KAVIAN Eva 01

Auteur / Scénariste: 

À propos de L’homme que les chiens aimaient, ONLIT-Editions, octobre 2016

 

Bonjour, Eva Kavian, petite présentation à nos lecteurs : qui êtes-vous ?

Je suis une provinciale, mère de famille nombreuse, je suis indépendante, débordée, passionnée. Je suis une éponge, je prends les joies et les peines des autres en plein cœur. Je suis une mercenaire, une idéaliste, une petite fourmi dans l’infini, je suis un instant dans l’histoire du monde. Je suis une romancière, parce que le mot écrivain, au féminin, griffe mes oreilles, et pourtant je ne comprends toujours pas pourquoi après ma journée de travail, c’est moi qui fais les courses, les repas et les lessives. Je suis souvent envahie par les besoins des autres et je peine à trouver un espace pour les miens. Je suis gauchère. Je suis une autodidacte qui doute. Je suis la première en Belgique à avoir fait de l’animation d’ateliers d’écriture mon activité principale. Je suis un auteur qui pleure et rit en écrivant. Je suis celle qui cueille les framboises dans le jardin. Je suis une grande amoureuse, qui a rencontré un grand amoureux.

 

Comment vous est venu le goût de l’écriture ?

On me l’avait promis et j’en rêvais : à six ans, je pourrais lire moi-même les livres et je pourrais écrire. Je les ai crus. J’ai eu envie d’écrire dès qu’on m’a dit que je pourrais un jour le faire. Comme un pouvoir nouveau qui m’était octroyé. Il faut dire que chez moi, l’écriture n’était pas réservée à l’école. Ma mère, par exemple, glissait des mots sous mon oreiller, signés « le trèfle à quatre feuilles », pour me dire qu’elle m’aimait et lister ce que j’avais fait de bien, ce en quoi je l’épatais. L’écriture, c’était des mots pour faire du bien. Dès que j’ai appris à écrire, j’ai écrit. Des petits poèmes, des histoires d’enfants abandonnés (moi qui avais une enfance heureuse), puis un journal et tout le toutim. J’ai toujours écrit. Et lu  (je lisais en cachette le soir, je volais des livres ou de l’argent pour en acheter). Écrire et lire, c’est agrandir ma vie, c’est faire de ma finitude un territoire en expansion. A onze ans, j’ai commencé à faire écrire : j’avais fondé un club, avec les enfants du quartier, un an plus tôt, et nous avons réalisé un  petit journal, régulier, qui parlait de nos aventures, de nos découvertes, qui posait des devinettes et je ne sais plus quoi. Comment m’est venu le goût de l’écriture ? Je l’ignore. Aussi loin que je me souvienne, il était en moi.

 

Comment définiriez-vous l’acte d’écrire de la fiction ? à quoi correspond-il ?

Pfff… C’est un acte profondément libre, qui transforme un individu en filtre d’une réalité collective vers une vision singulière, pour donner une image qui soit universelle, à des êtres singuliers. Un truc dans le genre. Je pourrais aussi dire que c’est une manière de faire un potager sur le terreau de sa vie. C’est une manière aussi de vivre d’autres vies que la sienne. D’explorer l’humain. Écrire de la fiction, c’est faire un voyage on ne sait pas très bien où ni pourquoi ni pour combien de temps, mais un voyage que l’on ne peut pas ne pas faire. Pour moi, c’est surtout être complètement vivante. Si je n’écris pas, une part de moi n’est pas vivante. De cela je suis sûre.

 

Selon vous quel est le rôle de l’auteur de fiction dans notre société ?

Cela dépend quel auteur et quelle part de la société. Il y en a qui amusent et divertissent, d’autres qui font réfléchir, d’autres qui font une musique particulière. On pourrait inverser la question : selon vous, quel est le rôle de la société, pour les auteurs de fiction ? Ou encore, que fait notre société, aujourd’hui, à ceux qui créent, inventent ? L’auteur de fiction, dans notre société, devient un producteur de biens commercialisables et n’est souvent connu que s’il produit ce qui lui est demandé (de quoi faire des sous). Certains pensent encore, malgré tout, que l’auteur de fiction est là pour faire rêver, réfléchir et pour faire entendre sa petite musique singulière. Pour prendre un peu de distance et plonger plus encore au cœur de notre humanité.

