Pionniers de la Fantasy (Les)

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Pour tous les historiens de l’Imaginaire, voici évidemment un ouvrage absolument passionnant. Lyon Sprague de Camp (1907-2000) est un auteur bien connu des amateurs, pour son inénarrable cycle de Zeï, si humoristique et récemment réédité, pour son roman De peur que les ténèbres, chef-d’oeuvre de voyage temporel et aussi pour ses éditions (parfois avec Lin Carter) du Conan de R.E.Howard, Bref, un écrivain de Fantasy totalement incontournable qui, de plus, a bien connu ses contemporains et possédait une mémoire prodigieuse. Il est en outre l’auteur d’une monumentale monographie de H.P.Lovecraft.

Le livre que voici rassemble une série d’articles publiés dans Fantastic Stories et Amra de 1971 à 1976, véritable mine d’informations essentielles. Dans un style plutôt direct, proche parfois même du ’parlé’, l’essayiste se fait raconteur d’histoires sur les pionniers de son genre préféré, de William Morris à Terence White, en ajoutant souvent des apartés personnels qui donnent tout leur sel à son analyse, même si l’on ne partagera pas toujours ses coups de coeur, ou ses détestations.

Détestations ? Voilà peut-être un grand mot, mais, curieusement, de Camp ne ménage pas les auteurs qu’il aime et n’hésite pas à souligner la faiblesse littéraire de tel texte ou à vilipender la construction de telle nouvelle. Curieux sadisme dont il est manifestement friand : on le trouvait déjà d’abondance dans sa biographie de Lovecraft. Dénigrer ceux que l’on admire, pourquoi, dans quel but ? Mystère qui n’empêche aucunement d’apprécier au plus haut point cette somme considérable.

Après une préface légèrement hagiographique du compère Lin Carter, le lecteur devra s’arrêter sur l’introduction intitulée joliment « Les épées de Faërie ». De Camp s’y interroge quant à la définition de la Fantasy, la déferlante de son succès depuis Le Seigneur des Anneaux (plus que Conan) en insistant sur le fait que cette littérature est bien plus ancienne que la ’réaliste’, soit celle qui relate ’des histoires de gens ordinaires faisant des choses ordinaires’, qu’il date d’après 1700, et qui deviendra la ’littérature générale’. Pour terminer par cette belle phrase : « A ce jour, la littérature de l’Imaginaire continue à exister dans l’ombre de son adversaire plus jeune ». Puis il parcourt rapidement l’historique, d’Homère à Merritt, en passant par Kipling, E.R. Burroughs et la naissance de la revue « Weird Tales ». C’est alors qu’il entame les études sur les neuf écrivains retenus. William Morris tout d’abord, le ’romantique médiéval’ fondateur de la Fantasy comme le disent tous les livres. Occasion de souligner l’importance du mouvement préraphaélite dans le monde artistique britannique et de l’influence du roman gothique de Walpole ou du roman historique de Walter Scott. Lord Dunsany, l’aristocrate à deux vies, sera fort admiré aussi et illustré par de nombreuses anecdotes aussi amusantes que révélatrices.

Bien sûr, le chapitre consacré à Lovecraft est important. De Camp explique parfaitement l’impact du côté réactionnaire et raciste du reclus de Providence sur son oeuvre, mais insiste aussi sur son évolution tardive vers un certain socialisme. Il parle de la grande influence de son épouse Sonia Green et du séjour à New-York, et enfin, avoue son admiration pour le cycle de Kadath. Eric Rücker Eddison est moins connu chez nous sans doute. Son roman The Worm Ouroboros (1922) capte pourtant longuement l’attention de Camp, grand amateur de sagas nordiques. Il en relate d’ailleurs l’intrigue de manière détaillée.

En abordant le grand R.E.Howard, notre auteur, décidément incorrigible, commence par souligner les défauts de son écriture. Très attaché à l’homme, il détaillera à foison ses goûts vestimentaires, son alimentation, ses petites habitudes de sorte que le lecteur aura l’impression de bien connaître l’auteur de Conan. De Camp s’attache également aux autres héros tels Solomon Kane ou Krull, puis analyse le style de ce conteur-né. Il terminera par le curieux mystère du suicide suite au décès de la mère en un émouvant épilogue. Fletcher Pratt (1897-1956), collaborateur de Gernsback, fut un ami très proche (et co-auteur du cycle de Harold Shea) et de Camp accumule ici les souvenirs personnels. De Camp a connu aussi Clark Ashton Smith, le troisième ’mousquetaire’ du cercle lovecraftien, à l’époque avant tout célèbre par ses poèmes. L’écriture des contes fantastiques ne se déroulera que durant une courte période : il lui doit cependant sa célébrité chez nous. L’Habitant des gouffres, chef-d’oeuvre absolu d’horreur extraterrestre, est cité. De Camp évoquera bien sûr ses nombreuses sculptures mais s’interrogera surtout sur le silence final de Smith, suite au décès de ses parents. Décidément, tous ces écrivains ont eu de fort problèmes relationnels...

L’incontournable Tolkien fait l’objet d’une étude approfondie, du succès mitigé de 1954 jusqu’au prodigieux succès actuel (nous sommes pourtant en 1976, bien avant la sortie des trois films). Il étudie la personnalité du digne professeur d’Oxford, disgresse abondamment à propos de l’ami C.S.Lewis (l’auteur de Narnia et surtout de la Trilogie cosmique) à propos de la foi chrétienne de Tolkien. Résumés des livres et des critiques de l’époque font de cette partie l’une des plus passionnantes de l’ensemble de l’ouvrage.

Denier auteur approché, Terence H.White est également moins connu ici. Auteur de La Quête du Roi Arthur parue en 1958, il restera avant tout pour sa glorification de la matière de Bretagne, manifestement remarquable.

De Camp termine par un dernier chapitre relatif aux ’compères de Conan’, sous lequel il brasse des écrivains tels C.L. Moore, H. Kuttner, L. Barringer, N. Page ou surtout Fritz Leiber et sa belle série de Lankhmar.

« Qu’est-ce qui plaît tant dans la Fantasy ? » se questionne-t-il in fine de son imposant pavé. Son humanité, conclut-il, et la perception d’émotions qui nous ramènent à l’adolescence, l’âge où tout est permis. Ces émotions demeureront pour toujours. Un magnifique livre, écrit passionnément, pour des passionnés. Très chaleureusement recommandé, comme diraient nos amis britanniques.

Lyon Sprague de Camp, Les Pionniers de la Fantasy, trad. : Nenad Savic, illustration Anne-Claire PAYET, Bragelonne, coll. Essais, Paris 2010, 378 p.

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