LE GENDRE Nathalie 01
Dis-moi quelque chose à ton propos ? Qui es-tu ?
Je suis un auteur jeunesse ; je ne me qualifie pas d’auteur jeunesse de science-fiction mais d’anticipation. Il faut bien faire la distinction ; pour moi, l’anticipation, c’est traiter des rapports humains dans la société actuelle et les projeter dans le futur pour deviner ce que va devenir notre monde. La science-fiction, c’est trop froid pour moi.
A quel âge as-tu commencé à écrire ?
Dès que j’ai su écrire, vers 7 ans, j’ai commencé à gribouiller des histoires dans mes cahiers scolaires. J’ai commencé les vrais manuscrits à l’adolescence.
Te souviens-tu encore de tes premiers textes ? Que sont-ils devenus ?
J’écrivais à l’époque de la fantasy, des contes pour enfants et des pièces de théâtre. C’est resté dans mes tiroirs. Avant, je ne voulais pas les publier, c’était pour moi. Donc, pour l’instant, ça reste dans mes tiroirs. Je les ai relus et moi, ça me plaît. J’ai commencé à écrire plus sérieusement à l’adolescence mais j’ai publié bien plus tard, vers 2003, quand j’avais 33 ans. Là, j’avais commencé à faire des romans plus fantastiques, d’anticipation. J’écrivais également un peu de fantasy mais j’ai arrêté parce que c’était trop pour moi. J’ai publié si tard parce qu’à l’époque, je faisais du théâtre, je suis comédienne à la base et j’étais très bien comme j’étais. Et, quand j’ai quitté la troupe, j’ai eu l’impression qu’une part de moi se brisait comme si j’étais un fantôme, je me suis mise vraiment à me remettre en question et je me suis dit qu’il fallait que je publie ce que j’avais fait parce que j’ai besoin de partager. C’est vraiment cette envie de partage qui m’a poussé à écrire.
Comment écris-tu ? Est-ce une profession pour toi ? Quelles sont tes autres passions ?
C’est une profession, de par l’école de notre société. A partir du moment où l’on gagne de l’argent, c’est un métier mais pour moi, ce n’en est pas un ; c’est plutôt une respiration. Je n’en vis pas, je survis et une fois que j’arrêterai de survivre, je ferai autre chose.
Pourquoi l’écriture ? Quel est, selon toi, le rôle de l’auteur dans notre société ?
J’ai choisi l’écriture pour l’inspiration, c’est comme le théâtre (où je jouais mais écrivais également des pièces). Je compense le manque de théâtre par l’écriture. Quand j’écris un roman, c’est comme si je mettais en scène tous mes personnages et du coup, c’est comme si je jouais sauf que là, je suis toute seule. Quand j’écris, je joue mes personnages. Il faut que je vibre en même temps qu’eux et que j’aie exactement les mêmes émotions.
Tu écris peu de nouvelles. Te considères-tu plutôt comme une romancière ?
J’écris très peu de nouvelles, j’en ai écrit quelques-unes mais je préfère les romans. J’écris en fonction de ce que l’on me propose. La nouvelle me permet de décompresser entre deux romans ou de passer à autre chose quand je suis en plein milieu d’un roman et que ça commence à me saouler un petit peu. Mais sinon, si on ne m’en propose pas d’en écrire, je ne vais pas aller en chercher.
Tu es originaire de Bretagne, terre de merveilleux s’il en est. Pourquoi la SF et pas la Fantasy tellement à la mode ?
J’écris de l’anticipation ; je viens de sortir un roman 49 302 et un autre que j’espère voir sortir. Là, je suis sur un projet fantasy mais c’est top secret.
Tes romans sont optimistes, malgré des histoires pas très joyeuses au départ avec une Terre ravagée, un écosystème très mauvais. Alors Nathalie Le Gendre optimiste ou pessimiste concernant notre bonne vieille Terre ?
