La chair des vivants a-t-elle meilleur goût que celle des morts ?(6)
Des hordes dépenaillées marchant d’un même pas mécanique : voilà l’image qui vient immédiatement à l’esprit dès qu’on prononce le mot "zombie". Les multiples films où ils apparaissent nous les dépeignent en effet volontiers comme un collectif informe, une masse plus ou moins coordonnée lancée à la poursuite d’un bon méchoui : nous, les "respirants".
L’origine de leur appétit de chair fraîche viendrait-il donc de là, d’un quelconque instinct grégaire qui les unirait contre les vivants ? La raison pour laquelle ils ne pratiquent pas l’entre-dévoration (voire l’auto-dévoration !) trouverait-elle son origine dans un tabou du type : "tu ne dévoreras pas ton prochain" ? Le même type de tabou qui fait que le cannibalisme est si unaniment réprouvé au sein de notre espèce ? (comme nous l’avons vu dans notre article précédent, cette interdiction découle directement des conséquences pour le moins fâcheuses que ce type de régime est susceptible d’avoir sur la santé des convives).
Il y a quelques millénaires de cela, Aristote déclarait déjà que l’homme est un "animal politique". Comprendre : un animal social, à l’image des insectes sociaux tels les fourmis ou les abeilles, qui vivent en colonies et démontrent une intelligence collective.
Plus tard (1651), ce sera au tour de Thomas Hobbes de parler de Léviathan pour désigner la société au sein de laquelle nous évoluons tous peu ou prou. Si l’homme est un loup pour l’homme, si la vie à l’état de nature se résume à la lutte permanente de chacun contre tous, la seule façon de le protéger de lui-même consiste à le contraindre au sein d’Etats-Nations qui certes restreindront ses libertés, mais qui lui assureront une vie digne de ce nom. Le Léviathan en question (qui tire son nom du monstre biblique) n’est autre que la collectivité pensée comme agglomérat de l’ensemble des individus qui la composent (une des plus belles nouvelles de Clive Barker, "Dans les collines les cités", traite de ce thème sur un mode pour le moins... horrifique !).
Alors, ces modèles s’appliquent-ils également aux zombies ? Sont-ils capables d’agir en groupes, de se penser en tant que collectif aux intérêts convergents ? Est-ce la raison pour laquelle ils nous prennent en chasse avec autant de détermination ? Pour renforcer la cohésion au sein de leur propre groupe ?
Ce serait un contre-sens de penser que les zombies sont autre chose que des âmes errantes (ceci, j’insiste, sans aucune connotation religieuse). Les foules de zombies qui écument les avenues des grandes villes ne sont rien d’autre que des juxtapositions accidentelles. Aucune volonté derrière ces rassemblements, aucun instinct grégaire.
La seule chose qui motive leurs déplacements, c’est l’appétit de viscères fumantes. Ce qui attirera l’attention d’un zombie (une proie potentielle) a de grandes chances de retenir celle de ses voisins. C’est ainsi que de vastes groupes de zombies vont donner l’impression de fonctionner de manière collective, alors que leurs mouvements sont chacuns indépendants de ceux de leurs congénères.
Les zombies ne sont donc ni attirés par un fonctionnement collectif, ni effrayés à l’idée de cotoyer leurs semblables. Ils ne sont pas victimes d’ochlophobie (peur irraisonnée de la foule, souvent confondue avec l’agoraphobie, peur irrationnelle des espaces libres et des lieux publics). En fait, ils n’ont pas conscience de qui que ce soit à l’exception d’eux-mêmes et de leurs proies potentielles.
Alors bien sûr, on m’objectera que dans son dernier opus en date "Land of the Dead", George Romero met en scène un début de soulèvement collectif des morts-vivants. Il sera intéressant de voir jusqu’où il compte porter cette idée hérétique. Peut-être nous prépare-t-il une évolution de "l’espèce" zombie, qui accéderait-alors à une étincelle de conscience, seule à même de lui faire prendre conscience de son "poids" (politique, en l’occurence).
Toujours est-il que dans l’écrasante majorité des cas, les morts-vivants agissent en électrons libres. Les foules qu’ils constituent ne sont rien d’autre qu’une addition d’individus, et la somme des parties n’est jamais supérieure au total.
Ce n’est donc pas encore de ce côté que nous trouverons notre bonheur. La réponse à nos interrogations doit pourtant bien se trouver quelque part ? Les zombies ne sauraient nous préférer à leurs semblables sans raison...
Et si la réponse se trouvait du côté de ce fluide rougeâtre qui inonde nos veines ? Et si c’était après notre sang que les zombies en avaient ?