Voyage à Visbecq

Alors là, très étonnant ! Dès la note liminaire de l’éditeur, nous voilà plongés en plein mystère (canular ? non, je ne crois pas).

Découvert dans « une librairie des bords de Seine à Paris », voici un ouvrage anonyme, hybride, tenant du pamphlet, de la poésie, de la science-fiction, du merveilleux et, manifestement, de la philosophie des Lumières. Longue, et bien écrite, la préface d’Eric Lysoe date le texte à l’époque de la Révolution (1783 ? 1794 ?), donc des Lumières triomphantes.

Tout s’y mêle, ce que résume le préfacier par une « forte cohérence onirique », le ‘roman’ ressortant certainement du rêve politico-fantasmagorique. Serait-ce l’œuvre d’une célébrité (le prince de Ligne ?). On ne le saura sans doute jamais, et c’est tant mieux.

De quoi s’agit-il exactement ? Le narrateur doit se rendre au château de Visbecq, près de Bruxelles. Il y arrivera, certes, mais au terme de la centaine de pages que contient ce petit livre extraordinaire, et au travers de multiples aventures fantasques. Poursuivant son cheval, il tombe dans un puits, et découvre un monde souterrain sur un fauteuil volant. La porte du royaume enfoui est gardée par des cohortes d’éléphants oranges et de lions à la crinière verte. C’est alors qu’il pénètre dans un monde au centre de la terre, surplombé d’un soleil vert… Le Roi et la Reine de cet univers, qui ne connaissent pas Bruxelles, l’incarcèrent à la prison de…Vilvorde.

Le surréalisme belge ne date pas d’hier.

Comme dans le picaresque Gil Blas de Santillane de Lesage, voici notre héros embarqué dans des récits à tiroirs, racontés par les différents prisonniers de la Cour souterraine. Un Italien raconte son histoire, un autre déclame un long poème épique. Par le biais de la construction d’un orgue, le narrateur parvient à s’échapper pour se trouver mêlé à une conspiration. Il soupera avec un convive invisible et rencontrera un génie aux parfums tout-puissants. Le livre bascule alors ouvertement dans le merveilleux inspiré des Mille et une Nuits. Texte étrange, roman entrecoupé de poèmes et de digressions philosophico-morales chères au XVIIIème, ce Voyage à Visbecq eut passionné feus Pierre Versins et Jacques van Herp, comme ils aimaient un autre voyage au centre de la terre, celui, un peu antérieur, de Nicolas Klim (Holberg, 1741). Ouvrage atypique donc, très intéressant, et qui démontre bien la puissance – déjà – des littératures de l’Imaginaire au siècle de Voltaire.

Voyage à Visbecq, préface et notes d’Eric Lysoe, Anacharsis Editions 2007, Toulouse, 140 p.