Les deux en même temp. Pessimiste quand je vois ce que l’on est en train de faire de la Terre, au niveau écologique et de l’humain et, en même temps, je me dis que chez l’humain, il y a un instinct de survie assez phénoménal. Notamment, quand on voit les évènements du 11 septembre 2001, il y a quelque chose de grandiose qui s’est réveillé. Je me dis que peut-être qu’un jour, l’humain va se réveiller et va y arriver. J’y crois et, en même temps, je me dis qu’on va droit dans le mur. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour que l’humain se réveille, je n’en ai aucune idée ; l’humain est tellement fou.
Tes romans sont très centrés sur les individus. Penses-tu que les individualités sont plus importantes que la sociétéen général ?
Ta question n’est pas facile. C’est vrai que je suis très individualiste dans mon roman et, en même temps, je pense qu’un individu seul peut sauver beaucoup de personnes mais pas l’humanité en elle-même. Je ne sais pas trop s’il serait capable de sauver la société entière. C’est vrai que, dans l’histoire, on peut voir certaines personnalités qui ont fait bouger les choses mais ce n’était pas toujours dans le bon sens. Le fait que mes personnages le font vient de mon passé, de mon histoire, de mon vécu. Je me suis aperçue que si tu ne te sauves pas toi-même et que tu ne sais pas ce qu’il faut pour te sortir d’une situation inextricable, tu ne peux pas sauver les autres.
Ca, c’est propre à mon vécu, j’ai subi des choses et j’ai constaté que quand tu es au fond du trou, tu ne peux pas sauver les personnes que tu aimes. Il faut savoir te sauver pour sauver les autres, je pars de ce principe-là.
La liberté est un des thèmes importants chez toi. Penses-tu que l’être humain a besoin de liberté ? Penses-tu que nous en avons assez ?
Non, nous n’en avons pas suffisamment. Maintenant, chacun donne la définition de la liberté comme il l’entend. Pour moi, la liberté est quelque chose de très important, je l’utilise mais en respectant l’autre à côté, je n’en fais pas n’importe quoi. Comme on dit, la liberté s’arrête où commence celle des autres. Pour moi, la liberté, c’est de pouvoir choisir ce qui me convient le mieux et ce qui me permet de respirer, de voler, d’être bien sans forcément de fil d’attache et de pouvoir aider les autres. Ma liberté est très complexe.
Quand on regarde notre société, on peut constater qu’elle est très carrée, est-ce que tu penses que les gens en général ont besoin d’un canevas ? D’un cadre ?
Non. Notre société n’est pas très capitaliste. On n’a pas le choix, il faut faire comme tout le monde : avoir un travail, avoir de l’argent. Moi, j’ai choisi d’avoir un travail mais pas comme tout le monde. L’argent, je m’en contrefiche, je survis mais malheureusement, on vit dans une société où il en faut. Maintenant, je sais qu’il y a certaines personnes qui trouvent inadmissible ce que je fais : un milieu artistique où tu paies très peu d’argent, où on estime que tu ne fais rien. Tu ne te lèves pas le matin pour le travail, donc, pour eux, tu ne fais rien. Mais, c’est mon choix. Il y a des personnes qui vont m’envier mais sans pour autant choisir et se dire « Moi aussi, j’aurais bien aimé faire le métier qui me plaît » mais ils ne le font pas parce qu’on ne choisit pas et qu’on ne veut pas choisir. Or, c’est ça, la liberté. Maintenant, ça dépend de la liberté qu’on veut prendre.
Pourquoi avoir choisi ce métier d’écrivain ?
Parce que j’ai une âme artistique ; l’art me fait vibrer. Si je ne touche pas à l’art, je meurs. J’ai toujours écrit, j’écris tout le temps, j’ai besoin de partager, de cet échange avec le public, les lecteurs. Je fais énormément d’interventions scolaires et on partage beaucoup. C’est vital pour moi. Si je n’écris pas, ce sera le théâtre.
Comment sont reçus tes livres par les jeunes lecteurs ?
Vachement bien, surtout quand je vois les 7èmes professionnelles. J’aborde des questions très difficiles ; ça donne des émotions vachement intenses et les gamins me suivent et je trouve ça génial. Arriver à faire entrer les jeunes qui n’aiment pas lire dans la lecture, c’est important.
Es-tu plutôt technologique ou nature ?
