Shinobi
« Shinobi », pour qui n’est pas familier avec la culture japonaise, n’est autre que l’ancien vocable désignant traditionnellement les « ninjas » - ces guerriers de l’ombre vêtus de noir, encagoulés, silencieux et redoutables (ainsi qu’on se les représente habituellement, du moins, bien que la réalité fut probablement tout autre, fort éloignée en tout cas de cette image romantique). Ces guerriers-espions surentraînés, grands lanceurs de shurikens devant l’éternel, ont toujours suscité l’intérêt des amateurs d’arts martiaux, pour lesquels ils représentent en quelque sorte la quintessence de ce à quoi ils aspirent. Le roman de Fûtarô Yamada gravite entièrement autour de leurs exploits, qu’il n’hésite d’ailleurs pas à grossir de manière éhontée, jusqu’à nous décrire des soldats furtifs dotés de pouvoirs dignes de ceux des super héros américains.
Il est ici question d’une lutte à mort opposant les deux clans de ninjas les plus célèbres du Japon, originaires de provinces situées à proximité de Kyoto : Iga et Koga. Le récit se déroule au moment où Tokugawa Ieyasu, l’unificateur du pays, s’apprête à transmettre son pouvoir à l’un de ses descendants. Inquiet des conséquences délétères pouvant résulter de son choix, qui ne manquera pas de pénaliser les zélateurs de tel ou tel successeur, et par là même de menacer l’édifice qu’il s’est appliqué à bâtir toute sa vie durant, il remet cette décision cruciale entre les mains des deux écoles de ninjas sises dans les provinces suscitées. Chacune doit dès lors dresser une liste de ses dix meilleurs guerriers, appelés à s’affronter dans un combat à mort dont l’issue déterminera le futur du Japon. Cette décision met ainsi fin, de manière abrupte, à l’interdiction de se faire la guerre qui pesait sur les deux clans rivaux, prenant tout le monde de court.
Le souci, c’est que les meneurs charismatiques de chaque école - Oboro côté Koga et Gennosuke côté Iga - sont follement amoureux l’un de l’autre. Et comme leurs noms apparaissent sur les listes désignant les combattants, un cruel dilemme va se présenter à eux, opposant la loyauté qui les attache à leur clan respectif à l’amour qu’ils se vouent mutuellement. C’est de ce choix impossible entre de puissants sentiments personnels et un sens du devoir découlant d’une appartenance à un groupe donné, que découle l’aspect tragique de « Shinobi », malheureusement rendu de façon parfois malhabile par l’auteur, qui semble plus à l’aise dans les scènes d’action que dans l’examen des cas de conscience secouant Oboro et Gennosuke dans ces heures terribles.
Et de l’action, nous en avons tout notre soûl. A vrai dire, on se demande même rapidement, en parcourant les pages de ce roman, si son intérêt ne se limite pas à cette seule dimension du récit. Les ninjas s’affrontent les uns après les autres, se tendent des traquenards, laissent pour mort des adversaires qui reviendront plus tard à la vie comme par miracle, déploient des trésors d’imagination et d’habilité afin d’occire leurs adversaires… mais pas grand chose d’autre ne se dégage de « Shinobi ». Le caractère fantastique des pouvoirs dont disposent les multiples guerriers (un tel à la capacité de se rendre invisible, tel autre exsude du sang, un troisième rend inopérant d’un regard les artifices de ses opposants, etc.) ne suffit pas à masquer le manque d’imagination patent de l’écrivain pour ce qui concerne l’établissement d’une ambiance digne de ce nom, la description psychologique de ses personnages, l’élaboration de rebondissements qui n’aient pas pour unique moteur les agissements mouvementés de cette brochette de fanatiques de l’assassinat.
On conseillera plutôt aux amateurs de pareilles aventures de jeter un œil du côté de l’adaptation cinématographique éponyme qui a été tirée de cette œuvre mineure, en 2005, par Ten Shimoyama. Le réalisateur est en effet parvenu, en réécrivant partiellement le roman, en le simplifiant et en accentuant la dimension romantique et contemplative du récit, à donner un spectacle qui se laisse regarder sans ennui.
Fûtarô YAMADA, Shinobi, traduit du japonais par Silvain Chupin, 250 p., Editions Calmann-Lévy