de seins, nouvelle rajoutée à l’édition poche du recueil, au titre délicieux et au féminisme qui me plaît. Elle raconte l’histoire d’une flic dans un monde où les rôles sexuels sont inversés (pas qu’eux d’ailleurs). Il est également présent (discrètement et sombrement) dans la plus longue nouvelle du recueil, L’immaculée conception, de loin celle que j’ai préférée. Plus que cet humour-là, il y a dans le fond de ce récit plutôt glauque une telle humanité (et une telle « réalité ») qu’il m’a d’abord mise mal à l’aise, puis m’a touchée, énormément. Cette histoire nous parle d’une trentenaire terne et sans passion n’ayant jamais eu d’amants mais devant subir les aléas du sexe (ce sans en avoir connu les douceurs donc) car elle se retrouve enceinte. L’auteur met ici en scène la grossesse comme je me la représente, pas comme on nous la montre habituellement. Et ça fait du bien d’enfin avoir quelqu’un nous parlant des aspects difficiles à vivre et peu épanouissants de cette période présentée en général comme idyllique (j’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi).
En plus des nouvelles évoquées précédemment, je voudrais également mettre l’accent sur La lumière des elfes (réflexion sur la création artistique mettant en scène un narrateur obnubilé par des peintures maintenant disparues, avec une très belle différenciation entre peintures convexes et concaves que je vous laisse découvrir), Le jardin de Charlith (récit d’enfance et de pseudo-innocence envoûtant), L’accroissement mathématique du plaisir (mettant en scène des artistes devant une statue parfaite, et j’ai aimé la description de cette perfection) et L’amour au temps de l’hormonothérapie génétique (qui parle d’une expérience délicieuse et qui marque ma limite dans l’humour déjanté de l’auteur).
Ce ne fut donc pas LA rencontre, mais bien UNE rencontre. Je n’ai pas été autant séduite que je le pensais, mais j’ai aimé certaines choses que j’ai trouvées dans ce recueil. De cette auteur, je retiendrai le côté sombre plus que celui décalé et j’aimerais bien me refrotter à celui-ci, sans trop savoir vers quels autres de ses livres m’orienter (si vous avez des suggestions...).
Au final, L’accroissement mathématique du plaisir est un recueil qui m’a semblé duel, habité aussi bien par des récits à l’humour marqué et déjanté que par des histoires plus sombres, cyniques et nostalgiques. Ma préférence va aux deuxièmes, j’ai moins accroché aux premières. A vous de voir celles qui vous séduiront le plus.
L’accroissement mathématique du plaisir de Catherine Dufour, illustration d’Aurélien Police, Folio SF