Victor Kessler n'a pas tout dit
La brume des Vosges cache bien des secrets. Bertille le sait : elle les a fuis. Retranchée à Paris dans une vie solitaire, la jeune femme a enterré ses souvenirs. Jusqu'au jour où sa vie bascule. Quelques pages trouvées dans le cabas d'un vieil homme la réveillent d'un coup : il s'agit d'une confession, écrite par un certain Victor Kessler. Car le 17 novembre 1973, quarante-cinq ans plus tôt, le corps d'un enfant de dix ans a été repêché dans un lac près de Saintes-Fosses. L'instituteur du village est le coupable idéal : Victor Kessler, lui-même.Fascinée par l'affaire, poussée par Victor, Bertille part en quête de la vérité. Mais, à la recherche des démons du vieil homme, ne finira-t-elle pas par croiser les siens, enfouis dans les forêts vosgiennes ? Et toujours cette même question : parler ou se taire ?
Cathy Bonidan signe ici son troisième roman - avec lequel je la découvre -, un thriller très loin des surenchères de gore et de meurtres machiavéliques mal ficelés qui sont trop souvent la norme.
La quête de la vérité avance au rythme tranquille d'un petit village vosgien, sans courses-poursuites ni coups de feu. Car ce n'est pas ce qui intéresse l'autrice. Bien au contraire, elle explore avec un talent indéniable toutes les facettes que peut prendre la maltraitance des enfants, ainsi que les traces terribles qu'elle laisse derrière elle. Les personnages sont tous plus ou moins cabossés par des vécus difficiles, des enfances chaotiques. L'enfance est au coeur du roman, l'innocence opposée à l'obscurité de l'âge adulte.
Tout est très réaliste et très crédible, justement parce qu'il n'y a pas surenchère. Dans le sillage des affaires célèbres de meurtres d'enfants et de la problématique de la pédophilie (notamment en milieu scolaire), Cathy Bonidan nous entraîne dans une très belle histoire de résiliences, de reconstructions et de besoin de vérité.
Sauf que la vérité se fait insaisissable, brumeuse, elle se joue des êtres, tour à tour proche et lointaine. Chacun croit la posséder mais elle s'évanouit pour réapparaître ailleurs, différente et pourtant toujours aussi valable. Aidée par l'omniprésence de la nature vosgienne, l'autrice se livre à un délicat jeu du chat et de la souris avec le lecteur, forçant nos certitudes à se fondre dans le brouillard. Personne n'est vraiment celui que l'on s'imagine, mais chacun est traité avec la même tendresse, y compris les coupables.
Grâce à une structure narrative qui varie, le rythme ne se dément jamais, porté par une belle écriture travaillée et qu'on aurait envie de lire à voix haute. Un thriller plein de poésie et de douceur, atténuant la noirceur implacable de l'histoire.
Merci aux éditions de la Martinière pour ce très beau roman.
Victor Kessler n'a pas tout dit de Cathy Bonidan, aux éditions de la Martinière, ISBN 978-2-7324-9437-1, prix 20 €