 

Quel est votre auteur préféré ? Et votre livre fétiche ?

J’hésite entre Rabelais, Cervantès, Brautigan, Djian, Oates, Irving, Proust, Udall, et j’en passe, la question est trop cruelle.

Et le livre fétiche ? Je n’en ai pas. S’il faut absolument répondre, je dirais Don Quichotte.

S’il faut dire mon coup de cœur de l’année, je dis Inhumaines (de Ph. Claudel).

 

Vous animez des ateliers d’écriture. Cette activité hautement chronophage n’est-elle pas un obstacle à votre propre écriture ou, au contraire, y puisez-vous de l’inspiration ?

La plupart des auteurs ne gagnent pas assez d’argent avec la vente de leurs livres et doivent avoir un travail à côté et oui, ce temps pour nourrir sa famille est du temps pris à l’écriture, mais j’ai de la chance, car ce travail est littéraire lui aussi et la réflexion autour de mon travail de création ainsi que la réflexion autour du travail de création des participants à mes ateliers se nourrissent l’une l’autre. Je dirais que mon propre travail nourrit celui que je propose en atelier, et pas le contraire.

 

Si vous deviez définir votre univers, que diriez-vous pour inciter les lecteurs à vous découvrir ? Définir un univers me paraît impensable, fût-ce le mien. Quand j’aurai écrit le dernier de mes livres, peut-être que quelque chose de mon univers sera perceptible. En attendant, je dirais que ce sont les gens d’aujourd’hui, le monde d’aujourd’hui, notre société qui le constituent. J’écris des romans réalistes, j’y explore comment l’humain d’aujourd’hui se débrouille avec lui et les autres, dans ce mouvement incessant qu’est la vie. J’explore les familles d’aujourd’hui, dont les saisons sont incertaines, les modèles fantasmés ou révolus. Je crois que naturellement, l’humain est solidaire (si quelqu’un trébuche à côté de vous, votre réflexe est de le retenir, pour qu’il ne tombe pas) et que dès qu’il réfléchit, cela se complique (oui, mais s’il a fait exprès de trébucher pour m’agresser ? Ou si je tombe moi aussi ? Ou si cela me met en retard ?) et j’ai envie de le montrer, à travers des histoires. Je crois que la vie est une tragédie, qu’elle est au-dessus de nos moyens, et qu’on fait ce qu’on peut avec tout ça, et j’essaie de le montrer. Je crois que nous nous construisons davantage dans les moments difficiles que dans les moments confortables et mes personnages vivent des situations parfois dramatiques, à travers lesquelles ils se révèlent, grandissent. Je crois que l’humour est nécessaire, pour digérer certaines choses, pour en montrer d’autres. Mon univers, c’est l’humain d’aujourd’hui.

 

Vous avez déjà publié 21 livres, en majorité des romans. Ce roman-ci, L’homme que les chiens aimaient est-il complètement différent de ceux que vous avez déjà écrits ou c'est une impression que nous, lecteurs, pouvons avoir ?

Il est différent parce qu’il se passe au mésolithique, avant qu’un langage ne soit réellement constitué. J’ai déjà exploré comment un humain dont le langage n’est pas élaboré construit sa pensée (La dernière licorne, Ma mère à l’Ouest), je l’ai fait ici également. Le côté décalé, la liberté de ton sont des éléments que j’avais également exploités (Le trésor d’Hugo Doigny, quelques nouvelles). Cela dit, dans ce roman comme dans les autres, j’explore l’humain, ses relations, la différence entre le désir et l’amour, ainsi que le territoire familial. Le lecteur qui connaît l’ensemble de mes livres retrouvera mon univers, le non-académisme persistant, notre condition à la fois tragique et exceptionnelle, ainsi que l’humour, comme filtre de prédilection.

 

Comment vous est venue l’idée de ce récit ?

