Contes de la fée verte
Frank nous dit :
Ce recueil de nouvelles aux influences gothiques - la fée verte, c’est l’absinthe, bien entendu - constitue une excellente porte d’entrée dans l’univers décadent de Poppy Z. Brite. Un univers de type « southern gothic », la Nouvelle-Orléans jouant constamment un rôle central dans ces court récits emplis de fantômes, de cadavres fétides et de tombeaux fraîchement creusés, de bayous hantés, ainsi que du reste de l’imaginaire goth.
Mais le récit qui, bien que totalement délocalisé, parvient le mieux à transmettre l’essence de ce genre, la révulsion qu’il est supposé inspirer chez le lecteur, s’intitule « Calcutta, seigneur des nerfs ». Cette nouvelle, qui a d’ailleurs reçu le Grand Prix de l’Imaginaire en 1998, réussit le tour de force de transposer l’essentiel des éléments gothiques en Inde, dans la ville susmentionnée, sans que cela nuise à la puissance de l’effet. Bien au contraire. Cette histoire de zombies mâtinée de religiosité hindoue possède la force putrescente inhérente à tout récit gothique qui se respecte.
Dan Simmons, d’ailleurs, ne s’y est pas trompé. Lui qui avait commis quelques années plus tôt un roman dont l’intrigue se déroulait également dans la noire cité du Bengale (« Le Chant de Kali », son premier livre) a tout de suite repéré la puissance évocatrice de la prose de Poppy Z. Brite. Et il ne tarit pas d’éloges à son sujet.
Le fait de rapprocher la figure du zombie des exclus de Calcutta, qui sont de facto exclus de la condition humaine du fait de leur misère crasse et du système de castes qui les maintient à part, constitue une idée remarquable. Une idée renforcée par le recours à la figure de Kali, cette divinité symbole de mort et de renaissance, cruelle et fascinante tout à la fois.
Bref : ce recueil est fait sur mesure pour quiconque souhaite plonger dans un abîme ténébreux, un sorte de poésie à la Lautréamont, aristocratique et morbide. Toutes les nouvelles ne sont pas de qualité égale, certains écrits de jeunesse de l’auteur laissent un peu à désirer, mais l’ensemble vaut toutefois le détour.
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Chris nous dit :
La fée verte de Poppy Z. Brite n’est pas gentille et pleine de bons sentiments. C’est une fée cruelle qui fait sombrer ses victimes dans la douleur et le néant. Les douze nouvelles qui composent ce recueil ne pouvaient donc qu’être noires et terribles.
L’imagination de l’auteur est fertile et souvent morbide, comme dans Calcutta, seigneur des nerfs où la ville se voit envahie par les morts. Une sorte de normalité s’installe pourtant chez les vivants face à cette monstruosité inexpliquée. Un sujet qui offre un superbe récit.
La musique est un thème récurrent chez P.Z. Brite, qui met fréquemment en scène des musiciens, comme Ghost et Steve, qui tentent de sauver deux frères siamois (Ange) ou découvrent d’étranges vendeurs à New York (Prise de têtes à New York). Des récits où l’on sent la chaleur de la terre, l’oppression de la grande ville, l’impuissance de l’homme.
Etre un enfant n’est pas un sort plus enviable, que ce soit celui de Bobby qui découvre un sapin de Noël magnifiquement illuminé (Paternité), ou celui de l’embryon de Leah qui a décidé d’avorter (Cendres du souvenir, poussières du désir). Des fins invariablement terribles et sanglantes.
Les récits de Poppy Z. Brite sont hauts en sensations car elle fait passer à travers ses textes les senteurs, les odeurs, les sons qui accompagnent les héros à travers leurs aventures. L’écriture est travaillée et crue, profondément entachée de sexe, relatant avec une grande puissance évocatrice les tourments des héros.
Bref, un excellent recueil à redécouvrir.
Les Contes de la fée verte, de Poppy Z. Brite, traduit par Jean-Daniel Brèque, illustré par Jean-Sébastien Rossbach, aux éditions Folio SF.