FAZI Mélanie 01
Bonjour, Mélanie Fazi, peux-tu te présenter en quelques mots ?
En quelques mots... Je partage mon temps entre l’écriture et la traduction. Je gagne principalement ma vie comme traductrice et j’ai publié trois livres dans le domaine du fantastique, deux romans et un recueil pour l’instant.
Tu écris depuis quel âge ?
J’écris sérieusement depuis l’âge de 17 ans, de manière continue je veux dire. Sinon j’ai toujours inventé des histoires, écrit et dessiné. Donc j’écris depuis que je suis petite, mais plus sérieusement depuis mes 17 ans.
Et ton premier bouquin a été publié long temps après tes 17 ans ?
J’ai d’abord publié des nouvelles dans des anthologies. La première, je l’ai écrite à 21 ans et publiée à 23. Il s’est donc passé quatre ans entre le moment où j’ai repris l’écriture de manière plus sérieuse et l’écriture de ma première nouvelle professionnelle. Et deux ans de plus avant sa parution.
Ton premier roman est paru en 2003, Trois pépins du fruit des morts. Tu peux nous en dire quelques mots ? Un résumé ?
Il est assez difficile à résumer car il n’est pas construit de manière très linéaire. Il est question d’une adolescente qui est mal dans sa peau, obsédée par ses origines grecques et la mythologie grecque, et qui disparaît. Quand elle revient deux semaines plus tard, sa mère s’inquiète de son comportement étrange. Elle dit avoir rencontré une femme qui prétend être la déesse Perséphone. Ensuite, le roman aborde différents thèmes qui sont difficiles à présenter en quelques mots. La mythologie est vraiment centrale dans ce roman.
Comment as-tu pensé construire ton histoire autour de la mythologie grecque ?
Déjà, je m’y intéresse depuis l’enfance, car j’avais un livre sur le sujet qui me passionnait. Mais comme il était destiné aux enfants, je ne connaissais que les grandes lignes des mythes. Au départ de ce roman, il y a d’abord eu une nouvelle, qui n’était pas très réussie. J’ai eu d’abord l’idée de ce personnage d’adolescente mal dans sa peau qui rencontrait une femme un peu étrange. Et je ne sais pas pourquoi, du jour au lendemain, un déclic s’est produit et j’ai su que cette femme était Perséphone. Mais c’était au départ une simple association d’idées, pas une volonté consciente d’aborder ce thème. A partir de là, j’ai développé et je me suis penchée plus en détail sur le mythe de Perséphone. Au départ, c’était une nouvelle.
Elle n’a jamais été publiée ?
Je l’ai fait lire dans sa première version à plusieurs personnes qui m’ont dit qu’on n’y comprenait rien. Donc je l’ai reprise en la développant mais le résultat n’était pas encore au point. L’idée du roman est venue plus tard, sur un déclic là encore. Mais la nouvelle elle-même est un peu bancale, je ne vois pas trop l’intérêt de la publier.
En fait selon mes sources, ton premier texte écrit Arlis des forains, remanié, a été publié après Trois pépins du fruit des morts, en 2004.
Oui, mais sous une forme différente car Arlis était au départ une très longue nouvelle, pas encore un roman. J’aimais beaucoup les personnages et le décor mais je m’étais retrouvée coincée sans sa voir comment développer l’intrigue. J’ai fini par trouver une idée et par écrire une nouvelle qui devait faire entre 60 et 70 pages imprimées. Comme je n’en étais pas satisfaite, j’ai essayé de l’al longer en roman mais je n’étais toujours pas contente. Quand je le faisais lire autour de moi, les retours étaient positifs mais tout le monde trouvait qu’il y avait un problème, sans réussir à définir lequel. Quand le roman a été accepté chez Bragelonne, c’est Stéphane Marsan qui a mis le doigt sur ce problème. A partir de là, j’ai retravaillé le texte. Dans la version publiée, il y a environ 2/3 du texte original et 1/3 remanié.
Et tu l’as remanié de quelle manière ?
C’est un peu bizarre à expliquer car les scènes principales étaient les mêmes, mais l’explication surnaturelle qui les sous-tend a totalement changé. En fait, le problème se trouvait dans cette explication et le décalage qu’elle créait entre les personnages et ce qui leur arrivait, mais avant la lecture de Bragelonne, personne n’avait mis le doigt sur ce problème. J’ai gardé les mêmes personnages, la même ambiance, certaines scènes sont les mêmes, mais tout le récit tend vers quelque chose de différent. J’ai donc repris le roman dans une optique assez différente. J’ai ajouté des scènes, retouché ou déplacé des passages, développé certains personnages. Dans ce roman-là, l’enfance et l’adolescence semblent très importantes.
Pourquoi ? Est-ce par rapport à ta propre vie ?
