À fleur de peau par Mathilde Haccour
— Mes chers amis ! Comme je suis heureuse de vous voir tous réunis ici aujourd’hui ! Avant de vous montrer ce pour quoi je vous ai fait venir, il faut que je vous explique. C’est important que vous compreniez pourquoi j’ai agi ainsi. Figurez-vous que, il y a quelques semaines de ça, je me suis regardée. J’ai observé ma vie de la manière la plus objective possible et me suis rendu compte qu’elle n’en valait pas la peine. Ne faites pas semblant ! Vous voyez bien que je ne suis qu’un immense tas de gras mélangé à des idées noires… Comment cela a-t-il pu être ? Eh bien pour commencer, vous êtes tous au courant que je n’ai jamais connu que la compagnie de ma mère, vieille femme aigrie passant le plus clair de son temps à m’asticoter pour oublier ses propres problèmes. D’abord, c’étaient quelques brimades sans grande conséquence. Puis des disputes. Ensuite les insultes qui pleuvaient, et les crises de nerf, de larmes… Bref, un véritable enfer. Du coup, plutôt que d’affronter mes problèmes, je me suis mise à les dévorer. Je pouvais engloutir des citernes de soda, des rivières de grenadine, des forêts de hot-dogs et des montagnes de hamburgers, voire même, en cas de drame extrême, des millions de bonbons, glaces et chocolats en tout genre. Mes os étaient en esquimaux, ma silhouette était un mélange de marshmallow et de chips, tandis que mon cœur pompait chaque jour des litres d’huile et de sirop. « Annabelle Litovski », me dit un jour ma mère, « tu es grasse et bête ». Ce fut ce jour-là que je me rendis compte de la vacuité de mon existence. Tout en observant mon énorme stature dans un miroir, je me disais qu’il fallait tout changer. Je voulais être autre chose qu’un souffre-douleur en surpoids. Je voulais me coucher le soir en ne sachant pas de quoi demain serait fait. Je voulais voir sur le visage des gens, sur vos visages, autre chose que de la pitié. N’essayez pas de me contredire ! C’est alors que j’ai pensé à Drioli. Vous rappelez-vous de lui ? Voyons, c’est ce peintre génial et complètement dément qui vit en ermite ! Sa dernière œuvre s’est vendue à combien déjà ? Enfin peu importe… Vous aurez du mal à croire ce que je vais vous raconter, mais tâchez de ne pas m’interrompre. Il y avait donc, quelque part non loin d’ici, ce vieux peintre nommé Drioli qui vivait en reclus. Après avoir suivi quelques chemins de terre, tourné à droite après la rivière, traversé l’ancienne ferme… je me suis finalement retrouvée dans un gigantesque champ de blé, tacheté de quelques coquelicots qui courbaient la tête sous les assauts du vent. Au beau milieu de tout cela trônait une toute petite hutte en bois. Elle semblait extrêmement fragile et penchait dangereusement vers l’arrière. Elle se serait sans doute déjà écroulée s’il n’y avait ce madrier pour soutenir l’avant-toit. On aurait dit un vieil homme éméché, appuyé sur sa canne. Derrière la porte se trouvait une petite pièce sombre et vide qui embaumait la sauge et l’encens, une odeur puissante qui me fit plisser les narines. Ce n’est qu’après m’être habituée au manque de lumière que je le remarquai : un homme très âgé était assis en tailleur à même le sol, la tête baissée. Tout était recouvert de poussière autour de lui. Pas une seule trace de pas. Depuis combien de temps se tenait-il ainsi immobile ? Distinguant petit à petit ses traits, je me rendis compte que ses paupières avaient été cousues avec un grossier fil noir. Le même, semblait-il, qui avait suturé son nez, ses oreilles et sa bouche. J’avais déjà entendu certaines rumeurs, prétendant que Drioli s’était lui-même cousu le visage pour que rien ne le détourne de ses peintures, mais voir cela de mes propres yeux me fit un choc indescriptible… Ce n’était qu’un tout petit être condamné au silence des sens. Heureusement, les coutures de ses lèvres étaient assez lâches pour qu’il puisse respirer ou murmurer, ce qui me permit d’entendre sa voix rauque et cassée lorsqu’il me salua. « Je vous attendais, Annabelle Litovski», fit-il. J’en restai coite. Comment ce vieil ermite, aveugle de surcroît, pouvait-il me connaître ? Lui qui semblait n’avoir jamais bougé de sa hutte ? « N’ayez pas peur », me réconforta-t-il, « beaucoup de gens sont venus, et beaucoup d’autres viendront. Mais c’est vous qui êtes ici maintenant, n’est-ce pas ? ». Il tapota de ses petites mains sèches sur un coussin posé à côté de lui. « Venez vous asseoir, cela faisait des