Zone du dehors (La)

Auteur / Scénariste: 


Nous sommes 2084. Suite à divers conflits nucléaires/bactériologiques (« la radioactivité, c’est la seule éternité créée par l’homme »), la Terre – à l’exception notable du continent africain – n’est plus qu’un vaste champ de
ruines, impropre à la vie. Les régimes politiques du passé ayant ainsi fait la preuve de leur dangerosité, une fraction de l’espèce humaine part s’installer dans l’espace pour y fonder des colonies « sociales-démocrates », havres de paix jalousés de tous, situées aux confins du système solaire. Ces cités parfaites, ces utopies devenues réalité, les « Cerclons », adoptent un tracé concentrique basé sur le fonctionnement du Panoptique inventé par Jeremy Bentham (et popularisé plus tard par Michel Foucault). Ce faisant, elles généralisent à l’échelle d’une ville le fonctionnement carcéral décrit par ces auteurs. Une surveillance permanente de chacun par tous, débouchant sur des comportements anesthésiés qui n’ont de la liberté véritable que l’apparence.

Une démocratie politiquement correcte, infantilisante, où le contrôle s’est intériorisé, s’instaure ainsi. Une démocratie de tous les instants, où la marge de manœuvre des citoyens se limite souvent à choisir entre deux produits identiques au supermarché ou deux politiciens aux programmes interchangeables. Une démocratie qui va jusqu’à s’en prendre à la personnalité des habitants qui la composent, à l’aide d’un classement alphabétique distribuant les patronymes, le « Clastre », hiérarchisant les « dividus » des 1-lettrés (A, par exemple, le Président) jusqu’aux 5-lettrés (Hilpx).

Certes, le gouvernement n’emploie plus ouvertement la violence (physique) qu’à de rares exceptions pour faire régner l’ordre. Mais c’est uniquement car il est parvenu à généraliser la violence (symbolique) à tous les secteurs de l’activité humaine que cela est rendu possible.

Cent ans après la fameuse dystopie imaginée par George Orwell, la situation de l’espèce humaine paraît donc fort compromise.

C’est dans ce contexte, sur un satellite de Saturne, que voit le jour un mouvement visant à instaurer un type différent de rapport social entre les êtres. Un rapport cherchant à maximiser la capacité de chacun à devenir ce
qu’il souhaite plutôt qu’à la minimiser. Un rapport visant à s’arracher aux pesanteurs de l’essence pour exister pleinement (l’enseignement de Nietzsche et des existentialistes nourrit constamment la démarche de ce groupe : « ne soyez rien, devenez sans cesse »). La « Volte » commence son entreprise de subversion systématique en s’en prenant aux symboles de l’exclusion d’une partie de la population au titre d’une logique marchande qu’ils renient. Elle étend ensuite progressivement son influence dans la société en radicalisant ses actions. Elle finit par s’en prendre directement au pouvoir régnant sur Cerclon, dans un face à face qui déterminera rien de moins que la possibilité pour les êtres humains de vivre libres dans l’avenir, ou de s’abandonner à un mode d’existence dévitalisé, transformés en véritables zombies…


Alain Damasio, l’auteur de cet excellent récit de science-fiction, multiple les clins d’œil pour nous faire comprendre que la société de contrôle qu’il décrit ici n’est pas si éloignée que ça de la notre. Il n’hésite pas, tout au long des 491 pages de son roman, à insérer de nombreuses réflexions relevant de l’analyse politique. Le système en place est décortiqué, pièce par pièce, afin de faire apparaître sa nature véritable, contraire selon lui aux aspirations de l’espèce humaine. Il lui oppose une utopie de type anarchisante, en butte à toute idée d’amoindrissement du potentiel individuel, rétive à tout contrôle, à toute limitation. On peut ne pas le suivre sur toute la ligne, mais on ne saurait en revanche lui dénier un vrai travail réflexif ainsi qu’une grande habileté à mêler ces considérations abstraites avec un récit plus romancé.

« La Zone du Dehors » se révèle être par conséquent une œuvre à même de satisfaire tout à la fois les amateurs de récits « volutionnaires » ainsi que ceux goûtant les traités de philosophie politique. Alain Damasio n’oublie pas pour autant de créer toute une galerie de personnages fort bien campés, qui aident à rendre ses réflexions plus digestes, en ce sens qu’ils sont confrontés, dans leur vie quotidienne, aux mécanismes coercitifs analysés dans le livre.

Alors empoignez vos drapeaux noirs, brisez les caméras de vidéo-surveillance, l’heure de la « volution » finale a sonné ! « La Zone du Dehors », livre de combat, vous aidera à décrypter les événements au fur et à mesure de leur déroulement.

La Zone du Dehors, Alain Damasio, 491 p., La Volte

Type: