Déchronologue (Le)

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Le mieux est l’ennemi du bien et trop de battage autour d’un livre tend à placer la barre d’évaluation trop haut. Si Le Déchronologue est un très bon livre, ce n’est tout de même pas le chef-d’oeuvre immortel à faire blêmir les mânes de Cervantes, de Shakespeare et de Victor Hugo réunis qu’annoncent certains sur les forums. Et c’est moins encore le pensum réservé aux lecteurs avertis et visant à sélectionner les super-lecteurs que veulent en faire certains des intervenants.

Les références que je vois (ce roman n’est pas sorti de nulle part, mais de la réutilisation et discussion soigneuse d’idées existantes, je ne citerai pas celles que j’ai cru identifier) ont été très soigneusement travaillées, non sans un talent certain. Même si, d’une certaine façon, l’histoire se passe dans un univers quelque peu uchronique, ne serait-ce que par le fait que les colonies anglaises et françaises d’Amérique semblent ignorées (en insistant sur la bulle papale qui a partagé les nouvelles terres entre Espagne et Portugal, l’auteur semble sous-entendre que les autres nations n’ont pas du tout développé de colonies, ce qui place la divergence avec notre histoire bien avant l’apparition des maravillas, ces objets venus du futur qui vont, en moins de quinze ans, transformer le monde ou, plutôt, la mer des Caraïbes, cadre de l’histoire. Le drame se joue entre l’intervention d’individus venus du futur, certain, trotskystes, qui s’appuient sur les indigènes Itzas (mayas) pour organiser une révolte contre les colons espagnols ; d’autres, Américains, arrivés avec leur porte-avions pour s’emparer du pouvoir ; d’autres encore, qui se font appeler Targui, prétendent ne jouer qu’un rôle d’observateur, mais n’aident pas moins les habitants à résister aux envahisseurs. Enfin, le drame se noue avec les tempêtes temporelles qui accompagnent l’apparition des visiteurs et des maravillas, et causent la rupture de tout lien entre la région et l’Europe, dont on suppose qu’elle a été ravagée par ces tempêtes et transformée en désert. Dans ce tableau de désastre, certains flibustiers essaient de survivre, et de permettre aux autres de survivre. L’histoire est narrée par un de ces flibustiers, Henry Villon, qui se trouve placé au coeur des conflits.

Ceci étant, le roman aurait beaucoup gagné à ne pas ajouter, inutilement à mon avis, la déstructuration littéraire liée à des chapitres en ordre dispersé, non chronologique, à la déstructuration historique que raconte l’histoire. Le récit est présenté comme les mémoires du héros, écrits au moment de la bataille finale. Mais de tels mémoires, même s’ils commencent logiquement par l’annonce de la fin au premier chapitre, auraient dû être écrits en suite de façon à peu près chronologique, avec éventuellement sautes et retours en arrière, mais malgré tout beaucoup plus structurée et logique que cela n’est le cas ici. Parce que cela ne sert à rien de soumettre le lecteur à une épreuve de capacité logique qui, malgré tout, diffère profondément de celle subie par le héros et qui, d’autre part, sera fatale à la plupart des lecteurs, à tous ceux qui n’ont pas déjà au moins dix ans d’entraînement à la déstructuration du récit par certaine littérature (SF la plus intellectuelle ou certains auteurs), ou les capacités d’un Bean (le héros de Ender’s shadow).

Avec simplement une remise en ordre chronologique des chapitres I à XXV (quitte à introduire des retours en arrière ponctuels, motivés par la réflexion du narrateur), le roman gagnerait une lisibilité et une cohérence nouvelle, et quitterait la catégorie des « romans réservés aux auto-masturbateurs mentaux » avec laquelle il flirte dangereusement.

Stéphane Beauverger, Le Déchronologue, illustrations Corinne Billon, 396 p., La Volte

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