Rassurez-vous, tout sera terminé d’ici 17h par Alexandre Ratel

Thomas est planté sur le trottoir, au milieu des gratte-ciel. Devant lui, les voitures filent dans une danse mécanique sans fin. Derrière lui, les hommes filent, tête rentrée dans les épaules. Son téléphone vibre. Un message.

« Profitez d’une offre exceptionnelle. Pour trois pneus hiver achetés, le quatrième est gratuit ». 

Thomas dépose son téléphone sur le bitume. Il y balance un coup de talon. Un deuxième. Puis un troisième. Il flanque un coup de pied dans le cadavre de son Galaxy ; l’appareil glisse et tombe dans une bouche d’égout. Photos. Contacts. Comptes Facebook et Twitter. Papa. Maman. Joanna… Tout vient de disparaître dans la crasse des hommes. Cela fait maintenant près de quatre heures qu’il est assis ici, le coccyx endolori par l’attente et la méditation, le cerveau engourdi par de vaines tentatives de réflexion.

Il se redresse et fait face à l’immense porte, du chêne massif sculpté par un maître artisan. Un détail qui détonne dans la jungle de pierre, de verre et d’acier. Thomas se prend la tête dans les mains. La balance est sur son point d’équilibre depuis trop longtemps, il ne suffit plus que d’un grain de sable pour la faire basculer. Reculer à nouveau ?

Des hommes et des femmes franchissent régulièrement le seuil de cette porte. Tom essaye de distinguer le ventre du bâtiment mais rien n’y fait. L’éclairage est conçu de manière à ce que l’endroit demeure mystérieux. Pourtant, il en émane un parfum d’étrange. Un chant mélancolique qui le somme d’approcher, de caresser les murs avant de les pénétrer. Il tente de se persuader que ce ne sont que des idées et…

— Excusez-moi ?

Thomas sort de sa torpeur et découvre le visage d’une jeune femme. Elle tire une mèche de cheveux derrière son oreille et décoche un sourire angélique.

— Vous auriez une cigarette, s’il vous plaît ?

Tom se décrispe.

— Bien sûr, dit-il en fouillant le fatras de ses poches. Je vais vous trouver ça tout de suite…

— Cool. Il fait beau, hein ?

— Ouais. Super beau pour un mois d’octobre. Ah ! J’ai le briquet, vous n’aurez pas tout perdu. Où est-ce que…

Un missile de la vie dégringole du ciel. Il file à une vitesse vertigineuse, accéléré par les lois de l’attraction. Sa cible est verrouillée. Dix secondes avant impact.

— Le voilà. Ce sont des light.

Cinq secondes.

— J’ai toujours un tas de bazar dans les…

La fiente de pigeon s’écrase sur le front de Thomas. La jeune femme marque un mouvement de recul, elle tente de se retenir de rire mais finit par éclater littéralement.

— Je suis désolée, assure-t-elle. Ça ira pour la cigarette.

Elle s’éloigne, emportant toute forme d’espoir avec elle. Même de dos, Tom devine qu’elle se marre à s’en faire péter les côtes. Il s’essuie d’un revers de la main et prend une profonde inspiration. Le premier pas est toujours le plus cher. Les autres le conduisent jusqu’au petit escalier, face à la porte en chêne. Il n’y a qu’une seule sonnette. En dessous de celle-ci, une plaque argentée où il est précisé : Merci d’abandonner vos téléphones portables dans le broyeur ci-dessous.

Tom maudit la douleur qui lui brûle le talon. Il presse la sonnette et pousse la lourde porte.

Un peu plus bas, sur une seconde plaque et en petits caractères, un autre message indique :

« En franchissant cette porte, vous acceptez pleinement l’application de l’article 249.3.44.22. Aucune poursuite judiciaire ne pourra être intentée par l’un de vos proches envers SA Corp. Vous renoncez également, implicitement, à toute forme de liberté et ceci de manière définitive. »

 

*

Toute la beauté du monde vient d’être engloutie, songe-t-il. Il se trouve de l’autre côté du miroir. Thomas au pays des merveilles. Thomas qui ne rattrapera ni le lapin blanc, ni le temps qui s’échappe.