J’habitais à Malonne, près d’un site qui a abrité un des premiers mausolées du mésolithique. Ce site est abandonné, les squelettes avaient été découverts sous une dalle de schiste effondrée. Je me suis demandé qui étaient ces gens, pourquoi quelqu’un avait pensé les rassembler, une fois morts, puisque ce n’était pas l’usage, et j’ai imaginé Galère, ayant empoisonné sa famille accidentellement, qui se retrouvait seul. Puis Armel Job m’a demandé une nouvelle pour une anthologie à paraître pour la Saint Valentin. Tous les auteurs allaient traiter ce sujet épuisé et redondant, le risque était grand que les nouvelles elles-mêmes soient redondantes. Et j’ai repris Galère, comme s’il était le premier de l’histoire de l’humanité à fêter la Saint Valentin, et puis… j’ai simplement continué l’histoire de cet humain, au seuil de la pensée et du langage, pour dire des choses de notre monde d’aujourd’hui, en m’amusant.

 

On a l’impression que vous avez pris beaucoup de plaisir en écrivant l’histoire de Galère. Est-ce vrai ?

J’avoue que je n’ai jamais autant ri en écrivant. Je me sentais libre. Une fois que j’ai trouvé le ton, le reste est venu tout seul, au point que parfois, en me relisant, je me demandais d’où cela m’était venu !

 

Votre roman se passe à l’âge préhistorique. N’est-ce pas un défi que de situer son récit dans un monde tellement éloigné du nôtre ?

Écrire un roman EST un défi. L’avantage du mésolithique, c’est que l’on en connaît des choses, on en suppute d’autres et pour le reste, on peut imaginer. C’est donc un territoire à la fois balisé et ouvert. Il fallait surtout trouver le ton et, en choisissant un narrateur extérieur ayant des références et un langage contemporains, je pouvais facilement rebondir sur les écueils que l’époque m’imposait.

 

Dans le fond, le sort de Galère n’est-il pas tragique ? Être l’unique être humain à avoir compris  que l’amour existe et pas seulement l’acte de procréation doit le rendre bien seul, non ?

Il n’est pas l’unique, il est celui qui le découvre. Ceux qui se sentent seuls sont peut-être justement ceux qui n’ont pas vraiment connu l’amour. Galère meurt en même temps que son grand amour, dans un lieu qu’ils aiment, en paix, heureux de ce qu’il a réalisé. Je connais des destins plus tragiques !

 

Dans la vie réelle, à qui pourrait ressembler Galère ?

Aucune idée. Le plus souvent, je n’ai pas une image visuelle de mes personnages, mais une image mentale. Je les sens de l’intérieur, je ne sais presque jamais à quoi ils ressemblent.

 

Qui sont vos héros dans la vie réelle (présente ou passée) ?

Fifi Brindacier, Claude (du Club des cinq), Jo (Les quatre filles du Dr March), Scarlett, Edgar Mint (le destin miraculeux d’Edgar Mint), Thomas Owen (Une prière pour Owen), T.S. Spivet (l’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet). C’est dingue, en faisant ma liste, je relis la question et je remarque que je dois lister les héros dans la vie réelle. À cela je ne vais pas répondre, car je dirais alors des choses qui concernent des personnes réelles et leur vie réelle. Mes héros, dans la vie réelle, sont des gens qui trinquent, qui luttent, qui sont dans des situations extrêmes, qui ont de petits moyens, et dont personne n’entendra guère parler. Mes héros sont discrets et silencieux, voués à l’oubli, et si grands.

 

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire sur votre livre qui n’a pas encore été dit ?

Je regrette le peu d’écho qu’il a eu dans la presse. Ce livre ne laisse pas indifférent. On aime, on adore, on déteste, on rit, on est choqué, etc. Mais sa parution est passée un peu inaperçue, sans doute parce que l’éditeur publiait lui aussi un livre en même temps, lequel a pris la place dans les priorités promotionnelles, dirait-on. Alors je compte sur l’enthousiasme des enthousiastes (qui ne le sont jamais à moitié), pour qu’il vive et dure.

 

Quels sont vos projets ? Un nouveau livre ?

Fin septembre, un roman pour les 10-12 ans Moi et la fille qui pêchait des sardines, éd Oskar. Puis je retravaille un autre roman pour le même public. Et une réédition de Écrire et faire écrire. Après, on verra.

 

Un petit mot pour la fin ?

Euh...

 

Critique de L'homme que les chiens aimaient

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