Cela dépend beaucoup des périodes. J’ai eu des périodes où j’écris beaucoup sur l’enfance, mais dans mes textes récents, tous les personnages sont adultes. Cela doit correspondre à une réflexion à un moment donné. Concernant le thème de l’enfance qui revenait beaucoup, je vois deux explications : d’abord, de mes 17 ans à la publication vers 21 ans, j’étais encore très proche de l’adolescence. J’avais donc plus de choses à dire sur le sujet. Et puis je pense qu’on revient toujours à son enfance : c’est une période qui nous hante et qui nous construit en tant qu’adulte. Mais je n’ai pas d’explication plus détaillée concernant la fascination que j’ai pu avoir pour ce thème.
Le monde des forains est un monde qui t’intéresse ? Pourquoi avoir fait d’un forain un personnage ?
Je suis toujours embêtée quand on me pose cette question car je ne m’en souviens plus. C’est venu naturellement quand j’ai créé les personnages, mais j’ai oublié quel a été le déclic. Ce n’est pas un thème pour lequel je me sois particulièrement passionnée avant. C’est peut-être simplement une question d’images ou d’ambiance, quelque chose de très visuel.
En 2004, Serpentine, ton recueil de nouvelles est paru. C’est plus facile pour toi d’écrire des nouvelles ou des romans ?
Des nouvelles, depuis toujours. D’ailleurs, mes deux romans étaient des nouvelles au départ. C’est pour moi la forme la plus naturelle. Mais sous forme de recueil, c’est plus difficile à publier. Mon problème est d’être tiraillée entre mon envie d’être nouvel liste et la pression de l’extérieur qui me répète qu’il est plus intéressant d’écrire des romans, d’un point de vue stratégique. Mais plus le temps passe et moins j’ai envie de me forcer : si une idée de roman me vient spontanément, je vais l’écrire, mais je n’ai pas en vie de me creuser la cervelle pour aller la chercher. Les nouvelles, pour moi, c’est vraiment quelque chose de très spontané.
Et ces nouvelles sont-elles reliées entre elles ?
A priori elles sont indépendantes mais il y a des thèmes récurrents comme par exemple l’enfance et l’adolescence, ou encore la musique. Mais je n’ai jamais eu de volonté consciente de relier les textes entre eux.
Quelle est ta nouvelles préférée et pourquoi ?
Il y en a plusieurs, ça dépend des périodes. Dans Serpentine, il y en a deux. “Matilda”, une nouvelle qui se passe pendant un concert et que je tenais à écrire car je fréquentais beaucoup les salles de concert à ce moment-là. Et j’ai été très surprise par les réactions enthousiastes des lecteurs qui disaient y retrouver les sensations des concerts. L’autre nouvelle, c’est “Nous reprendre à la route”. C’est un texte un peu classique dans sa construction, mais j’aime assez son ambiance et ses images. Il fait partie des quelques nouvelles que je peux relire avec plaisir, avec le recul. J’ai eu aussi des retours très intéressants sur ce texte. C’est une nouvelle que je suis contente d’avoir écrite.
Tu as reçu plusieurs prix : le prix Merlin en 2002, le prix Masterton en 2005, le Grand Prix de L’Imaginaire en 2005. Qu’est ce que cela a changé pour toi, en tant qu’écrivain et même en tant que personne ?
Concrètement, pas grand-chose. C’est surtout un encouragement, et une façon de marquer des étapes. Le premier Merlin que j’ai reçu pour la nouvelle “Matilda” a été un des plus grands encouragements que j’ai reçus. Comme si recevoir ce prix me confirmait que j’étais sur la bonne voie, que j’avais raison de faire les choses selon mes envies. A part cela, je ne sais pas si cela change les choses… Je parlais de la difficulté de publier des recueils, et de la pression de l’extérieur qui pousse plutôt à écrire des romans. Comme si on essayait de me dire que je ne faisais pas les choses « comme il faudrait ». Quand j’ai reçu le Grand Prix de l’Imaginaire pour Serpentine, j’ai eu l’impression qu’on me confortait dans mon envie d’être nouvelliste et de suivre mes envies d’écriture. Pour moi, les prix représentent surtout cet encouragement-là.
Finalement, tes textes ont été publiés dans un laps de temps assez temps court. Comment t’expliques-tu cela ?
C’est une simple coïncidence, car je n’écris pas beaucoup. C’est quelque chose qui me pose problème. Trois livres sont sortis coup sur coup, et là, comme je suis très lente à préparer le suivant, il y aura eu un intervalle de quelques années entre ces trois-là et le quatrième.
C’est curieux mais en 2002, trois projets se sont montés en même temps, sans que l’initiative vienne de moi.
