Chasse au spectre (La)
Encore un étrange objet d’Alain Dartevelle. Polar ? Roman d’aventures ? Récit journalistique ? Poème en prose ? Divagation fantastique ? Un peu de tout cela, sans doute, avec, en plus, cette « Dartevelle touch » qui caractérise toute œuvre de cet auteur majeur de l’Imaginaire belge.
« Ferrovia file ventre à terre, suce ses rails et travées... ». Qu’est-ce que Ferrovia ? Un train fou qui fonce. Où ? Quand ? Pourquoi ? Zéphyrin Lux, journaliste au Crépuscule, parcourt le convoi à la recherche de nouvelles et de potins. Et colle des noms fantaisistes aux personnages rencontrés : Klodomir, Pull jaune, le Chintok, Blair. En prime, son dictaphone s’appelle Rego. Apparaît un fantôme, lors d’un spectacle. Puis suivent les premiers crimes... Telle est la trame indistincte qui tisse le décor improbable et fantasmé de ce qui n’est pas vraiment une intrigue. Tout y est distillé, décrypté, relaté par Zéphyrin, dans un style savamment erratique. Très vite perdu, le lecteur ne trouve aucune bouée à laquelle se raccrocher et se laisse balancer au gré des flots mugissants de la logorrhée datervellesque. L’élision est reine (M’sieur, j’rfuse, foi d’Zéphyrin), et le style règne en maître. Le fantôme est décrit comme « zombi lumineux » ou « tueur impalpable ».
Louvoyant entre les genres, Dartevelle ouvre les vannes à une verve sans nom, souvent jouissive, aussi raffinée que populaire : Zola revu par San Antonio. Parfois, grisé par lui-même, il frise le pastiche ou en remet un peu (la page 93 ne contient qu’une seule phrase). Quelques clins d’œil se glissent au travers des images, comme ce « troupeau aveugle » ou ce « chemineau du rail ».
Un peu épuisé, le lecteur aborde le dernier chapitre tout étonné : le style change du tout au tout (quoique…). Que se passe-t-il ? N’éventons rien : la surprise est bien au rendez-vous.
Ouvrage inclassable donc, sans message évident cette fois, contrairement aux derniers recueils de nouvelles chroniqués ici même. Chassant son propre spectre, Dartevelle s’est diverti en lançant mille images verbales par seconde, en une gerbe d’étincelles crépitantes. De l’Art pour l’art imaginaire, à lire d’une traite, en un seul trajet.
Interview d’Alain Dartevelle ici
Alain Dartevelle, La chasse au spectre, Éditions L’Âge d’homme, collection « Petite Belgique », Lausanne, Suisse, 2014, 119 p., 14 euros.