BORDAGE Pierre 03

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Gigante : Au nom du père

Écrire à deux, ça arrive, mais écrire à deux dans deux livres différents pour raconter la même histoire, je crois que c’est inédit. Comment l’idée vous est-elle venue à toi et à Alain Grousset ?L’idée est principalement venue d’Alain. Il voulait travailler avec moi, mais plutôt que l’écriture à 4 mains, nous avons opté pour écrire deux histoires dans un univers créé en commun, l’une complétant l’autre. Nous gardions ainsi notre liberté à partir d’une base établie à deux.

Comment avez-vous travaillé sur ce projet ?Nous avons mis nos idées sur la table. L’idée d’une planète gigantesque vient plutôt d’Alain, mais pour des raisons de plausibilité, nous avons réduit un peu la dimension de notre monde, même si les probabilités restent faibles pour qu’un tel corps céleste existe. À partir de là, les histoires se sont organisées de façon presque naturelle et nous nous sommes lancés dans la rédaction. Très vite, nous nous sommes aperçus que les deux histoires devaient se suivre, Alain s’occupant du père et moi du fils. Avec ce paradoxe propre à la SF que l’histoire du fils se déroule avant celle du père.

Gigante, comme son nom l’indique, est une planète gigantesque où les voyages se comptent pratiquement en génération plutôt qu’en heures, pourquoi ce concept ?Le concept nous semblait intéressant. Le gigantisme de la planète contraint les colons à des voyages dont ils ne verront probablement pas la fin. Ce qui engendre un autre rapport à l’environnement. Et au temps. Ce qui permet également une exploration passionnante de l’âme humaine. On retrouve là des notions de nomadisme et de détachement liées à la longueur des déplacements.

Des planètes pareilles existent-elles et plus généralement, fais-tu beaucoup de recherches avant de te lancer dans l’écriture ?Je le répète : les chances sont infimes pour que de telles planètes existent. Une telle masse devrait en principe s’effondrer sur elle-même. Les recherches se sont arrêtées là : les romans sont faits pour s’affranchir de la norme, non ? Je me dis qu’il existe forcément une ou plusieurs exceptions dans les milliards et milliards de planètes que compte l’univers. Et puis, même s’il n’y en a pas, quelle importance ?

Comment Pierre Bordage élabore-t-il des personnages aussi humains ?Je ne sais pas. Je m’immerge en eux. Ils sont ma chair et mon sang, mes vaisseaux organiques pour explorer le vaste monde et l’humanité sous toutes ses formes. Je vis quelques mois avec eux, ils m’occupent, je m’efforce seulement de mettre l’écriture à leur service.

C’est aussi un roman d’apprentissage. Est-il important d’apprendre quelque chose aux lecteurs ?Apprendre, je n’aurai pas cette prétention. Mais bouger les lignes, oui, déplacer le regard ne serait-ce que de quelques millimètres. Le parcours initiatique permet le changement, à la fois du personnage et du lecteur qui, si un auteur a bien fait son travail, doit ressortir changé - un tout petit peu hein - de sa lecture. Une ambition déjà inouïe, j’en suis conscient.

Y aura-t-il une suite ?Pas de ma part, ni de celle d’Alain, mais, comme la planète offre de multiples possibilités, d’autres auteurs ont manifesté le désir d’écrire une histoire sur Gigante. À suivre, donc… 

 

Le jour où la guerre s’arrêta

Un conte spirituel et onirique à la fois avec un enfant aux pouvoirs étonnants comme héros. Qui est vraiment ton héros, une sorte de Pierre Bordage sublimé ?Dans le fond, oui, sans doute. L’auteur est un principe immatériel qui explore librement le cœur de l’humain, comme l’enfant. Je me suis retrouvé en lui. Enfant, j’avais cette naïveté et cette curiosité qui me poussaient à m’intéresser aux autres. Le personnage n’a pas vraiment de consistance : sans mémoire, il n’est relié à aucun fil particulier, mais à tous. Il n’a aucun a priori, aucun conditionnement, ce qui lui permet de percevoir l’essence de ceux qu’il rencontre et non leurs apparences. Le rôle également de l’auteur, il me semble.

Ton héros lit dans les âmes, aimerais-tu toi aussi lire dans les âmes des hommes ?Heu, je n’en suis pas sûr. Si je ne lis pas dans les âmes, c’est que je n’ai pas le niveau de le faire, en tant qu’être humain je veux dire, et que, donc, il vaut mieux pour moi et pour le monde que je me contente de le faire en tant qu’auteur : )

Un livre qui aimerait apporter une réponse à la stupidité des hommes, mais cela est-il possible ? Qu’est-ce qui cause le malheur des hommes d’après toi ? Et y a-t-il moyen de renverser la tendance ?Une réponse ? Non, mais une piste, un chemin à parcourir, au moins essayer, parce que le reste ne fonctionne pas, ni les révolutions, ni les religions, ni le prétendu paradis matérialiste. Il me semble que le malheur de l’humanité se tient dans la perte de conscience, dans l’illusion engendrée par les sens, dans le règne de l’apparence. Il conviendrait peut-être de percer le voile, de nous scruter au plus profond, de nous relier à l’essence des choses, de nous réinsérer dans la trame sous-jacente. Nous sommes dans un mécanisme perpétuel d’action/réaction (véritable définition du karma) et nous devons nous en sortir pour sortir de la souffrance (de préférence à la stupidité). 

Ce jeune garçon ne sait pas qui il est, et toi, sais-tu qui tu es ?Eh non, pas vraiment. Je sais ce qui m’embarrasse, ce qui me fait souffrir, je connais quelques-uns de mes désirs, quelques-unes de mes qualités, quelques-uns de mes défauts, mais une grande partie de Pierre Bordage me reste inconnue, comme si certaines faces de ma planète restaient obstinément plongées dans l’ombre. J’essaie de percer mon propre voile et l’écriture est, pour cette tâche, un outil d’exploration précieux.

Faut-il avoir le regard d’un enfant pour vouloir changer le monde ?Si un regard d’enfant est synonyme d’émerveillement, de nouveauté, alors oui, il faut avoir ce regard frais et neuf pour changer le monde, n’avoir aucun conditionnement, aucune réaction, seulement regarder les choses telles qu’elles sont, ne pas juger et laisser les chemins s’ouvrir. Encore une fois, comme les solutions essayées n’ont pas fonctionné, il faudrait peut-être penser autrement. Ne plus penser justement, laisser le cœur et l’âme prendre le relais du mental pour proposer des pistes vierges. Les héros tels que définis par Joseph Campbell sont toujours jeunes et niais — dans le sens originel de l’innocence.

Quels sont tes projets ?Un space opéra paraître chez J’ai Lu fin 2015. Il est déjà écrit et s’intitule Résonnances. J’en suis aux corrections. Je projette ensuite d’écrire un nouveau roman pour l’Atalante, puis une fantaisie. D’ici, là, il peut se passer une multitude d’événements. La seule permanence, finalement, c’est le changement : )

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