LE ROY Philip 02
« Le Dernier Testament » a eu beaucoup de succès. Il a gagné le Grand Prix de la Littérature Policière. Que s’est-il passé depuis la publication de ce livre, aussi bien dans ta vie que dans ton écriture ?
Ce prix prestigieux a relancé la carrière du livre qui était sorti depuis presque un an. A l’échelle nationale mais aussi internationale, puisque j’ai obtenu cette récompense au moment du lancement du « Dernier Testament » en Italie. Cela a conforté l’intérêt des lecteurs, mais aussi des journalistes et des libraires, pour le personnage principal. J’ai donc continué l’aventure avec Nathan Love et imaginé son retour dans « La Dernière Arme ». Il y avait encore beaucoup de choses à dire sur lui. En tous cas, c’est une chose merveilleuse d’avoir la reconnaissance du public et de la critique.
Cela a-t-il changé quelque chose dans ta façon d’écrire ?
Pas du tout. J’écris pour les lecteurs et j’écris ce que j’aimerais lire. L’objectif prioritaire est de raconter une histoire. Une histoire solide, bien construite, rythmée, la plus haletante possible pour donner envie de tourner les pages. Et aborder une thématique suffisamment séduisante pour avoir envie d’y travailler dessus pendant deux ans.
A l’époque quand je t’avais interrogé concernant « Le Dernier Testament », tu m’avais dit que tu avais déjà l’idée pour la suite. As-tu changé d’idée en cours de route ?
Non, j’avais déjà l’idée du thème de « La Dernière arme ». Un personnage comme Nathan ne peut se confronter qu’à des intrigues extraordinaires. Je ne vais pas le mettre sur une petite affaire de serial killer, un fait divers, une disparition banale. Il faut que l’enjeu soit planétaire pour que je puisse exploiter ses talents et ses capacités. Cela réduit donc le champ des possibilités. Je suis attiré par les sujets qui traitent du fonctionnement du monde. Dans « Le Dernier Testament » j’avais traité du pouvoir religieux. Dans « La Dernière arme », je m’attaque au pouvoir économique qui est de loin le plus puissant. Le sujet me tendait donc les bras. Il fallait trouver l’intrigue qui soit à la hauteur tout en touchant le lecteur. C’est pour ça que j’ai imaginé ces disparitions mystérieuses.
Tu me disais aussi que tu voulais faire rêver tes lecteurs, les faire voyager, leur susciter une réflexion sur le monde. Est-ce toujours le cas ?
Oui, car je me situe dans le thriller, sans m’enfermer dans le polar qui n’offre que le point de vue des policiers, voire des truands, sur une enquête. Ce qui m’intéresse, c’est le point de vue des différents intervenants y compris de la victime. Chez moi, les policiers sont des personnages secondaires. J’essaie de faire rêver lecteur, de lui faire voir le monde autrement, mais aussi de lui faire peur, en le déstabilisant, en lui montrant quelque chose d’inhabituel. Faire naître l’angoisse, créer une tension que je vais tenter de maintenir jusqu’à la fin, multiplier les rebondissements, ce sont des techniques narratives avec lesquelles je me sens à l’aise.
Ton héros voyage de par le monde, en Afrique, au Japon, dans la mer de Chine. As-tu visité ces lieux et comment les choisis-tu ?
J’envoie mon personnage dans les pays que je connais ou que j’ai traversés. Là, je rentre de Thaïlande, qui servira probablement de décor dans mon prochain roman. J’ai envie de faire partager au lecteur les sensations liées aux voyages, lui montrer une partie du monde qu’il ne connaît pas forcément. Les plus beaux endroits, mais aussi les plus laids, les plus infâmes. J’ai envie de montrer le pire et le meilleur, le yin et le yang, du dépaysement mais pas dans l’indifférence.
Je trouve que ton personnage évolue nettement par rapport à la première histoire. Il recherche toujours la Vérité, mais il se laisse aussi plus envahir par l’Amour. Il cache un peu moins ses émotions. L’as-tu fait évoluer de manière consciente ?
Je fais en sorte que cela se passe naturellement. Je ne vais pas calculer, commencer à écrire le roman en me disant, tiens Nathan Love va faire ça de telle façon, va aller à cet endroit résoudre telle énigme. Je veux que le déroulement soit naturel, crédible, comme dans la vie. A partir de la situation de départ que j’ai élaborée dans les moindres détails, je lâche mes personnages et c’est à eux de se débrouiller. A la fin du « Dernier Testament », on se dit qu’il est impossible que Nathan Love revienne. Il m’a donc fallu au moins le concours d’un profiler, en l’occurrence une profileuse, pour que son retour soit crédible. Cette profileuse, Belge, qui connaît la science du comportement, va l’étudier, le manipuler, lui faire entrevoir ce qu’il rate en restant sur son île déserte. Elle va être une tentatrice dans son eden. Nathan Love est partagé entre un détachement typiquement zen (pratiquer le bouddhisme et supprimer toutes les sources de souffrance en se retirant), et le monde vers lequel l’attire la profileuse. Un monde qui contient des plaisirs mais aussi de la souffrance, bête noire du bouddhisme. La souffrance est intrinsèque à la vie et sans elle, peu de grandes choses se font.