années que je n’avais plus eu de visites. Et lorsque j’en aurai fini avec vous, je n’aurai plus qu’à attendre le prochain. Et puis qui sait ? Peut-être qu’un jour je pourrais m’allonger dans le champ de blé que vous avez vu au-dehors, et une fois l’été arrivé, on ne retrouvera plus qu’un coquelicot… Mais en attendant, venez près de moi ». J’étais terrifiée, mais ça ne m’empêcha pas de remarquer dans un coin, un amoncellement de toiles, vierges ou déjà recouvertes d’une de ses créations, de bocaux de pigments et de pinceaux de toutes tailles. Je ne saurais vous dire ce qui m’a poussé à lui obéir. Disons juste que je sentais que les choses devaient se passer ainsi, comme si c’était écrit et que je ne pouvais plus retourner en arrière. Je me suis assise près de lui et, priant pour que ses points de suture ne l’aient pas rendu sourd, lui expliquai ma requête. Il fut étonnamment facile à convaincre et ne me réclama pas le moindre sou. Il faut croire que la solitude commençait à lui peser… Quoi qu’il en soit, je me sentais enfin complète. Comme si j’avais enfin un futur tout tracé devant moi. Mais au lieu de me laisser admirer le résultat de son travail, le vieux Drioli enroula tout mon corps dans de larges bandes de gaze qu’il fixa avec des sparadraps et des épingles. J’avais l’air d’une véritable momie. « Vous ne pourrez les voir qu’au bon moment. Chaque chose doit être faite dans son temps. Vous vouliez changer de vie, n’est-ce pas ? Eh bien invitez toutes vos connaissances et dites-leur que vous avez quelque chose à leur montrer. Seulement à cet instant, vous pourrez enlever vos bandages pour révéler votre nouvelle existence ». Vous comprenez tout désormais ? Voilà pourquoi je vous ai invités chez moi ce soir !
Sur ces mots, Annabelle Litovski, qui se tenait maladroitement debout devant ses invités, gênée par son embonpoint et ses bandages, commença à se dénuder. Les gens étaient de plus en plus mal à l’aise. Était-elle devenue folle ? Elle les invitait ici pour leur raconter une histoire abracadabrante, et voilà qu’elle voulait se déshabiller devant eux ! Mais plus Annabelle se dénudait, et plus les invités la regardaient. Avaient-ils jamais vu quelque chose d’aussi beau ? Ce furent d’abord les roses qu’ils découvrirent avec émerveillement, dont les pétales délicats étaient émaillés de gouttelettes cristallines. Certains voulurent tendre leurs mains pour les toucher. Mais ce n’étaient que des images. Toute la personne d’Annabelle Litovski n’était plus qu’un tourbillon de végétaux, de fontaines, de fusées et de petits êtres dont les détails et les couleurs étaient si étroitement entrelacés qu’on pouvait presque les voir se déplacer ou les entendre murmurer. Une fois totalement nue, Annabelle fut parcourue d’un long frisson, et c’était comme si tout prenait vie. Des petits yeux d’or semblaient cligner, les mains s’agitaient et les bouches s’émouvaient. Son corps était recouvert de landes et de montagnes, de fleuves et d’océans, de soleils et d’autres planètes, toute sa poitrine n’était plus qu’une immense voie lactée traversée d’étoiles, de comètes et de fusées. Ses taches de rousseur s’étaient transformées en constellations, ses poils sombres étaient des forêts où se cachaient des créatures fantastiques, et ses aisselles caverneuses regorgeaient d’yeux scintillants comme des gemmes. La moindre inspiration, le plus minuscule frémissement menaçait de bouleverser l’univers entier qui s’étendait sur ce corps. Des daims se mettaient à sautiller à chaque contraction de ses biceps. De nombreuses petites vies étaient dissimulées dans les replis de la graisse d’Annabelle, de sorte qu’elles pouvaient apparaître ou disparaître selon ses mouvements. Une eau d’un bleu céruléen se répandait en petites vaguelettes sur ses reins en formant des spirales ivoirines. Des poissons scintillants filaient dans le courant bordé d’arbres. On pouvait voir de petites ondes dorées à chaque point de contact entre les feuilles d’un vert tendre et l’eau. Des dragons vert et or, dont les yeux étaient ses mamelons, s’enroulaient autour de ses seins. Son nombril était la bouche obscène de l’un d’entre eux, sorte de gouffre édenté aspiré vers l’intérieur. Quel spectacle fantastique ! Tout le corps d’Annabelle n’était plus qu’un flamboiement d’or, de vermillon, de pourpre, de bleu et d’autres couleurs qu’on aurait bien du mal à nommer. « Mais c’est magnifique ! », s’écrièrent tour à tour les invités.
