Dieu dans l'ombre (Le)
Contrainte de vivre dans la famille de Tom, son compagnon, Evelyn ne trouve pas sa place dans ce monde rural étriqué où les convenances sont les tuteurs de la vie sociale. Les étendues sauvages de l’Alaska lui manquent ainsi que sa liberté d’être sans contrainte. Même Teddy, son fils de 5 ans lui échappe peu à peu. Evelyn se sent en prison, pire, inutile. De plus en plus étrangère à son mari, les rêves, les souvenirs de la forêt s’imposent. Rêve et réalité se confondent en souvenirs. L’ami imaginaire existe-t-il au-delà de l’enfance ?
C’est sans doute le plus touchant des romans de Robin Hobb que j’ai lu. _ Il n’y a pas la distance de la fantasy pour vous protéger et vous dire que ce n’est qu’une histoire (même si les histoires de Robin Hobb vont beaucoup plus loin que ce que l’on s’attache à croire). Ce roman s’inscrit dans la réalité d’aujourd’hui. Si proche, tellement proche qu’on se sent impliquée dans les émotions d’Evelyn.
Evelyn, une femme d’aujourd’hui, indépendante et libre qui doit faire des concessions, voire se soumettre aux règles familiales et qui n’en peut plus… Si la réalité dérape, s’évanouit, se distend, se distort vers une autre, c’est naturellement, comme quand on regarde un taillis de broussaille ou des nuages et qu’on imagine les personnages qui s’animent… Parce qu’on n’en peut plus de la réalité autour de nous. On a besoin d’un supplément d’âme. Evelyn a cru le trouver en son enfance dans un ami imaginaire. Quand l’ami revient vers elle, le temps des questions s’impose.
Même si ce livre est publié dans une collection de « fantasy » qu’importe, il est lisible par tout le monde. Par exemple, ceux qui aiment Barbara Kingsolver, devraient apprécier ce roman.
Les femmes y trouveront leur compte, leur conte. Toutes les déclinaisons d’une vie de femme qui ne veut pas s’inscrire dans le registre de la soumission sinon à la nature. Et encore. C’est son corps qui imposera la limite pas son rêve.
C’est dans la nature qu’Evelyn estime avoir sa place la plus juste. C’est dans la nature qu’elle prend conscience de ses possibilités et de ses limites et qu’elle peut les accepter sans avoir l’impression d’être domptée.
La narration se fait comme à deux voix, deux voies, celles de l’enfant rebelle qui exprime sa rébellion dans la forêt toute proche de la cabane familiale, en Alaska encore sauvage et celle de la femme qui découvre la famille de son époux, non loin de Seattle, dans un milieu rural où la nature est quadrillée par les hommes.
La nature, la famille, un cadre rigide, dompté, soumis où les hommes sont les maîtres et où les femmes doivent jouer des rôles écrits par eux pour elles. Evelyn n’a pas le texte de son nouveau rôle, être la femme de Tom et la mère de son enfant. D’ailleurs elle ne veut pas l’apprendre. Elle essaie mais elle ne peut pas. Elle veut être ce qu’elle est : amante, amoureuse, maternelle et naturelle. Son rôle est écrit comme un carcan, une armure, un tailleur bien ajusté pour elle qui aime les jeans et les taillis de la forêt. Son fils lui est dérobé pour être éduqué comme un fils de colon, de conquérant de la nature. Tout ce qu’elle veut lui offrir, vivre en harmonie avec l’environnement se casse sur cette volonté des hommes de tout contrôler. Alors Evelyn s’échappe…
Je ne vous en dirai pas plus de peur de trop en dire et de briser le plaisir et la liberté d’aller à son rythme.
Ce roman est un hymne à l’environnement. Il est à lire d’urgence pour comprendre ce que l’on perd un peu plus tous les jours. C’est aussi un roman sur le respect des autres, de leur identité, de leurs rêves.
A lire absolument. Dans ce roman, j’ai trouvé tout ce qui anime toutes les façons d’écrire de Robin Hobb. La trame du tissage ubtil de toutes les histoires qu’elle partage avec nous pour nous dire l’enchantement de la nature et la nécessité de le respecter.
Le Dieu dans l’ombre, Megan Lindholm alias Robin Hobb, traduction : Claudine Richetin, Illustration : Corbis, 440 pages, Editions Télémaque.