Minuscules flocons de neige depuis dix minutes
Le 12 mars 2006, une tempête de neige éclair s’est abattue sur la Floride. Conséquence d’un bouleversement des valeurs, comme le voudrait la théorie actuelle du dérèglement climatique, ou bien preuve de la conquête invisible de notre monde par d’autres forces ?
Toute la question de la paranoïa tient dans ce résumé, à savoir, la réalité est-elle si simple ? David Calvo répond de manière bizarre, avec un texte qui paraît un roman, qui devient une chronique, qui ne se termine pas vraiment, qui ne croit plus non plus au mot fin, au mot explication, au mot naturel. Un texte qui ouvre une porte esthétique. Minuscules flocons de neige depuis dix minutes est une expérience littéraire, à mi-chemin entre le fabuleux breakfast du champion et les romans chantournés de Barry N. Malzberg. Le lecteur qui souhaiterait monter à bord d’un tel aéronef mental risque l’agacement à plusieurs reprises. Calvo n’a pas l’inspiration aisée, et il aime laisser dans son texte les scories d’une tentative ratée, un peu à la manière d’un Houellebeck. C’est un style qui en vaut un autre si l’histoire est suffisamment prenante, et il est vrai que l’on s’attache petit à petit à la trame minimaliste du petit Français venu à L.A. couvrir une convention internationale de jeux électroniques. L’argument de fond porte sur la possible coopération au tout début des années cinquante entre Walt Disney et le japonais Tezuka, roi de la technologie informatique balbutiante. La culture populaire quasi universelle des dessins animés, produit d’une arithmétique binaire ? Calvo excave les dimensions solides, ou apparaissant comme telles, de l’imaginaire commercial, en démontre la toute-puissance fonctionnelle, les tréfonds monstrueux au sens premier du terme, l’absence de moralité ou d’éthique. Une destruction systématique qui ne produit aucun effet de jouissance, tant l’œuvre semble tendue et arc-boutée sur l’effort stylistique. Il est du coup presque impossible de s’identifier aux éléments humains de cette saga souterraine. Mais, encore une fois, est-ce le but d’une littérature expérimentale ?
On appréciera enfin la beauté plastique de l’ouvrage, qui allie croquis, photos et dessins ; les éditions des Moutons électriques ne pouvaient pas faire moins pour un auteur qui s’inscrit, avec autant d’authenticité, dans la lignée de Dick.
Okuba Kentaro
David Calvo, Minuscules flocons de neige depuis dix minutes, Les moutons électriques, éditeur, 256 p, 15 €