— Vous comprenez ce qui s’est passé ? J’ai dit au vieux Drioli que je voulais être une de ses œuvres. Mais pas n’importe laquelle ! Je voulais quelque chose que je pourrais garder toute ma vie et exhiber à ma guise, quelque chose qui m’accompagne partout et me donnerait enfin une valeur aux yeux du monde… Il m’a tatouée ! Bien sûr, il était un peu hésitant puisqu’il n’avait jamais utilisé ce genre d’outils, mais après tout c’est mon métier ! Je l’ai rapidement rassuré et regardez le résultat : je suis une œuvre d’art !
Annabelle rayonnait, faisant flamboyer tout son corps avec elle. Les créatures qui y étaient imprimées semblaient même vouloir reculer devant la chaleur de sa fierté, s’abritant dans les replis de sa peau. Mais des petits cris de protestation se mirent bientôt à retentir de tous les côtés.
— Il reste encore des pansements ! Là, dans ton dos !
— Laisse-nous voir le reste !
Mais à la stupéfaction générale, Annabelle refusa.
— Drioli m’a dit d’attendre, car ce sont des tatouages très spéciaux que ceux qu’il a effectués dans mon dos, et ils ne sont pas encore prêts à être vus. Moi-même je n’ai pas eu le droit de les regarder, le vieux peintre a dit que si je me pressais trop, je risquais de tout gâcher. Car figurez-vous que ces pansements que vous voyez dans mon dos cachent des tatouages qui montrent l’avenir ! Je sais, j’ai également eu du mal à y croire au début, mais le vieux a dit quelque chose comme « c’est le futur qui est sur ces images, et elles ne sont pas encore terminées. Il n’y a que vos pensées, vos émotions et vos ressentis qui les achèveront, vous devrez donc attendre deux semaines avant de les dévoiler ». Mais ne soyez pas déçus ! D’ici quelques jours, le délai sera écoulé et je vous invite tous à revenir chez moi pour que nous découvrions ce dernier tatouage ensemble !
Annabelle s’était imaginée des tas de choses concernant sa vie d’après, mais jamais elle n’aurait cru voir débarquer chez elle tous ces experts et ces mécènes pour la reluquer de leurs yeux connaisseurs… Depuis qu’elle s’était exhibée devant ses invités, le bruit avait fini par courir qu’Annabelle possédait le plus grand chef-d’œuvre du maître peintre Drioli. Résultat : un continuel brouhaha régnait chez elle, tandis que défilaient les visiteurs, du simple curieux au véritable passionné.
— Ma parole, mais c’est un vrai ! Du Drioli tout craché !
— On ne saurait s’y tromper !
— Penchez-vous un peu s’il vous plait, voilà maintenant on les voit beaucoup mieux !
— Inouï… Absolument inouï…
— Mais qui lui a appris à tatouer ?
Certaines personnes firent même des offres pour acheter cette nouvelle « toile ».
— Et comment voudriez-vous l’acheter ?! s’exclama Annabelle, ébahie.