Comment est né ton personnage ?
En étant schématique, je dirais qu’il y a dans la littérature noire trois types de héros. Il y a le héros ordinaire confronté à une situation extraordinaire. C’est ce qui se passe dans mes deux premiers romans. Dans « Pour adultes seulement », une baby-sitter française est prise pour cible par des tueurs sur le sol américain. Dans « Couverture dangereuse ? », un fermier américain est victime d’une machination en France. Le deuxième type de héros, c’est le policier en plein boulot. Là, ce n’est pas trop mon domaine car je ne me vois pas passer deux ans dans la peau d’un flic. Le troisième personnage est le personnage extraordinaire confronté à une situation extraordinaire. C’est là qu’on rencontre Nathan Love. Ce genre de personnage me permet d’aller là où un flic n’irait pas, dans les caves du Vatican, dans une tribu éthiopienne ou sur un jonque de pirates en mer de Chine. Son sens de la psychologie, sa pratique du zen et des arts martiaux, sa maîtrise des énergies, lui donnent la possibilité d’approcher une autre vérité. Sa technique d’investigation, c’est le zen. Nathan Love va toujours chercher la face cachée de la vérité. On nous balance toujours les mêmes informations sur l’état de la planète, sur ce que sont la mondialisation, la politique, l’économie. Le zen ne s’en satisfait pas. Si on me répète que la mondialisation, c’est mal, je vais chercher ce qu’elle apporte de bien. Si on me répète que les hommes politiques ont le pouvoir, je vais chercher à savoir si d’autres individus n’ont pas encore plus de pouvoir. Se poser des questions, c’est déboucher sur des vérités qui ne sont pas forcément dites tous les jours. Nathan Love me permet de poser des questions essentielles.
Ce personnage te ressemble-t-il ?
Il y a forcément une influence des deux. J’ai mis dans mon personnage tout ce que je savais à travers ma pratique des arts martiaux et du zen, ma connaissance des voyages, mes rencontres. « Le Dernier testament ? » m’a demandé énormément de recherches complémentaires pour ne pas dire n’importe quoi sur le zen et sur les arts martiaux, pour chorégraphier une scène de combat de la façon la plus réaliste possible, pour décrire ce qui se passe dans la tête d’un individu qui affronte dix personnes. Je voulais sortir de l’aspect caricatural des arts martiaux présenté au cinéma. Les arts martiaux se pratiquent dans chaque geste de la vie quotidienne, en faisant la vaisselle, en passant la serpillière. C’est un travail de concentration, de contrôle des énergies, d’introspection, d’humilité. Au fil de mes recherches, j’apprenais énormément de choses. Il n’en reste pas moins que Nathan Love est un personnage qui est loin de moi dans le sens où il a vécu un drame dans sa vie, le meurtre de sa femme, à la suite duquel il a pratiqué l’ascèse pendant trois ans. Il est complètement détaché de la société. Moi, j’ai une famille, je vis dans le système. Je ne pourrais pas être comme lui, mais il est parfois un repère et il m’arrive de me demander comment aurait réagi Nathan à telle situation. En ce sens, il a une influence sur moi.
Dans ton livre, le monde serait dirigé par des multinationales qui auraient tout pouvoir ou presque. Cela te fait-il peur ? Est-ce la vérité ?
C’est la vérité, et je pense qu’au rythme où va le monde, les chiffres que je cite dans le roman sont déjà dépassés. L’importance qu’on accorde aux élections présidentielles en France fait partie d’une désinformation généralisée. Car quelle que soit la personne élue, son pouvoir par rapport à celui du PDG d’une multinationale sera dérisoire. Le Président de la République Française a moins d’influence sur notre quotidien que le directeur de la Banque centrale américaine ou européenne, le PDG de Mitsubishi ou celui de Microsoft. Des sociétés comme General Motors génèrent des chiffres d’affaires qui dépassent le produit national brut du Danemark ou de l’Autriche. Elles sont capables d’acheter des pays.
Dans « La Dernière Arme », je me suis demandé où tout ça allait nous mener. Que pouvait-on faire ? L’idée m’est venue de créer des « terroristes du bien ». Le monde évolue, mais il y a des choses que l’on ne pourra jamais faire disparaître : la misère, la pauvreté, la violence. Il faut essayer de composer avec, essayer de les domestiquer. Casser la machine ne sert à rien, au contraire c’est dangereux. Il faut l’utiliser. Le constat n’est donc pas complètement pessimiste.
