Jacques Goimard (1934-2012)

Coup de tonnerre dans le monde de la SF, ce 25 octobre : Jacques Goimard est mort ! Même le pape n’est pas immortel. Or, Goimard était le pape non seulement de la SF mais de tous les mondes de l’Imaginaire et, plus loin encore. Cinéma, musique… esprit encyclopédique, il savait TOUT. Et nous voilà tous sans lui.


Né en 1934, il a suivi toute l’évolution littéraire française : journaliste, critique, anthologiste, essayiste, préfacier, conférencier, directeur de collection, que n’a-t-il pas été ? Ses collaborations à Fiction, au Monde, à Métal hurlant, aux Enfants du Rock même, ont fait date et ses articles se comptent par milliers. Comme anthologiste, peut-être sa plus belle incarnation, il aura mis sur pied trois séries essentielles, La Grande Anthologie de la SF (avec Gérard Klein et Demètre Ioakimidis), La Grande anthologie du fantastique (avec Roland Stragliati) et Le Livre d’Or de la science-fiction, séries qui ont fait découvrir les univers imaginaires à des milliers de lecteurs et qui, aujourd’hui encore, restent la base de toute bibliothèque bien constituée. Grâce à elles, le public francophone a pu faire connaissance avec toute la SF anglo-saxonne dès les années 1970 et redécouvrir les textes de base du fantastique. On ne pourra jamais assez le louer pour cette œuvre de pionnier.

Au début de ce siècle encore, il récidivait avec deux recueils parfaits et exemplaires, tous deux parus chez Omnibus : Nouvelles des siècles futurs (2004) et Chefs-d’œuvre du fantastique, de Hoffmann à King (2007), toujours en vue de faire connaître à tous les plus grands récits de la littérature de l’Imaginaire, rééditant souvent des nouvelles célèbres mais devenues introuvables. Ses articles, d’une rare pertinence, ont été publiés dans de très nombreuses revues. C’est là le risque terrible que prend le critique : voir ses textes perdus dans un monde de revues souvent appelées à disparaître. Grâces soient rendues aux Editions Pocket qui, de 2002 à 2004, ont réuni un florilège de ses articles sous le titre kantien de « Critique » : Critique de la science-fiction, Critique du fantastique et de l’insolite, Critique du merveilleux et de la fantasy et Critique des genres. L’œuvre est sauvée, pour toujours. Il y a là à picorer durant des heures.


J’ai rapidement relu ce qu’il dit sur Voltaire, Lovecraft, Leiber, Silverberg ou la SF au cinéma, sur Todorov, le film fantastique, la vie des morts (fantômes et vampires) ou le théâtre de l’absurde, sur le mythe de l’Atlantide, le peplum italien, E.R. Burroughs, Jack Vance, Star Wars ou le peintre Siudmak : rien ne lui échappait. Avec ce regard toujours critique, lucide, acéré, cet enthousiasme sérieux qui caractérisait parfaitement l’esprit universitaire de cet agrégé d’Histoire, à la voix grave et monocorde et à la science infinie. Son Grand Œuvre devait être formé par un gigantesque dictionnaire encyclopédique destiné à remplacer l’ouvrage mythique de Pierre Versins (1972). Il avait dans ce but lancé un appel à tout ce qui compte dans le monde de l’Imaginaire francophone. Mis en route en 2004, il est toujours en cours : ne serait-ce pas le plus bel hommage à lui rendre que de faire prendre enfin corps à ce projet fabuleux ? Trop tôt pour le voir apparaître, hélas, le Goimard est rentré dans sa Nuit, à jamais…

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