En ces murs, il n’y a plus aucune lumière naturelle. Des néons et des spots rayonnent discrètement leur faible intensité. Trois hommes armés en faction se tiennent derrière la porte, droit comme des gardes royaux anglais. Tom les salue. Ils ne bronchent pas.

— Où est-ce que… commence le jeune homme.

L’un des gardes indique une longue file d’attente en pointant le menton. Manifestement, il répond à une question qu’on lui a posée mille fois.

— OK. Merci. Bonne journée, messieurs.

Ils ne bougent pas un cil.

 

Tant de gens et si peu de bruit. Voilà qui est impressionnant. Une cohorte d’êtres résignés, la parade des lâches anonymes, sinuant le chemin le plus mal balisé du monde. Qu’importe la route, il n’y a plus qu’une seule destination.

Après quarante-cinq minutes de station debout, à grignoter centimètres après centimètres, Thomas parvient enfin à l’un des guichets. Une femme très maigre le reçoit et lui indique de s’installer sur le tabouret. Elle chausse ses lunettes démesurément grandes pour son nez aquilin. Elle balade la souris et martèle le clavier de son ordinateur.

— Bonjour jeune homme. Nom, prénom, âge et situation familiale, je vous prie.

— Bonjour Madame. Talbert Thomas. Vingt-six ans. Célibataire.

— Très bien. Question d’usage et rien ne vous oblige à y répondre : pourquoi désirez-vous que l’on vous suicide ?

Tom se racle la gorge. Le poids des regards provenant de la file d’attente pèse sur ses épaules fatiguées. Il imagine toutes les oreilles tendues, prêtes à ramasser la moindre bribe d’information.

— Je le garde pour moi.

La secrétaire secoue la tête de droite à gauche et pousse un soupir éloquent.

— Très bien. Voici votre carte, monsieur Talbert, explique la sorcière à binocles en poussant le titre sur le comptoir. Elle vous permettra de circuler dans les différents services qui vous seront réservés. Bien sûr, c’est également votre carte d’identité au sein de nos locaux. Les indigents connaissent un triste sort par ici.

— Ah bon ? Et plus rapide que le suicide alors ? se risque à plaisanter Tom.

La secrétaire penche la tête vers l’avant et lui octroie un regard lassé par-dessus ses double-foyer.

— Voulez-vous vraiment le savoir, monsieur Talbert ?

— Ça ira, refuse Tom en se mettant presque au garde-à-vous. Où est-ce que je vais maintenant ?

— Prenez l’ascenseur et vous montez au septième. Vous prenez à gauche, tout au fond du couloir puis à droite. Il y a une salle d’attente. Les archives.

— Merci beaucoup. Adieu, madame.

— Adieu, monsieur Talbert, conclut-elle avec le ton monocorde d’un robot et un rictus épinglé à ses lèvres pincées.

Un cri pourfend la froideur des lieux. Un homme rame à contre-courant dans la file ; il bouscule ses congénères en effectuant de grands moulinets avec ses bras. Il atteint la porte en chêne et se met à la tambouriner sous le regard des trois gardes. Un coup de taser entre les omoplates met fin à son hystérie ; il s’écroule sur la pierre glacée. On amène une civière pour l’évacuation. Une petite piqûre. Le train-train reprend son inexorable marche.

Thomas se dirige vers l’ascenseur. Lorsqu’il s’apprête à presser le bouton d’appel, une main le stoppe aussitôt. Un type arborant le badge SA Corp.

— Regardez un peu ce que vous faites, monsieur, reproche l’employé en indiquant la pancarte. Cet ascenseur n’a pas de cabine. Il est uniquement à usage des personnes habilitées. Merci de prendre celui qui se trouve sur votre droite.

Puis l’agent fait signe à un vieil homme de s’approcher avant d’ouvrir la cage. Une odeur pestilentielle se dégagea du trou.

— Venez monsieur Spielman. Vous êtes presque arrivés.

 

*

Septième étage. Gauche. Couloir. Puis tout au fond. De nouveau à gauche. Retour sur ses pas et il repart à droite. Et le voilà perdu. Au loin, un groupe de quatre hommes sort d’une pièce. Vêtus de blouses chirurgicales et portant chacun un masque, ils se dirigent vers Thomas et discutent en lâchant quelques rires bien francs.

— Bon, les gars, on se prend un café ? Ça me met en forme de commencer une journée de la sorte. Du cinq sur cinq pour le moment.

— Mouais. Le barbu, ça ne s’est pas fait tout seul non plus, chef.

— Vous voyez toujours la difficulté là où il n’y en a pas, Francis. Un peu d’optimisme pardi ! Moi je trouve qu’on ne s’en est pas mal sorti. Ce mammouth devait peser dans les cent vingt kilos. Ça ne se bouge pas comme ça, ce genre de bestiaux.

Ils croisent Tom et le saluent chaleureusement. Le chef va même jusqu’à faire une courbette.

— T’as l’air paumé, mon garçon. On peut t’aider ?

— Et bien, la dame de l’accueil m’a dit que je devais monter au septième, prendre à gauche et ensuite…

— Le septième ? coupe le chef en fronçant les sourcils. T’es sûr qu’elle t’a dit ça ? Il n’y a que des salles de travail ici. Tu as dû mal comprendre. T’es passé par les archives déjà ou pas ?

— Ben non, justement.

Le leader accorde un regard complice à chacun de ses collaborateurs avant de revenir à Thomas en lui chuchotant :

— T’as du fric sur toi ?

— Hein ?

— Je veux pas te décourager, petit, mais ça peut prendre vachement de temps et crois en mon expérience, c’est pas joli joli. On en a croisé des types qui voulaient changer d’avis.

— Moi aussi.

— Ah oui ? Et t’as vu ce qu’on en faisait ?

— Quoi de pire ?

— Il est mignon. Ce que je veux te dire, c’est que si t’as du cash… on peut t’arranger ça vite fait bien fait.

L’un des hommes contourne Thomas et se poste derrière lui, bras croisés.

— Si j’avais de l’argent, je ne serai pas là, répond Tom avec un brin de vaillance dans la voix.

Les types éclatent littéralement de rire, l’un d’eux se plie même en deux. Le chef donne une tape amicale au jeune homme tout en tentant de former une phrase entre deux hoquets :

— Je… On… te faisait marcher petit… T’aurais dû… voir ta tête. Un grand moment.

— Et les archives, c’est où ? s’agace Tom.

— Au septième, mon garçon.

— Vous plaisantez encore ?

— Non. T’es au sixième ici.

*

Nouvelle file d’attente, chenille d’auto-condamnés à mort marchant au pas.

Courage. Essaye de te concentrer sur quelque chose pour faire passer le temps. Tiens. Ces tableaux sur les murs. Une grosse tache rouge sur un barbouillis de gris. Des traits nerveux dans la partie supérieure droite. Si je n’avais pas envie de mourir, cette croûte aurait pu me faire changer d’avis.

— Pssst !

Thomas se retourne et découvre les jolies taches de rousseur d’une jeune fille. Elle tient fermement les bretelles de son vieux sac à dos, bretelles sur lesquelles trône une foultitude de badges épinglés. Tom les passe en revue et se perd dans leur contemplation. Des groupes de rock pour la plupart. Un peace and love. Un visage barbu avec le slogan suivant : Romero for President.

— Pssst !

Le jeune homme remonte à nouveau aux tâches de rousseur. Son regard tombe sur celui de la fille, deux pièces de puzzle qui s’emboîtent parfaitement. Elle plisse le front et bat des paupières. Il marque un mouvement de recul. Son cœur cogne si fort dans sa poitrine qu’il pense qu’elle peut en voir les mouvements à travers sa chemise.

— Tu peux avancer ? lui demande-t-elle. Ce n’est pas que je sois pressée mais il y a des règles à respecter.

Tom se retourne et constate qu’effectivement, deux bons mètres le séparent du reste de la file. Il s’excuse et couvre la distance.

— Merci, lâche-t-elle avant de repositionner les écouteurs dans ses oreilles.

— De rien.

— Quoi ?

— Je disais : de rien.

— Ah !

Tom lève les yeux au plafond et fait mine d’inspecter un horizon lointain. Incapable de simuler l’indifférence, la rouquine considère son petit manège.

— T’as gagné, dit-elle en ôtant à nouveau son écouteur. Qu’est-ce que t’es en train de faire ?

— Un contrôle, lâche-t-il. La dernière fois que j’ai adressé la parole à une fille, un oiseau a mis fin à la conversation juste à l’aide de son derrière. Je prends mes précautions.

— T’es drôle finalement.

— Finalement ? Sympa.

— Plaisir. Et avance, s’il te plaît.

Elle lui administre un très léger coup de genou derrière la cuisse, un frôlement. Un contact qui déclenche chez lui une ivresse presque immédiate. Des orteils jusqu’aux cheveux, la sensation voyage incessamment. La fille sourit. Elle est le ciel, il est la mer. La couleur de l’un doit tout à la pureté de l’autre. Ils se dévisagent, ils se reflètent. Elle détourne son regard, il soutient le sien.

— À quoi tu joues ? demande-t-elle.

— Rien. Excuse-moi. Il faut que j’avance.

— Élodie.

— Thomas. Une dernière question.

— Oui ?

— Qui est George Romero ?

— Un type qui ramène les morts à la vie. Il ne nous sera pas d’un grand secours ici.

 

*

Mourir avec une envie pressante ne doit rien avoir de très glorieux. Thomas ne s’imagine pas en train de danser une gigue pour contenir sa vessie juste avant de… la fin.

L’accès aux toilettes se fait à l’aide de la carte. D’ailleurs, pour franchir n’importe quelle porte, il n’y a guère d’autre choix : il faut badger. L’ennui est que Tom a beau retourner toutes ses poches et recommencer l’opération quatre fois consécutives, sa carte a disparu.

— T’as l’air tout nu sans ton ticket pour la mort, ironise Élodie, véritable fantôme surgi de nulle part. J’ai bien cru que ton cœur allait lâcher.

Il a vraiment lâché. Il flotte dans l’infini de sa cage thoracique. Chaque battement est un signal de tendresse qui brille au loin pour les bateaux pris dans la tempête. Son cœur est déjà parti à la dérive.

— Je peux savoir pourquoi tu me l’as piqué ? s’offusque le jeune homme vexé d’avoir été surpris.

— Qui te dit que je ne l’ai pas trouvé ?

— Mon instinct.

— Si c’est aussi ton instinct qui t’a conduit jusqu’ici…

— T’es mieux lotie que moi ?

— Qui sait ? On verra à la fin.

Elle fouille la poche avant de son sac à dos et en extirpe deux barres de céréales.

— T’en veux une ?

— Tu es sérieuse ? s’amuse Thomas. Tu viens te suicider et tout ce que t’emmènes, c’est du papier à mâcher ? T’as pas du chocolat ?

— Non. J’ai pris de quoi me donner un coup de fouet, dit-elle en mimant le geste d’un dompteur.

Il rit et fait mine de ne pas entendre la petite voix claire qui chante au fond de lui. Celle qui lui intime de modérer ce soudain enthousiasme pour la vie. De tempérer cette étrange marée qui monte en lui.

Thomas surprend Élodie d’un geste vif et précis et récupère son bien.

— Je crois que c’est une mauvaise idée, tranche-t-il.

— De quoi ?

— Trop parler. Je vais y aller.

— Où ?

— Treizième.

— Je t’accompagne. Je ne suis plus très pressée finalement.

— T’as pas compris ce que j’essaye de te dire ?

— Je fais juste une escale aux toilettes, tu m’attends ? poursuit-elle en ignorant la remarque.

Elle disparaît. Il en profite pour faire de même et emprunte l’ascenseur le plus proche. Elle est si bien moulée dans sa salopette bleue. Ses petites fossettes qui se creusent lorsqu’elle sourit. Entrainant un peu plus Thomas vers la fin, la cage de métal s’élève encore.

 

*

— Avez-vous des antécédents dans votre famille ? l’interroge la psychologue. Je veux dire, des cas de suicides. Assistés ou non ?

— Pas à ma connaissance.

Elle pianote son clavier. Tom se demande pour combien de personnes cette chaise a-t-elle été la dernière. En lieu et place de la fenêtre se trouve un trompe-l’œil. Un paysage grisâtre, une vaste plaine dépeuplée de toute vie humaine. Un cours d’eau sillonne le flanc d’une colline rocailleuse. Le ciel menace de s’ouvrir à tout moment.

— Très bien, reprend-elle. J’ai ce qu’il me faut. Vous irez au vingt-quatrième étage pour les analyses d’urine et de sang et…

— Excusez-moi, madame, l’interrompt Thomas. Pourquoi est-ce aussi long pour en finir ?