— Bah, en s’arrangeant avec un bon chirurgien…
Étrangement, plus le temps passait et moins la jeune femme appréciait qu’on lui porte cet intérêt. Qu’est-ce qui lui avait pris de se faire tatouer par ce vieux cinglé qui prétendait voir le futur ? Elle avait voulu dissimuler sa graisse sous une couche de fantaisie, la cacher au monde et surtout à elle-même, mais maintenant qu’elle y repensait... La dégradation du moral d’Annabelle semblait même se répercuter sur ses tatouages : les roses pâlirent brusquement avant de se recroqueviller pour mourir, les nymphes qui dansaient autrefois sur son triple menton traînaient lourdement leurs pieds tandis que les centaures perdaient toute envie de galoper sur ses vastes prairies… Toute la vie qui se répandait autrefois sur le corps d’Annabelle était désormais en train de se ratatiner, de se flétrir en tentant de fuir la morsure du froid arctique qui se distillait amèrement dans son cœur comme un poison. « Ma fille est un monstre » ne cessait désormais de répéter sa mère. C’est d’ailleurs lors d’une énième dispute que les choses empirèrent pour Annabelle.
— Ne me regarde pas avec ces yeux-là, lui avait dit sa mère, tu crois que je ne sais pas que tu me détestes ? Tu crois que je ne sais pas ce qu’est la haine ? Seigneur, qui aurait encore pu t’aimer quand tu t’es mise à engraisser ?
— Je croyais que tu serais fière de moi avec mes tatouages…
— Fière ? Tu n’es qu’une énorme baleine, encore plus pitoyable qu’avant ! Tu as complètement perdu l’esprit avec cette histoire ! J’ai toujours tout fait pour t’élever correctement et regarde ce que tu es devenue ! Tu es cinglée et c’est entièrement ta faute, moi, j’ai rempli mon rôle de mère mais rien que pour me faire souffrir, tu t’es laissé aller et tu as gâché des années de travail…
— Mais tu n’as pas vu mon dernier tatouage ! Le vieil homme disait que…
— Ouvre les yeux ma pauvre fille ! Tu t’es tout simplement fait rouler dans la farine par un vieux timbré, je vais te montrer moi !
Sur ces mots, la mère d’Annabelle virevolta dans son dos, souleva son t-shirt et arracha brusquement le pansement.
— Je te l’avais bien dit !, fit-elle triomphalement en brandissant la bande de gaze, ce Drioli s’est bien moqué de toi ! Tu n’as aucune image dans le dos. Rien. La solitude doit tellement l’ennuyer qu’il ne trouve rien de mieux à faire que se moquer de jeunes idiotes pour passer le temps…
— Je ne te crois pas.
Annabelle saisit fébrilement un miroir qu’elle plaça de manière à observer son dos. Vide. Il n’y avait rien qu’un morceau de peau grasse et rose comme autrefois. Dans sa tête résonnaient encore les paroles du peintre : « Je peux voir le Passé Limpide, le Présent Profond et le Futur Immuable. Laissez-moi vous le montrer. Il ne vous faudra qu’un tout petit peu de patience ».
— C’est parce qu’il est trop tôt, bafouilla la malheureuse, le peintre a dit qu’il fallait attendre deux semaines, et le délai ne sera écoulé que demain soir ! Tu verras bien, je suis sûre que quelque chose va apparaître…
Mais sa mère ne l’écoutait déjà plus. Elle se contentait de hurler, faisant vibrer les tendons de son cou à chaque insulte qu’elle éructait. Ça, ça et ça… Voilà ce qui n’allait pas chez elle ! C’était une paresseuse, une bonne à rien, une intrigante et une véritable harpie ! Si son père pouvait voir ce qu’elle était devenue… Comment avait-elle pu être assez stupide pour avaler les sornettes d’un vieux cinglé ? Qui prétendait changer son avenir qui plus est ! Elle n’était qu’une ratée… C’en fut trop pour la jeune femme. Sans qu’elle lui en donne l’ordre, sa main partit en arrière et gifla sa mère si brutalement qu’elle se fracassa le crâne contre le rebord de la baignoire. Annabelle tenta de relever sa mère, mais celle-ci ne bougeait plus. Plus du tout.