Est-ce que le G300 dont tu parles dans ton livre existe-t-il vraiment ou l’as-tu inventé ?
C’est une invention. En fait, j’ai réuni les 300 personnes les plus puissantes du monde. Celles que je cite dans le roman existent vraiment, seuls leurs noms ont changé. Elles ont réellement le pouvoir que je décris. Avec seulement 5% de leur richesse, ces 300 personnes pourraient résoudre tous les problèmes de famine, de santé et d’éducation sur la planète. Cela donne le tournis… Je vais même plus loin : ces gens pourraient inverser le réchauffement climatique ou résoudre définitivement le problème de l’énergie. Il n’y a aucune limite à leur pouvoir. Maintenant que vont-ils en faire ?
Tu as créé les Aïkas. Penses-tu que des Aïkas existent vraiment ?
J’ai créé des kamikazes d’un genre particulier, hyper conditionnés. Ca fait partie d’une intrigue imaginaire. Mais je pense qu’il existe des personnes, des femmes surtout, qui ont une influence auprès de ces gens de pouvoirs. Quand on voit par exemple que Bill Gates lègue 95% de sa fortune à des œuvres humanitaires après sa mort, qu’à lui seul il dépense plus d’argent que les Etats-Unis pour la santé dans les pays en développement, on peut se demander d’où lui vient ce philanthropisme. D’une Aïka ? Personne ne le sait car elles sont invisibles.
Quand on se penche sur la psychologie d’un tyran ou d’un dictateur, on rencontre souvent des frustrés. S’ils connaissaient un épanouissement sexuel et une vie maritale harmonieuse, peut-être ne seraient-ils pas aussi tyranniques que ça, peut-être y aurait-il moins de dictatures dans le monde.
Déjà une troisième enquête en cours ?
Actuellement, je travaille sur un roman qui n’a rien à voir avec Nathan Love mais il est clair qu’il y aura une suite à « La Dernière arme ». Le thème est déjà dans ma tête. Quand j’aurai fini le roman que je suis en train d’écrire, je m’attellerai au troisième volet des aventures de Nathan Love.
Pas de projet cinématographique en cours ?
Mes romans circulent chez les producteurs, attirés par leur narration très cinématographique. C’est le cinéma qui m’a nourri dès l’enfance et qui m’a donné le goût de raconter des histoires. Si l’un de mes romans devenait un film, la boucle serait bouclée. Mais leur adaptation nécessite un budget conséquent. Il faut tourner aux quatre coins du monde, beaucoup de scènes sont spectaculaires et il faudrait un casting international. On a besoin de dollars. Cela prend donc du temps, d’autant plus que le livre n’est pas encore traduit en anglais.
Es-tu quelqu’un qui travaille beaucoup ses textes ?
Il y a d’abord un premier jet, totalement créatif qui aboutit en général à plus de 1 000 pages. Ce sont les rushes. Ensuite, il y a tout un travail de coupe, de découpage, de montage pour arriver à une version de 600 à 700 pages. C’est là que se travaillent le rythme, la tension, la fluidité du texte. D’autres lectures suivront pour peaufiner la forme et le style, vérifier les détails et les cohérences.
A part l’écriture, quelles sont tes autres passions ?
Le cinéma. J’ai installé une salle de projection chez moi. J’aime aussi les voyages, ceux qui dépaysent et me font découvrir d’autres cultures. Je ne pourrais pas me passer de musique, non plus. J’en écoute beaucoup, même en cours d’écriture. J’écris également des chansons de blues. Je voudrais avoir plus de temps pour jouer de la basse. Et puis il y a les arts martiaux que je pratique presque tous les jours. Des passions finalement que l’on retrouve dans mes romans.
Quels sont les auteurs qui t’ont influencé ?
Consciemment, aucun. Je citerais quand même Stephen King qui ancrait son style dans les réalités de la vie quotidienne américaine avant de faire basculer son récit dans l’horreur. Mais il est certain que j’ai beaucoup appris en regardant des films d’Hitchcock ou de Tarantino. Le cinéma est la meilleure école qui soit pour un auteur de thriller. J’en utilise les techniques.
Pourquoi avoir choisi l’écriture pour t’exprimer ?
Au départ, j’ai écrit des scénarii. Mais mon agent m’a conseillé d’écrire des romans. Ils auraient plus de chances de devenir des films. Travaillant dans la pub, j’ai en même temps appris le pouvoir magique des mots. J’ai écris « Pour adultes seulement » et j’y ai pris un tel plaisir qu’aujourd’hui, je ne ferais rien d’autre au monde. Ma passion du cinéma reste une passion de spectateur et mon envie d’en faire a disparu face à celle d’écrire des romans. Là, je suis maître à bord, j’ai le final cut, tous les moyens que je veux, pas de limitation de budget, aucune censure… C’est le rêve. Un scénario n’est qu’une étape intermédiaire, il disparaît dès que le film existe. Dans une adaptation de « La Dernière Arme », certaines scènes ne seraient probablement jamais tournées, à cause de leur violence, de leur caractère sexuel, de leur coût. Je me sens très bien dans la littérature et tant que j’aurai des lecteurs avec moi, j’y resterai.
