Mariage (Le)
Les éditions Belfond ont eu l’excellente idée de republier le roman de Dorothy West, roman d’autant plus essentiel qu’il doit son existence aux hasard d’une rencontre et d’une amitié aussi incroyable qu’improbable, celle de l’auteure avec Jackie Kennedy Onassis. Commencé dans les années 40, il faudra à l’écrivaine plus de 50 ans pour l’achever, persuadée initialement qu’aucun éditeur n’en voudrait avant de le remiser dans un coin de sa tête et de son bureau.
C’est que ce Mariage est un roman audacieux. Défenseur des droit civiques et de la littérature afro-américaine, Dorothy West raconte l’émancipation des Noirs, leur accès à la culture, à la richesse, dans un pays et une époque où le racisme fait rage. Nous sommes dans une famille ayant réussi à s’élever dans la société malgré les difficultés et les préjugés, les Coles. Un des ancêtres, Isaac, a été pris en charge par ces vieilles filles blanches qui ont tout sacrifié pour aider les descendants d’anciens esclaves à quitter le Sud pour des villes comme Boston et à s’élever. Pour eux, la réussite passe par des études prestigieuses, le titre de docteur, la maison d’été dans l’île ultrachic de Martha’s Vineyard. Nous sommes à la veille du mariage de Shelby, jeune descendante de cette famille, avec un jazzman blanc désargenté, Meade. Cette union parait inappropriée pour beaucoup et est l’occasion pour chacun d’exprimer ses rancœurs. Les parents de Shelby ne vivent quasiment plus ensemble, le père attend de marier sa fille pour partir avec sa maîtresse et la mère s’abandonne aux bras de jeunes Noirs dans des bars plus ou moins douteux. L’arrière-grand mère Gram espère au contraire que ce mariage apportera un peu de sang « neuf » dans la famille, la sœur aîné partie épouser son conjoint sur un coup de tête regrette sa folie, un voisin trois fois divorcé et père de trois fillettes cherche à tout prix à raisonner Shelby pour la convaincre de l’épouser lui…
En fine observatrice du monde qui l’entoure, Dorothy West montre la prédominance de la notion de classe, le racisme évident où les Afro-américains même aisés ne sont guère tolérés par les Blancs parfois inférieurs à eux dans la réussite, le pire étant sans doute les métis, puisque, s’ils peuvent faire illusion grâce à leurs teint et cheveux plus clairs, dès lors que l’on apprend leurs racines, il n’est pas bon de les fréquenter.
Le mariage est un roman exceptionnel à plus d’un titre, et déjà pour le témoignage sur son époque. Même idéalisé par le discours de Shelby, probablement finalement la plus mature de toutes les personnes, l’auteure cherche nous fait passer le message que cette notion de classe et même, n’ayons pas peur des mots puisqu’ils avaient cours à l’époque, de race, ne saurait se substituer aux sentiments de deux personnes.
Je remercie les Éditions Belfond pour ce livre indispensable.
Dorothy West - Le mariage - Éditions Belfond - janvier 2024, 15 €