Ceux qui rêvent

Auteur / Scénariste: 


Suite de Ceux qui sauront, remarquable uchronie parue en 2008, et que j’avais accueillie avec enthousiasme.

Rappelons-nous : en France, le Seconde Restauration s’est installée et l’Ancien Régime revit. Jean, un pauvre saisonnier vit une belle histoire d’amour avec Clara, aristocrate enfuie de Versailles. Nous les retrouvons ici...pour les reperdre, dans la digne lignée du roman d’aventures. En effet, la famille de Clara l’enlève pour la marier de force à un riche industriel des Amériques. Amériques actuellement divisées en cinq royaumes issus des monarchies européennes, toutes conservatrices et oppressives. Jean se lance à la poursuite de sa bien-aimée, fou de désespoir. Car la traversée de l’Atlantique n’est pas chose évidente. Il finira par s’engager au Havre comme machiniste-chauffeur de charbon. L’incendie durant le voyage est magnifiquement décrit. Pendant ce temps, Bordage évoque, en parallèle, la destinée d’Elan Gris, Indien Lakota (Sioux), parqué, comme tous ses compatriotes, dans une réserve, et qui finira par s’enfuir après son initiation, sa vision d’un monde magique et la sensation de protection de son animal-guide : le grizzly. Et, enfin, l’auteur nous fera partager les angoisses de Clara dans l’attente de son mariage par le biais d’un journal, espérant follement la venue de son Jean. Les trois destins s’entrecroisent. Trouvant des alliés surprenants dans la communauté noire de La Nouvelle Orléans, Jean parvient à enlever Clara avant la date fatidique. Pour arriver dans l’Arcanout, à l’ouest des Etats-Unis, qui s’avérera être la terre merveilleuse entrevue par Elan Gris, loin des royaumes, et espace de libertés.

Ce résumé un peu sec ne peut qu’imparfaitement rendre l’impression de fraicheur et d’élan que recèle ce très joli roman de Pierre Bordage, plein d’humanité. En outre, et comme toujours chez cet écrivain français majeur, il est écrit dans une langue admirable, poétique et vigoureuse en même temps. C’est là tout l’art d’un écrivain, aussi grand dans la littérature pour adultes que dans celle pour la jeunesse.

Je ne voudrais citer que deux passages parmi d’autres qui témoignent de cette joie d’écrire : l’incantation du vieil indien Mizzipi sur le cours des choses, et la jolie évocation du blues qui sera le jazz (pp. 202 et 226). Mais ce livre est avant tout un roman d’aventures et tout l’art du narrateur hors pair qu’est Bordage se déploye dans ses relations du voyage de Jean, de la guerre des gangs à New-York, de la traversée des marais, de l’intervention des ours sacrés d’Elan Gris ou de l’ultime convoi des clandestins vers la liberté. Mais... arrivés enfin en Arcanout (AR pour Arizona, CA pour Californie etc.), ils se rendent compte qu’une guerre menace, qui risque d’opposer les cinq royaumes au gouvernement démocratique de l’extrême-ouest. Serait-ce là une porte ouverte pour un troisième volume de cette saga uchronique ? Sans doute.

Tel quel, ce second volet est passionnant, enrichissant, palpitant : tous les ingrédients sont réunis pour un faire un véritable chef-d’oeuvre de la littérature d’aventure.

Pierre Bordage, Ceux qui rêvent, Editions Flammarion, coll. Ukronie, ill. B. Carré, 335 p., 15 €.

Type: