Mad Max : Fury Road

Réalisateur: 

1981. Festival International du Film Fantastique et de Science-fiction de Paris. Dans l’interminable file d’attente devant le Grand Rex qui accueille le plus grand festival de cinéma jamais créé sur Terre (1973-1989), les billets d’entrée au marché noir atteignent des sommets. L’organisateur Alain Schlockoff a en effet réussi à faire entrer sur le territoire français et à programmer une copie de la pépite australienne dénommée Mad Max. Sorti en 1979 en Australie, le film est jugé trop violent pour passer la frontière. Mais pas seulement. Il s’agit là d’une nouvelle façon de filmer, d’une ambiance oppressante de 88 minutes, de cascades hyperréalistes, d’inserts sur des yeux exorbités avant le crash, d’images que le reste de la planète n’a pas l’habitude de voir et qui forcément déroutent. Le choc est frontal, la salle du Grand Rex hystérique. Le jury décerne naturellement sa prestigieuse Licorne d’or au film qui devra attendre 1982 pour sortir dans nos salles, assorti d’une interdiction au moins de 18 ans et d’une amputation de six minutes.

 

Un nouveau mythe était né : Max Rockatansky. Pas besoin de Marvel pour en faire un héros immortel. George Miller et Mel Gibson s’en chargèrent. Vêtu d’un costume de flic en vinyle imitation cuir tellement le film était fauché, l’acteur apparut pour la première fois de dos, sur le bas-côté d’une route déserte, avant de s’installer au volant de sa voiture Interceptor. Vous connaissez la suite, Mel Gibson allait devenir une star planétaire et un immense cinéaste durant les 35 années suivantes. Et Mad Max, le film culte que l’on connaît, l’un des plus rentables de l’histoire du cinéma, qui engendrera deux suites mémorables.

34 ans plus tard, George Miller trouve l’inspiration pour convoquer Max Rockatansky une quatrième fois. Tom Hardy remplace Mel Gibson. Aussi charismatique, intense, magnétique, sauvage, audacieux. « Aussi timbré que moi » dira Gibson. Actuellement, il est vrai que seuls Matthew McConaughey et Jake Gyllenhaal aux noms impossibles à écrire et à prononcer atteignent sa qualité de jeu.

 

Ainsi déboule aujourd’hui Mad Max : Fury Road. On retrouve Max, toujours de dos, à coté de sa voiture, face au désert, au néant qui nous attend. Dès les premières images, on bascule dans l’univers dystopique de George Miller. Nous sommes dans un genre créé par le maestro australien : le western post-apocalyptique sous nitroglycérine. George Miller évoque Sergio Leone par son génie visuel inventif, il se distingue par un style. Tout ce que nous voyons à l’écran existe pour de vrai, avec un minimum d’effets numériques. C’est du pur cinoche, celui revendiqué par Quentin Tarentino, un cinoche de cambouis et de sueur, de plans large et de gueules burinées, où les cascades sont vraies, où la vitesse est réelle, où les acteurs se donnent à fond. Parlons-en des acteurs. Putain de casting ! Mais où Miller est allé dénicher tous ces comédiens, du plus repoussant au plus charismatique, du plus petit second rôle à ce couple de héros incroyable ?

Dans le rôle d’Imperator Furiosa, Charlize Theron mène la danse. L’action repose sur ces solides épaules. Elle a personnellement voulu se raser la tête car une fugitive dans le désert ne va pas chez le coiffeur. Mais ce n’est pas tout. Miller lui a retiré un bras avant de l’obliger à se battre comme un homme et à regagner sa féminité. Jamais une héroïne n’a autant dégusté sous la direction d’un metteur en scène. Quant à Tom Hardy, on n’attend qu’une chose, c’est qu’il ôte son masque de Globular pour qu’on puisse admirer pleinement le talent de cet immense acteur caméléon au sex-appeal aussi incendiaire que George Miller devant une cargaison de kérosène, sombre et torturé, montagne de muscles à qui il reste un zeste d’humanité lisible dans l’intensité de son regard noir. Tom est en phase avec Max. Juché sur un camion lancé à toute vitesse ou jeté entre les roues de celui-ci, il y laissera quelques côtes et une interprétation de malade. Furiosa veut sa liberté. Max veut rentrer chez lui. Leurs routes finiront par se croiser. Mais entre l’héroïne et le héros, pas de déclaration d’amour, ni de violons. Une transfusion sanguine. Ça a plus de gueule.

 

Retenons enfin la force de l’histoire de ce Mad Max nouvelle génération. Dystopie toujours, aux relents actuels. Warriors kamikaze qui invoquent un Walhalla à l’instar des vikings, des islamistes et des nazis. Monde dévasté par les guerres et la course aux ressources naturelles. Mais l’enjeu principal du film est bien plus précieux que les armes, l’essence ou l’eau. Il est rare et magnifique : ce sont les femmes. On se bat pour une poignée de filles liges aux jambes plus longues qu’une route australienne, dotées d’une beauté surnaturelle, nymphes vêtues de voiles immaculés contrastant avec la crasse d’un monde peuplé de males belliqueux et de machos omnipotents. Elles se battront âprement pour échapper à leur misérable sort de pondeuses. Elles sont le vrai moteur du film, plus que les turbos débridés des monstrueux bolides. Le message du film est clair : si vous voulez un monde meilleur, donnez le pouvoir aux femmes.

Mad Max : Fury Road n’est pas une suite. C’est un ovni à lui tout seul, bourré d’action, d’images hallucinantes jamais vues, d’idées neuves et de trouvailles insensées comme ces lances-grenades ou ces balanciers d’abordage, d’angles de vues inimaginables sur un monde post-apocalyptique aux couleurs d’une explosion de carburant, emballé sur du Métal hurlant, du Verdi et du Junkie XL !

 

A 70 ans, George Miller est toujours l’Aigle de la route et son dernier bébé, probablement le meilleur film de l’année.

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