Elle repousse sa souris à droite, avance son clavier contre le pied de son écran. Elle joint ses deux mains comme si elle s’apprêtait à faire une prière.

— Parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Contrairement à vous. Rassurez-vous, tout sera terminé d’ici 17h.

Les petites taches de rousseur qui constellent son minois. Sa chevelure de feu qui rebondit sur ses épaules. L’envie qui grimpe.

Et Thomas qui s’élève de quelques étages supplémentaires.

 

*

Le garçon a choisi le dix-septième, un peu par hasard. Il a besoin de souffler. Des hommes-squelettes déambulent un peu partout. Leur peau n’est plus qu’une combinaison moulante refermée autour de leurs os. Des teints jaunes. Des êtres qui toussent jusqu’à se casser en deux. Des fauteuils roulants qui couinent. L’étage des malades en stade terminal. L’étage où la mort se dresse en point d’exclamation à la fin d’une phrase longue et douloureuse. Élodie. Elle n’était qu’une oasis éphémère.

Une main osseuse comprime le haut de son épaule. Tom se retourne et découvre le sourire gâté d’un vieillard. Dans la gorge, il a un trou béant d’où dépasse un tube. Sa respiration siffle. Il mime le fait de tirer sur une cigarette avec ses doigts tremblants et interroge Thomas du regard. Bien sûr. Il lui abandonne son paquet et son briquet avant de reprendre son ascension.

*

Le sang fuit son corps. Il sinue à travers un tuyau de caoutchouc et vient remplir la poche de plastique suspendue. Seul, une nouvelle fois.

Un nouveau missile de la vie dégringole du ciel. Il file à une vitesse vertigineuse. Sa cible est verrouillée. Impact. Il heurte le crâne de Tom, rebondit et roule par terre. Un jaune. Il est rapidement suivi par un rouge. Puis un vert.

Le jeune homme lève la tête. La grille d’aération est happée dans le conduit. Le minois d’Élodie dépasse du carré bardé de métal. On dirait le passage entre deux mondes, se dit Thomas en libérant ses veines de l’emprise médicale.

— Tu voulais du chocolat, c’est ça ? plaisante la rouquine. Eh bien, c’est cadeau.

Elle balance un autre M&M’s qu’il attrape. Un bleu.

— Tu viens ?

— Ouais. Je viens.

*

Ils parcourent les intestins de cet immeuble pendant près de vingt-quatre heures. Montent et descendent les étages, échappent à la vigilance des gardes. S’enferment dans des pièces imprégnées par l’odeur de la mort. Attendent la nuit et l’espacement des rondes.

Dernier étage. Thomas pointe deux doigts entre les épaules de l’agent. Le type lève les bras en signe de reddition. Élodie l’assomme. La carte magnétique de la sentinelle donne accès au toit.

Le gravier crisse sous leurs pas. Des bourrasques de vent les font chanceler mais ils tiennent bon. Ils se donnent la main pour la première fois. Deux câbles sous haute tension qui se percutent. Ils enjambent la corniche, basculent d’avant en arrière. Des pas résonnent dans l’escalier. Ils s’embrassent. Un baiser de fin du monde qui dure l’éternité, l’un de ceux qui vous fait irrésistiblement fermer les yeux. Elle glisse ses doigts derrière la nuque du garçon et l’implore de la tenir aussi fort qu’il le peut. Ils se laissent aller dans une chute magnifique. Ils tournoient dans le vide, serrés l’un contre l’autre.

Elle tire sur un cordon et son sac à dos libère un parachute. Le paquet de confiseries s’échappe et délivre sa pluie de friandises colorées. Ils planent tous les deux, contournent l’immeuble d’en face. Se laissent tomber dans le cœur de la ville. S’enfuient.

— Vous avez tout inventé ? me demande la jeune femme en battant des cils.

— Non. Ils vécurent heureux mais n’eurent pas d’enfants. Elle est morte la semaine dernière. Je dois vous laisser maintenant. Prise de sang au vingt-quatrième.

— Monsieur, vous oubliez votre canne.

Je lui adresse un clin d’œil.

— Le terminus n’est plus très loin. Et rassurez-vous. Tout sera fini d’ici 17h.

 

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