Nature. Il y a certaines technologies qui me font peur et donc, avant que j’adopte une technologie, il faut vraiment me prouver qu’il n’y a aucun danger mais on ne sait pas me le prouver par a+b puisqu’on n’a jamais assez de recul.
Est-ce que la technologie pourrait limiter la liberté ?
Oui, certainement, dans certains côtés. Et, puis, à mon sens, il y a toujours des gens qui utilisent la technologie pour s’en mettre plein les poches et pour évincer les êtres humains. Je ne le supporte pas.
La génétique et le clonage, qu’en penses-tu ?
Bien, super, à partir du moment où cela peut sauver des vies et où il n’y en a pas derrière qui s’en mettent plein les poches. Déjà, derrière nous, il y en a très certainement qui s’en mettent déjà plein les poches ; c’est pour ça que je m’en méfie. Immanquablement, il y a des risques.
La passion joue-t-elle un rôle essentiel dans ta vie ? Quel genre de passions ?
J’adore apprendre, découvrir, toucher à tout, j’adore la différence. J’ai besoin de me nourrir des autres, je suis une passionnée un peu pour tout. Si je ne vibre pas , ce n’est pas la peine que je continue.
Les enfants tiennent une place à part chez toi. Quelle est la magie des enfants ?
L’innocence. Non, c’est pas vrai, les enfants ne sont pas tous innocents. Ce n’est pas la magie des enfants, je dirais que comme on m’a volé mon innocence, mon enfance, je protège les enfants. Immanquablement, dans le premier roman, il y aura toujours des adolescents qui vont venir. Les personnages principaux seront toujours des adolescents ou des adultes, je ne sais pas pourquoi. J’ai déjà vu une faiblesse chez les enfants et je ne supporte pas les adultes qui utilisent leur pouvoir d’adulte pour contrôler les enfants. Les enfants, pour moi, on doit les respecter parce que, si ça se passe bien, ce sont eux qui porteront notre monde de demain.
Tu as dit dans un entretien que tu étais fascinée par les civilisations Mayas et Incas. En quoi te fascinent-elles ?
C’est vrai, je suis fascinée. D’ailleurs, je vais écrire un roman là-dessus (rires). Je suis fascinée par les Mayas, pas les Incas. Ils étaient vachement en avance sur leur temps, j’aurais bien aimé être à leur époque et voir ce qui se passait et ce qu’ils avaient dans leur tête. Il y a plein de mystère autour d’eux.
C’est génial les civilisations comme ça, un peu particulières.
Ton 3e livre « Les Orphelins de Naja » est encore un livre coup de poing. Tu y abordes la pédophilie. Un sujet ni facile, ni fréquent en SF. Qu’est-ce qui t’y as poussée ?
Plusieurs faits d’actualité... Quand j’apprends qu’il y a des hommes d’église qui abusent d’enfants, ça me fait bondir. Alors, je voulais écrire un roman là-dessus. J’ai également été victime de pédophilie, donc je sais de quoi je parle. Et, pour moi, alerter les plus jeunes dans les romans, c’est essentiel. Quand je fais des interventions scolaires et que je vois des gamins à qui je parle qui osent me dire qu’ils ont été victimes de cela, moi, je sais de quoi je vais parler. Je voudrais que les plus jeunes arrivent à comprendre que ce qu’ils vivent cela, c’est anormal et qu’ils arrivent à se tourner vers les adultes. Je le répète, je n’aime pas que les adultes abusent de leur pouvoir.
Tu ne choisis jamais des sujets faciles. La femme que tu es est-elle souvent révoltée ? Par quoi ?
Je suis révoltée par les conditions inhumaines que l’on trouve sur terre, dans notre société. J’en reviens toujours à la même chose, je n’aime pas quelqu’un qui va abuser de son pouvoir sur l’autre.
Jamais été intéressée d’écrire pour les adultes ?
J’ai écrit des nouvelles pour adultes mais les romans pour adultes, ça ne m’intéresse pas pour la bonne et simple raison que je ferais beaucoup moins d’interventions scolaires et je n’aurais pas de contact avec les jeunes. Et, là, il me manquerait quelque chose. Peut-être qu’un jour, je sortirai un roman adulte mais pour le moment, ça ne m’intéresse pas. Des nouvelles, oui , pas de problème.
