Forêt de Cristal (La)

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On ne le répétera jamais assez : la lecture de l’oeuvre de J.G. Ballard est absolument nécessaire à quiconque souhaite questionner la société dans laquelle nous vivons ainsi que ce vers quoi nous tendons collectivement (ne serait-ce que d’un point de vue inconscient). Auteur essentiel, grand décrypteur du sens sous-jacent des développements technologiques de notre époque, chacun de ses textes nous plonge dans une réalité légèrement déformée, perçue comme au travers d’un prisme, où les notions de temps, de devenir, de rapport à autrui et à nos fantasmes, de mythologies déviantes (voire perverses) et de désenchantement "houllebecquien" infusent puissament les récits que le Britannique a aligné au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler.

"La Forêt de Cristal", roman publié en 1966, ne déroge pas à la règle. Cette apocalypse lumineuse, toute en vitrification, appartient à un quatuor de récits se penchant sur la question de la fin ultime de toutes choses (les trois autres étant : "Le Vent de nulle part" 1961, "Le Monde englouti" 1964 et "Sécheresse" 1965). Ballard ne s’appesantit pas sur l’aspect "scientifique" de la narration, mais voici en quelques mots ce dont il est ici question : à la suite d’une faille temporelle, un processus de cristallisation du monde voit le jour en divers points du globe. Ce processus, qui passe d’abord inaperçu du fait de son caractère silencieux, minéral, gagne progressivement en importance et rien ne laisse penser qu’il soit possible de l’enrayer. Une gigantesque marée cristalline, semblable à une nappe de glace, s’étend peu à peu, recouvrant tout sur son passage, intégrant à sa masse transparente les éléments - tant végétaux, qu’animaux ou humains - qui ont le malheur ( ?) de se trouver sur son passage. L’humanité se voit donc confrontée non pas à un nouvel "Age de Glace", mais bien à un "Age de Cristal" (rien à voir avec le film, toutefois !) qui menace de l’engloutir à tout jamais, la figeant ainsi dans une éternité à laquelle elle ne saurait aspirer autrement.

Le lecteur est entraîné dans le sillage du Docteur Edward Sanders, qui abandonne pour un mois la léproserie où il officie habituellement afin de partir à la recherche d’un couple d’amis dont il est sans nouvelles depuis trop longtemps. Max Clair et sa femme, Suzanne (qui fut jadis la maîtresse d’Edward), sont en effet venus s’installer à proximité de la clinique de Mont Royal, dans la forêt camerounaise, jouxtée d’une ribambelle de communautés minières héritées de la période coloniale française. Or, il va bientôt s’avérer qu’en ce lieu reculé se développe en secret, loin des yeux de la civilisation, une de ces "tumeurs" cristallines que certains accueillent, à la grande surprise initiale de Sanders, avec un enthousiasme confinant au mysticisme. Ce n’est pas en effet vraiment la mort qui attend les êtres pris dans cette gangue, mais une sorte de vie éternelle - quoique dépourvue des attributs habituels de la vie animale, à commencer par la possibilité de se mouvoir - que bon nombre semblent attendre comme une libération des tourments que nous rencontrons tous dans le flot de l’existence.

La quête du Docteur Sanders, sa remontée du fleuve (du temps) en direction de l’amont, perdu au sein de la jungle (matérialisation de l’inconscient), rappelle bien entendu celle entreprise par Marlow, le héros d’"Au coeur des Ténèbres", le célèbre roman de Joseph Conrad.

Sauf qu’ici, ce ne sont pas les ténèbres qui attendent Sanders, mais "l’homme illuminé", transfiguré...

James Graham Ballard, La Forêt de Cristal, traduit de l’anglais par Michel Pagel, 190 p., Editions Denoël

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