Ralliement
Ce roman, rédigé en 1990, initie un cycle - regroupant au total 9 tomes aux Etats-Unis - qui suit les aventures d’un régiment nordiste (le 35ème du Maine) projeté au beau milieu d’un monde médiévo-fantastique auquel il devra tant bien que mal s’adapter – en n’hésitant pas, il est vrai, à le remodeler grandement selon ses valeurs, son développement technologique et ses impératifs moraux propres.
Le colonel Andrew Keane, l’homme à la tête de ce millier de soldats, n’a aucune idée de ce qui les attend, lui et ses hommes, quand ils embarquent à bord d’un transport de troupes à destination d’un champ de bataille du Sud, au tout début de l’année 1865 (qui s’avèrera être, soit dit au passage, la dernière de la Guerre de Sécession). Pris au piège dans une violente tempête au large des côtes de Virginie, leur navire plonge dans un maelström de lumière et se retrouve soudain propulsé sur une autre planète, portant le doux nom de « Valennia » .
Le premier choc passé, les Nordistes ont à peine le temps de s’acclimater à ce nouvel environnement qu’ils entrent déjà en contact avec une peuplade primitive dont les mœurs et l’organisation sociale rappellent furieusement la Russie médiévale. Il devient rapidement évident que la faille « surnaturelle » les ayant fait quitter la Terre a fonctionné à de multiples reprises à travers les âges – des Romains, des Carthaginois, des Mayas sont éparpillés à la surface de Valennia, où ils se sont efforcés tant bien que mal de recréer les civilisations dont ils sont issus.
Des liens ne tardent pas à se tisser entre notre régiment et Souzdal, la principale cité environnante. De vassal, le 35ème du Maine devient bientôt l’instigateur d’une révolution qui amène le petit peuple à se rebeller contre ses « boyards » et son clergé corrompus, afin d’instaurer un embryon de démocratie, chose impensable avant son arrivée.
Mais un danger terrifiant approche à grands pas de la ville. Un danger qui risque bien de signifier la fin des troupes américaines et de leurs nouveaux amis « valenniens ». Les Tugars - une horde terrible, fonctionnant sur le modèle mongol, composée de mastodontes velus de plus de trois mètres de haut - revient en effet à intervalles réguliers prélever un quota d’humains (pas moins d’un sur cinq !) dans ce qu’ils considèrent être leur bétail. Les infortunés retenus par les Tugars sont destinés à la préparation de plats succulents, comme les apprécient les membres de l’espèce dominante de Valennia.
Le refus de Keane de se soumettre à cette pratique ancestrale conduit directement à un conflit meurtrier dont l’issue déterminera la survie ou non de l’expérience démocratique souzdalienne. La libération du peuple de Souzdal du joug tugar va ainsi se confondre dans son esprit et celui de ses hommes avec le combat des abolitionnistes de l’Union, visant à mettre un terme à la pratique de l’esclavage dans les grandes plantations du sud des Etats-Unis…
L’exportation manu-militari de la démocratie, accueillie bras ouverts par des populations avides de liberté, prêtes à jeter à bas du jour au lendemain les structures sociales qui les gouvernent depuis des millénaires : cette thématique n’est pas sans faire penser aux interventions militaires américaines en Afghanistan et en Irak. Cela n’a rien d’étonnant quand on apprend que William R. Forstchen, professeur d’histoire à ses heures perdues, collabore régulièrement à l’écriture de romans d’histoire alternative rédigés en collaboration avec Newt Gingrich, l’ancien « speaker » républicain de la Chambre des Représentants à l’époque où Bill Clinton était encore président. La naïveté avec laquelle ces thèses néo-conservatrices sont endossées par l’auteur laisse un rien pantois. Elles ne sont pas foncièrement répréhensibles en soi (qui pourrait s’opposer à l’extension du champ de la liberté ?), mais elles témoignent d’une incompréhension fondamentale du fonctionnement des sociétés humaines, rétives à tout changement trop brutal, fut-il positif.
Le roman n’en reste pas moins extrêmement dynamique dans sa description du conflit opposant les troupes de Keane aux Tugars, qui ne sont pas dépeints de façon trop manichéenne, certains anciens demandant la fin des hostilités et la recherche d’un compromis avec les humains. Le compte à rebours précédant le retour des anthropophages, consacré à l’érection d’une véritable nation industrielle à même de soutenir leur siège, se révèle prenant au possible.
Pour qui apprécie les récits guerriers valorisant les sacrifices héroïques, faisant s’entrechoquer divers niveaux de développement technologique sur les champs de bataille, saupoudrant le tout d’une bonne dose « d’heroic-fantasy », Ralliement constitue une pièce de choix… dont on peut néanmoins regretter le manque de discernement politique.
William R. Forstchen, Ralliement, Traduction : Karim Chergui, Illustration : Julien Delval, 432 p., Bragelonne