Il y a quelques années, tu as changé de vie. Pourquoi avoir pris un tel tournant ?
J’ai changé de vie car je voulais vraiment me consacrer à la littérature. Pour moi, il était inconcevable d’avoir un métier et d’écrire pendant mes loisirs. Je ne voulais pas que ce soit un hobby comme la pêche ou le tennis. Surtout pour écrire des romans tels que « Le Dernier Testament ? » ou « La Dernière Arme » qui nécessitent un gros investissement en temps. J’ai donc arrêté la pub, construit ma maison dans le Sud pour abriter ma famille, limiter les frais fixes et prendre le risque de me lancer à plein temps dans l’écriture. Grâce au succès du « Dernier Testament », j’ai accompli mon vœu.
Aujourd’hui, à l’instar de Nathan Love, je vis là où j’ai envie de vivre. Vence est l’endroit où je me sens le mieux en France. Mais je ne suis pas un sédentaire. M’installer en Thaïlande ou en Floride ne me poserait aucun problème. Je peux changer de vie à tous moment.
Quel est le roman que tu aurais aimé écrire ?
« L’Ancien testament » et « Le Nouveau testament ». Cela aurait fait une trilogie avec « Le Dernier testament ». Et puis en droits d’auteurs, ma retraite aurait été assurée !
Sinon, je pourrais citer les romans qui m’ont vraiment bluffé. « Simetierre » de Stephen King, « Cul de sac » de Douglas Kennedy, « Transparence » d’Ayerdhal. « Fight Club » de Chuck Palahniuk. Et là il n’y a pas que le bouquin, il y a le film aussi. Voila, s’il y a une œuvre d’art dont j’aurais aimé être l’auteur, c’est « Fight Club » de David Fincher. C’est l’œuvre d’art parfaite, un film qui résume tout. Je me le repasse régulièrement d’ailleurs.
Quel est le don que tu aurais aimé avoir ?
Le don d’ubiquité. Très utile. Pouvoir être à plusieurs endroits simultanément. C’est peut-être le côté schizophrène de l’écrivain qui me fait dire ça. Je passe mon temps à faire des allers-retours entre la réalité et la fiction au point de mélanger parfois les deux.
Si tu rencontrais le génie de la lampe magique, quels vœux formulerais-tu ?
(Longue réflexion) Ce serait un truc très basique. Que mon entourage ait la santé pour profiter de toutes les petites joies qu’offre la vie. Il y a de la joie en toute chose, il suffit de l’extraire. Et quand on a la santé, c’est beaucoup plus facile de le faire.
Que je puisse continuer à exercer le métier d’écrivain jusqu’à la fin de mes jours. Après avoir fait 50 métiers, c’est celui qui me plaît le plus.
Et puis que le génie utilise « La Dernière Arme » pour rendre le monde meilleur.
Quels sont tes projets ?
Je suis en train d’écrire un roman qui s’intègre dans la collection Van Helsing éditée par Le Seuil. Plusieurs auteurs ont été sollicités. A chaque fois, une histoire de monstre traqué par un chasseur de monstre. Cela va sortir dans le courant de l’année. C’est du thriller teinté de fantastique et taché d’hémoglobine.
Je viens aussi de terminer un thriller qui n’a rien à voir avec Nathan Love. Une sorte d’hommage au cinéma. Principalement à celui d’Hitchcock et de Mankiewicz. C’est l’histoire d’un producteur qui réunit ses anciennes égéries et maîtresses. L’une d’elles cherche à le tuer. Il cherche à la démasquer. C’est aussi un clin d’oeil à Agatha Christie et à ses dix petits nègres, mais en plus trash, plus sexe, plus rock n’roll. L’action se déroule principalement dans le sud de la France, avec quelques flash-back en Inde et à New York.
Dernière question. Est-ce que tu pourrais écrire un peu plus vite, car moi j’en ai marre d’attendre ?
Merci pour le compliment. J’ai déjà fait des progrès car j’avais mis trois ans pour écrire « Le Dernier Testament ». J’ai mis un an et demi pour « La Dernière Arme ».
Je commence à bien connaître Nathan Love, aussi j’arriverai à écrire le prochain un peu plus vite. Il faudra quand même attendre un peu … En même temps, ce sont des gros pavés. Pour patienter, il y aura les deux romans dont je viens de parler… Ou alors il faudra relire les précédents !
Critique de la "Dernière arme".