Enfin, pour Arlis des forains, c’était un peu le cas, car on m’avait conseillé de le faire lire chez Bragelonne pour avoir un avis d’éditeur. Mais je n’avais jamais pensé qu’ils seraient intéressés par la publication du roman. Le recueil, c’est l’Oxymore qui me l’a proposé, et concernant Trois pépins, je venais de le finir quand j’ai rencontré Fabrice Bourland, le directeur de la collection Fantastique chez Nestiveqnen, qui m’a demandé si j’avais quelque chose à lui proposer. Bref, en moins de six mois, trois projets se sont montés.
Du coup, on me demande souvent si je suis très prolifique mais ce n’est pas le cas, et c’est quelque chose qui me pose un réel problème.
Donc, tu n’écris pas très rapidement. Tu retravailles tes textes, ou tu as un plan ,ou tu te laisses porter par tes personnages ?
En fait, ce n’est pas que j’écrive lentement : la rédaction va très vite. Le problème, quand j’ai une idée, c’est qu’il faut souvent un long moment avant que l’ensemble soit assez cohérent pour que je puisse l’écrire. Parfois, ça prend des mois pour une nouvelle de quelques pages. Donc entre l’idée, la phase de maturation, la rédaction, la correction et l’attente des premiers avis, ça prend facilement un mois ou deux, même pour une nouvelle très courte. Et j’ai du mal à embrayer sur un autre texte avant la fin de ce cycle.
Je ne peux pas commencer à écrire si l’idée n’est pas à maturation. Après je rédige assez vite, je corrige plusieurs fois et je fais lire à plusieurs personnes de mon entourage, toujours les mêmes. Il y a toujours une phase un peu bizarre entre la fin de la rédaction et le moment où je reçois l’avis du premier relecteur : entre les deux, le texte n’existe pas vraiment. C’est la partie la plus difficile pour moi. Après ce premier avis, je peux retravailler.
Ton style est tout en demi-teintes, en subtilités, plein d’ambiance. Cela te correspond-il ? Est-ce une bonne définition de ton style ?
Bonne question. Je ne sais pas, cela doit me correspondre quelque part mais je n’y ai jamais réfléchi. Comme j’utilise beaucoup d’émotions ou de situations que j’ai vécues moi-même, oui, les textes me ressemblent forcément. J’écris sur des thèmes ou des images qui m’ont touchée personnellement. Mais pour ce qui est des demi-teintes... oui, ça correspond probablement à un trait de caractère chez moi, mais j’ai du mal à préciser.
Tu es aussi traductrice. Cela t’aide d’être écrivain pour faire ce métier ? Ou le contraire ?
Oui et non. La traduction est un bon exercice pour l’écriture. Comme je le disais, je passe assez peu de temps à écrire mes propres textes, par manque d’idées. Mais je passe mes journées à travailler sur l’écriture et le style des auteurs, sur le rythme. Donc c’est un exercice d’écriture concret au quotidien qui a des conséquences sur ce que j’écris. Dans ce sens, c’est enrichissant.
Dans le sens inverse, je ne sais pas. J’ai eu beaucoup plus de difficultés à apprendre à reformuler les textes en bon français que j’en ai eu à apprendre à écrire, car pour traduire, il faut se détacher de l’anglais. Et puis comme j’ai mon style, une manière d’écrire qui m’est propre, j’ai toujours peur de plaquer mon style sur celui de l’auteur. Ca, est-ce un avantage ou pas ? J’ai pas assez de recul pour m’en rendre compte
Quand as-tu commencé ce métier ?
Je traduis à temps plein depuis 2002, donc ça fera cinq ans cet été. Mais avant ça, j’ai passé trois ans à traduire des nouvelles pour la revue Ténèbres, les Editions de l’Oxymore et différents supports.
Choisis-tu les textes que tu traduis ? Si oui, comment ?
J’ai déjà refusé un texte à traduire parce que ce n’était pas ma tasse de thé. Il se fait que l’éditeur avait aussi autre chose à me proposer. Donc ce n’était pas un problème. Mais si on me propose un texte qui ne me plaît pas et que je n’ai rien d’autre à ce moment, je vais sans doute l’accepter quand même. Dans le cas de Bragelonne avec qui je travaille depuis cinq ans de manière régulière, ils commencent à bien connaître mes goûts. C’est rare qu’ils m’aient proposé un livre que je n’ai pas aimé. Ils savent ce qui m’intéresse. En théorie, donc, je peux choisir si plusieurs livres se présentent en même temps.
Comment considères-tu ce métier de traductrice ? Qu’est-ce que cela t’apporte d’un point de vue personnel ?