Depuis Annabelle errait, déconfite et égarée. Pas seulement physiquement, mais aussi dans sa tête. Drioli s’était moquée d’elle ! Comme il devait bien rire, tout seul dans sa hutte ! Non, elle n’en supporterait pas plus, il fallait en finir avec ces maudites images, elles ne lui avaient apporté que des malheurs… S’éclipsant avec empressement dans les toilettes du premier restaurant qu’elle croisa, la jeune fille se mit à étaler son petit atelier clandestin sur un évier crasseux : acide, rasoirs, papier de verre et même un mini-chalumeau. Elle prit ses outils l’un après l’autre et travailla avec acharnement sur sa peau pendant plus d’une heure. Peine perdue. Ses tatouages n’avaient pas la moindre égratignure. Comment pouvaient-ils être aussi résistants ? C’étaient pourtant ses propres encres qu’elle avait données au vieux, de bonne qualité certes mais à ce point-là... Tant pis ! Pas question que cette situation se prolonge une seconde de plus ! Se saisissant d’une lame de rasoir, Annabelle s’apprêtait à s’entailler les poignets quand…
— Vous savez, si vous n’en voulez plus je peux vous en débarrasser.
La voix venait de l’entrée des toilettes. Dans l’encadrement de la porte, Annabelle reconnut un des hommes qui étaient venus lui proposer d’acheter ses tatouages.
— On pourrait en parler autour d’un verre ?
Ce petit sourire satisfait et sûr de lui ne plaisait pas du tout à la jeune femme. Oubliant son entreprise suicidaire, l’instinct prit le dessus et elle se sauva en le bousculant sans ménagement. C’est un des avantages lorsqu’on pèse cent cinquante kilos : on tente rarement de se mettre en travers de votre chemin.
— Elle est partie par là ! hurla une autre voix.
Annabelle trottinait lourdement, cherchant désespérément un endroit calme où se cacher. Ce n’est que lorsqu’elle se trouva en plein milieu d’un terrain vague qu’elle réalisa que, au contraire, elle aurait peut-être dû rester dans un lieu public…
— Venez les gars, elle est là-bas ! C’est la garce qui a tué la pauvre Lizzie ! Sa propre mère !
Elle était à bout de souffle… Annabelle se rendit alors compte que, de toute façon, elle en avait assez de courir. Elle voulait qu’on la retrouve. Elle était fatiguée de tout ça. Fatiguée de cette vie. Ralentissant alors la cadence, elle alla même jusqu’à faire semblant de trébucher une ou deux fois. La jeune femme arriva finalement sous un vieux réverbère solitaire qui semblait réunir toute la population nocturne : papillons de nuit, grillons et lucioles dansaient joyeusement autour de ses rayons de lumière. Annabelle s’appuya dessus comme pour reprendre son souffle. Elle n’eut pas à attendre longtemps, car quelque chose lui frappa durement le crâne quelques secondes plus tard. Ses poursuivants se tenaient au-dessus d’elle, ce qui lui permit de reconnaître un invité qui avait assisté à sa première exhibition, un mécène passionné du style Drioli, et un simple voisin qui avait sans doute entendu la dispute avec sa mère... Une minute passa. L’ancien invité, rendu fébrile par l’excitation et la curiosité, décida finalement de la faire rouler sur son ventre pour lui arracher son pansement. Ils fixèrent longtemps le dernier tatouage dans un silence de mort. Quelqu’un bafouilla. Un autre jura. Et un autre vomit bruyamment par-dessus un muret. C’était triste, morbide et obscène, comme lorsqu’on observe une scène intime à travers une serrure. Les hommes avaient escompté voler la peau de la jeune fille après l’avoir tuée. Chacun y avait été de sa propre justification pour garder bonne conscience. Pourtant ils n’y pensèrent même plus et partirent en tremblant. Annabelle était allongée sur le terrain désert, du sang s’écoulant de sa bouche. Le réverbère renvoyait encore suffisamment de lumière pour qu’on distingue le tatouage entre ses omoplates. Il montrait un groupe d’hommes, ressemblant traits pour traits à ceux qui venaient de s’enfuir, penchés au-dessus du corps d’Annabelle agonisant sur un terrain vague, et regardant le tatouage de son dos qui représentait un groupe d’hommes penchés au-dessus d’une femme agonisant sur un…
Ou en PDF http://www.phenixweb.info/sites/default/files/a-fleur-de-peau-mathilde-h...
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