Qui a peur de Beowulf ?
Rock and Skoll
Cela faisait tellement longtemps que je ne riais plus en lisant un livre d’aventures. Tellement longtemps que je voyais venir les intrigues de loin, avec leurs gros sabots hollandais. Tellement longtemps que les dialogues me paraissaient de sinistres moments obligés, comme la drague du samedi soir et la veste du dimanche matin.
Et puis Holt. Holt, comme un Holt 45, avec l’humour glacial en guise de projectiles et des héros givrés à souhait comme s’il en neigeait, des vikings, des vrais, du temps que les rasoirs à trois lames n’existaient pas, des gars hirsutes et gigotants que l’on suit avec délice dans une Angleterre devenue si morne et technocratique.
Holt, comme une explosion de bonne humeur et de dynamique narrative.
L’auteur va vite, en bobsleigheur futé et il ne perd point de temps en descriptions inutiles ; son tour de main étourdissant fait naître à volonté scènes cocasses et absurdes, comme dans un très grand Monty Python. Il raconte ici l’histoire d’un combat quasi-éternel entre forces du bien, la horde à peine maîtrisée du roi Hrolf Ketilsson, et les forces du mal, représentées par un sinistre baron d’empire multinational et son chargé d’affaires lycanthrope, nichés dans la plus grande tour de la City de Londres. Car le combat, interrompu quelques mille deux cents ans, le temps que les guerriers normands piquent un bon roupillon dans un drakkar enchanté, se perpétue maintenant au vingt-et-unième siècle. Pour se remettre dans le coup, technologiquement parlant, les Vikings ont la chance de rencontrer sur leur chemin de guerre la jeune et bienveillante Hildy Fredericksen, une archéologue au cerveau tout aussi embrumé par les légendes que les terres nordiques qui leur donnèrent naissance. Elle ne sait pas manier une hache, mais elle a une carte bleue, et c’est presque aussi efficace pour échapper au traditionnel ragoût de mouettes, qui fait le quotidien des lascars depuis des générations. Le fish and chips et la Guiness comme merveilles de l’art culinaire post-moderne !
Voici donc les forces en présence pour un combat, qui heureusement, - et c’est tellement appréciable en notre époque de tuerie de masse-, ne fournit pas une excuse à un débordement d’hémoglobine. Qui a peur de Beowulf ? ne cède pas à la tentation des dégoulinures gores et des descriptions effroyables. Pour cela, le spectacle des actualités télévisées suffit amplement. Non, les Vikings sont là pour le fun et la frappe, tout en gardant leur fair-play. Tant qu’à cogner sur des gars, autant leur donner une chance de résister un peu. Et tant qu’à faire, évitons de les ratiboiser, si nous voulons encore avoir des compagnons de jeu pour les années à venir.
Voilà, si vous ajoutez à ce programme bon enfant, deux esprits chtoniens, obsédés d’électricité, qui se chamaillent dans une version délirante du Monopoly depuis la création du monde, vous aurez une courte idée de l’hilarante odyssée ici représentée.
Je regrette juste un peu que la traduction du titre soit restée trop littérale et qu’elle ne rende pas du tout l’allusion de l’auteur à la chanson des petits cochons de Disney (Qui a peur du méchant loup ?). C’est en tout cas un livre tonique et revigorant, une saga nordica que je conseille vivement pour les longues soirées d’hiver, avec un bon disque de Led Zeppelin en background. Soyons fous, quoi !
Tom Holt, Qui a peur de Beowulf ?, traduction de Marianne Féraud, Editions Bragelonne, 248 pages.