Ca s’est fait par un concours de circonstances mais en fait, avant de commencer les études de traduction, je n’y aurais pas pensé car ce n’est pas le genre de métier dont on nous parle à l’école. J’ai compris que ça me plairait quand j’ai commencé une année de DESS de traduction. C’est une activité intéressante en tant qu’exercice sur l’écriture, et ça permet de voir comment les auteurs fonctionnent, de s’immerger totalement dans leurs livres. Et ça me permet d’avoir une activité qui est proche de l’écriture, mais qui n’est pas l’écriture de mes propres textes. Je n’aimerais pas écrire à temps plein. J’aime avoir une autre activité que l’écriture à laquelle penser le matin quand je me lève, j’en ai vraiment besoin. Et accessoirement, cela rapporte plus d’argent que l’écriture.
Tu as traduit de très grands auteurs et quel est pour toi le meilleur roman que tu ais traduit ?
Le meilleur, je ne sais pas parce qu’il y en a plusieurs que j’ai adorés. Celui avec lequel je me suis sentie le plus en adéquation, c’est Lignes de Vie de Graham Joyce. J’ai eu l’impression qu’il se passait quelque chose de fort, j’avais l’intuition de sentir assez naturellement comment traduire ce livre, comment rendre son style. Et d’un autre côté, c’est un livre qui ressemble à ce que j’adorerais être capable d’écrire moi-même plus tard. J’ai adoré d’autres livres mais pas avec ce lien aussi fort.
T’arrive-t-il de proposer des traductions ou des auteurs à des éditeurs ?
C’est pas comme cela que cela marche. Ce serait peut-être possible pour des nouvelles, car je pense que l’idée de ligne éditoriale n’est pas la même. Le problème, c’est que les éditeurs ont déjà trop de romans potentiels à traduire, ils n’auraient pas forcément de place dans leur planning pour des livres que je leur présenterais. Sans compter que je lis beaucoup moins qu’avant, donc je fais peu de découvertes. Mais si quelqu’un cherchait des nouvelles, par exemple, je pourrais tenter de placer celles d’auteurs que j’aime particulièrement, comme Lisa Tuttle, qui n’a pas été publiée en France depuis longtemps.
A part l’écriture, quelles sont tes autres passions ?
La musique, et je crois que cela se ressent dans ce que j’écris. J’écoute de la musique en permanence et je vais à beaucoup de concerts, par périodes. Sinon, en dehors de la lecture qui est liée à mon travail, j’ai des intérêts assez classiques comme faire la cuisine, aller au cinéma ou faire de la photo, mais ce ne sont pas réellement des passions. Je crois qu’en dehors de la lecture et de l’écriture, la seule vraie passion que j’ai reste la musique.
Pourquoi l’écriture ?
Au départ, je voulais m’exprimer par le dessin. Mais je me suis retrouvée bloquée, à l’adolescence : j’avais un style plutôt humoristique, je dessinais des personnages à tête d’animaux, mais j’avais envie de dessins plus réalistes et je voyais bien que je n’y arrivais pas, qu’il me manquait la technique et le niveau. Donc j’ai laissé tomber. Peu de temps après, je me suis remise à écrire et j’ai trouvé que ça me convenait mieux. Mais j’ai du mal à expliquer pourquoi. J’ai remarqué quelque chose d’intéressant : pas mal d’auteurs ou de traducteurs ont appris la lecture ou l’écriture en autodidactes, avant l’âge où on apprend normalement à l’école, et c’est aussi mon cas. Je pense qu’il doit y avoir un intérêt très fort à la base, quelque chose qui nous pousse naturellement vers tout ça.
Quel est le livre que tu aurais aimé écrire ?
Il y en a beaucoup... Ces temps-ci, je relis beaucoup Stephen King et il a fait pas mal de choses que j’aurai aimé écrire. Comme “Misery” et “Dolores Claiborne”... Certains livres de Graham Joyce, aussi... En littérature générale, il y a Nancy Huston et notamment son roman “Dolce Agonia”. Je trouve son écriture vraiment magnifique. Sinon, il y a beaucoup de bouquins que j’adore mais pour lesquels je ne me dis pas forcément “j’aurai aimé l’écrire”.
Quel est le don que tu aimerais avoir ?
Faire de la musique.
Si tu rencontres le génie de la lampe, quels voeux formulerais tu ?
Avoir des idées d’écriture plus souvent. J’aimerai produire plus mais je n’y arrive pas.
Quels sont tes projets ?
J’ai un projet de livre dont je ne peux pas encore parler. Il est en cours, mais il prend plus de temps que prévu. Sinon, j’ai une nouvelle à paraître dans une anthologie sur le thème de la naissance, (Pro)Créations, qui sort en avril. Et puis “Élégie”, une des nouvelles de Serpentine, paraît en juin aux USA dans le « Magazine of Fantasy and Science-Fiction » et je suis assez impatiente de voir ça.
Grand merci.
Critique de Serpentine
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Interview 2