Ceux qui ..., (3 volumes)

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Commençons par dire que la 4° de couverture nous trompe puisqu’elle affirme que la Révolution française n’aurait pas eu lieu, ce qui d’ailleurs eut été possible dans un monde où les masses populaires seraient restées sans instruction ou, pire, avec seulement une instruction suffisamment dirigée par l’Église.

Mais telle n’est pas l’hypothèse de cette série de romans qui se basent sur l’idée d’une seconde Restauration en 1882. Laquelle aurait, de fait, été envisageable dans notre histoire, sous l’œil bienveillant de Mac Mahon qui ne cachait pas ses sympathies royalistes. Mais accompagner cette seconde Restauration de la suppression complète de l’instruction des masses populaires, allant jusqu’à l’interdiction de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique - mesures qui n’auraient été ni possibles ni souhaitables dans un monde où la France voudrait conserver une place -, nous fait complètement sortir du champ des uchronies possibles. La reprise en main de l’enseignement par l’Église aurait été suffisant et n’aurait pas empêché l’existence d’une bourgeoisie éduquée, indispensable aux progrès nécessaires à la possession, ne serait-ce que par les privilégiés, de presque tous les appareils modernes (voiture, avion, computeur - le mot ordinateur n’a pas été inventé dans ce monde) ou presque (la machine à laver est exclue, elle n’est pas utile dans ce monde de servage que décrit la série). Cette bourgeoisie dont l’absence est supposée par le roman serait aussi indispensable à l’aristocratie que les nombreux gendarmes et « cafards » du roman. Et sa servilité et son partage limité des richesses fourniraient éventuellement une cible prioritaire à la vindicte des masses populaires. N’oublions pas dans la liste des problèmes de cohérence celui que pose la persistance des régimes rétrogrades dans le reste du monde. Bref, l’univers proposé comme cadre du roman ne tient pas face aux exigences d’une uchronie crédible.


Ceci étant, le roman devient intéressant à partir du moment où on pousse suffisamment loin la suspension d’incrédulité pour imaginer le monde proposé non pas comme une uchronie, mais comme un univers parallèle basé sur les exigences nécessaires pour permettre l’émergence des personnages qui vont en être les héros ou les protagonistes. Coté héros, nous avons Jean, fils d’ouvrier désireux de sortir de sa condition ou, plutôt de réformer ce monde injuste, et Clara, née « du bon côté de la barrière », qui se révolte d’abord contre les contraintes de sa condition féminine dans ce monde, puis contre toutes les inégalités. Côté adversaires, une aristocratie formée de criminels cyniques qui, non contents d’accaparer la totalité des richesses et créations scientifiques, jouissent devant les massacres répétés à chaque occasion le plus largement possible et une armée et une police de fanatiques sadiques convaincus de leur « bon » droit et que tout autre droit serait folie. Un manichéisme pour le moins excessif... Mais un sujet de roman...

Le premier roman alterne les aventures des deux héros, encore presque ignorants l’un de l’autre même s’ils se rencontrent une première fois assez vite pour se souvenir l’un de l’autre avec regret, jusqu’à leur réunion finale dans l’attente des épisodes suivants de la trilogie. Ce roman vaut d’abord par la richesse de l’étude psychologique de ces deux héros, même si, à côté, les autres personnages ne sont que des accessoires, présentés de manière tout juste suffisante suivant leur rôle dans la dite évolution.
Les deux romans suivants nous les montreront séparés par des circonstances graves, menant des aventures parallèles en vue de leurs retrouvailles. Dans Ceux qui rêvent, Clara est enlevée et envoyée en Amérique, laquelle a été conquise par les monarchies européennes et divisée en cinq autres royaumes, pour être mariée de force à un futur allié de son père. Avec l’aide de Jean, qui sera parvenu à la rejoindre et à trouver des alliés pour la délivrer, elle s’enfuit rejoindre l’Arcanecout, ex-royaume donné aux Autrichiens et devenu l’espoir des opprimés de tout le continent. Et dans Ceux qui osent, séparés par la guerre entre l’Arcanecout et les royaumes coalisés d’Europe et d’Amérique, Clara et Jean vont, l’une comme l’autre, trouver les failles qui permettront la victoire de l’Arcanecout et le retour de l’espoir.
La suite des épilogues qui racontent le plaisir de Clara de retrouver son homme est tout à fait rétrograde. Heureusement que, dans les romans, elle ne se contente pas de se laisser sauver...


Sans nul doute un quatrième volet de la série permettrait-il de montrer comment les révoltes dans les différents royaumes, qui ont permis la survie de l’Arcanecout, vont évoluer... Ceux qui se sont pris au jeu dans cette fantaisie, où hélas quelques contradictions entre l’état des techniques dans le premier volume et dans les suites et l’appel répété à la magie vaudou ou à la protection par Wanka Tonka, rebaptisé Manitou par les westerns, font définitivement sortir la série de la science-fiction rationnelle, retrouveront avec plaisir les héros. Mais, de grâce, Pierre, arrête avec le jeu des intrigues parallèles : laisse-les affronter ensemble les criminels royalistes et leurs serviteurs sadiques. Et se comporter de manière égale, sans répéter le sauvetage systématique d’une Clara impuissante (au moins dans le troisième épisode, ce n’est pas faute d’avoir été active et héroïque) par Jean…

Un détail de plus : si l’Arcanecout doit être la source de la renaissance de la liberté dans le monde, ne serait-il pas temps que le gouvernement le rebaptise États Libres d’Amérique ? Ce qui permettra d’y réintégrer d’autres états au fur et à mesure de leur reconquête ou de leur libération par les habitants sans ajouts saugrenus à ce nom. Je ne sais pas si la suite est déjà écrite (elle ne semble pas être et parue). Si elle ne l’est pas, j’espère qu’elle prendra cette direction.

Ceux qui …, par Pierre Bordage, couvertures de Vincent Madras

1. Ceux qui sauront, J’ai Lu n° 9297, 2010, 318p., 6€70, ISBN 978-2-290-02058-6

2. Ceux qui rêvent, J’ai Lu n° 9862, 2012, 317p., 7€20, ISBN 978-2-290-03586-3

3. Ceux qui osent, J’ai Lu n°10568, 2014, 316p., 7€20, ISBN 978-2-290-08082-5

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