Peux-tu nous dire quelques mots de ton dernier roman « Graff’in Love » ?
C’est une histoire d’art méconnu, le Graff, le hip hop, sur fond de première entente, de première fois entre deux adolescents. C’est une histoire d’amour. C’est une écriture à deux points de vue. Il y a un adolescent et une adolescente qui vont se rencontrer et, dans chaque chapitre, vous aurez chaque fois les deux points de vue. J’ai adoré écrire ce roman. Plusieurs adolescents l’ont lu et y ont donné un retour enthousiaste auquel je ne m’attendais pas. Ils n’arrivent pas à définir exactement ce qui leur plait tant mais c’est un roman qui les a fait vibrer. Les ados qui l’ont lu adorent « Graff’in Love ».
Ce qu’ils ont adoré, c’est justement cette écriture à deux voix, avoir les deux points de vue et pouvoir s’identifier aux deux en même temps.
Quel est ton auteur d’Imaginaire préféré ?
Je ne peux pas répondre à des questions pareilles, d’autant que j’ai du mal à retenir les noms des auteurs. Je lis tellement de choses, je ne peux pas dire « Lui, c’est mon préféré ».
Quel est l’élément déclencheur qui fait naître tel ou tel roman, telle ou telle thématique... Ainsi Jonathan Littell a eu l’idée des Bienveillantes en voyant la photo d’une jeune russe martyrisée pendant la dernière guerre. As-tu des éléments déclencheurs, des faits, des objets... Une oeuvre d’art... ?
La vue ; j’observe beaucoup et je regarde beaucoup l’humain. A un moment donné, il va y avoir un déclic. Je ne peux pas expliquer pourquoi tel déclic et pas un autre, c’est quelque chose qui est au plus profond de moi qui va me faire vibrer et, à partir de là, je pars sur tel ou tel thème.
Quel sont les derniers livres que tu aies lus et que tu recommanderais ?
Il y en a deux. « L’arche de Noa » de Ange et « Les fleurs d’Algernon » que l’ai lu d’une traite mais dont j’ai été déçue parce que la personnalité du personnage évolue beaucoup trop vite pour moi. Je préfère quand il est attardé, attachant, craquant et ‘vrai humain’ et là je trouve que c’est un humain froid, ce que je n’aime pas.
Quel est ton principal trait de caractère ?
J’en ai plein. La générosité.
Qu’est-ce qui t’énerve ?
Tout (rires). La connerie humaine.
Outre l’écriture, quels sont tes hobbies ?
Le dessin, la moto, la nourriture, le piano, lire, la musique. J’en ai plein.
Quel est le don que tu regrettes de ne pas avoir ?
J’hésite entre la télépathie et la téléportation mais je dirais la télépathie.
Quel est ton rêve de bonheur ?
J’ai atteint mon rêve de bonheur, donc je ne pourrais pas te dire.
Par quoi es-tu fascinée ?
Par la nature.
Tes héros dans la vie réelle ?
Oui, mes enfants.
Si tu rencontrais le génie de la lampe, quels vœux formulerais-tu ?
C’est vachement cruel parce que je pense que je ne vais t’en sortir qu’un.
Je voudrais que tous les humains soient sur le même pied, que l’on redistribue toutes les richesses et que ce soit équitable pour tout le monde, que l’on ait tous les mêmes choses. Ce n’est pas évident parce que ça déraperait.
Mon deuxième vœu serait que la planète ne souffre plus.
Ta vie est-elle à l’image de ce que tu espérais ?
La vie n’est jamais à l’image de ce que l’on espérait et moi, c’est justement ce que j’espérais au début.
Cite-nous 5 choses qui te plaisent.
(…)
Le vin
Les aigles
La liberté
L’amour
Cinq choses qui te déplaisent
Le café
Le froid
(Les coups)
La fatigue
Le manque de tact
Last but not least une question classique : tes projets ?
J’en ai déjà trop dit là. J’ai un projet mais c’est mon secret.
Je vais faire un prochain roman d’anticipation qui, je l’espère, sortira en 2010.