Surnaturel sur la scène lyrique (Le)

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Opéra et fantastique ? La thématique, Jacques Finné l’avait déjà abordée, dans son livre Opéra sans musique (L’Âge d’homme, 1982), ainsi qu’Hervé Lacombe et Timothée Picard dans Opéra et fantastique (Presses universitaires de Rennes, 2011). Voici un ouvrage qui s’adresse tant aux mélomanes épris de fantastique qu’aux amateurs des littératures de l’Imaginaire sensibles à la musique. Cela touchera un large public, sans aucun doute.

Avant tout, il faut signaler que l’ensemble des études ici regroupées traitent du surnaturel sur la scène française uniquement, le livre étant coproduit par l’Opéra-Comique et par le Centre de musique romantique française. Partant du merveilleux à la cour de Louis XIV, les textes s’avanceront jusqu’au début du XXème siècle avec les opéras naturalistes et symbolistes d’un Gustave Charpentier, en passant par les influences du gothique anglais ou du fantastique allemand. Il m’est bien entendu impossible de passer les quelque vingt entrées en revue, mais je voudrais attirer l’attention sur quelques-unes d’entre elles, les plus significatives et les plus méritantes.

Rien ne venant de rien, les premiers auteurs insistent sur la profonde influence de l’opéra transalpin et la munificence de ses machineries pour représenter les dieux et héros de la mythologie, dont les exploits, guerriers ou amoureux, tissent les trames de toute intrigue. Conjuguées à la passion des Français pour la chorégraphie, ces fantasmagories des décors et costumes imprégneront ce qui deviendra l’invention majeure de Lully : la tragédie lyrique. Genre qui traversera toute l’histoire de la musique, par le biais de Rameau, Gluck, Spontini, Meyerbeer et son Grand Opéra jusqu’à Gounod et Massenet. Un chapitre entier est consacré à l’opéra sous le Premier Empire, avec l’arrivée des thèmes ossianiques ou celle du fantastique chrétien. Après avoir minutieusement décortiqué les différences entre les termes (surnaturel, merveilleux, fantastique), certains auteurs se penchent ensuite sur l’apparition du véritable « fantastique » au sens où nous l’entendons de nos jours. La traduction des Contes d’Hoffmann (Stéphane Lelièvre) et les représentations du Freischütz de Weber, sous son avatar premier de Robin des bois selon l’arrangement de Castil-Blaze, plus tard amendé par Berlioz (Corinne Schneider), peuvent passer pour les événements fondateurs à cet égard. Le terme de « fantastique » signifia tout d’abord « étrange, curieux, bizarre », sans connotation surnaturelle particulière, selon les critiques de l’époque, abondamment citées. Au niveau purement musical, on s’interrogera sur les conditions d’existence d’un fantastique musical (Hervé Lacombe) et aussi sur l’écriture même telle qu’elle se reflète dans la technique de l’orchestration ou l’introduction sur la scène d’instruments nouveaux tels l’orgue, le saxophone, l’ophicléide ou le tam-tam (Alexandre Dratwicki).

La peinture n’est pas en reste, ni surtout la mise en scène. Ciceri et ses décors pour l’éruption du Vésuve dans La Muette de Portici ou la résurrection des nonnes dans Robert le Diable a bien sûr l’honneur d’un chapitre particulier (Pierre Sérié).
L’opéra fin de siècle d’Offenbach, de Massenet et de Gounod clôt ce magnifique recueil d’articles. Les interventions purement musicales alternant, non sans bonheur, avec d’autres plus littéraires (même Tzvetan Todorov est appelé à la rescousse !), elles parcourent un espace le plus large possible, de telle manière que les deux publics y trouveront chacun intérêt et matière à réflexion sur le genre du fantastique, conçu comme « vacillement des signes et déchirure du sens » selon le mot très heureux d’Olivier Bara. Un ouvrage passionnant, plus que chaleureusement recommandé.

Le Surnaturel sur la scène lyrique, du merveilleux baroque au fantastique romantique, coordonné par Agnès Terrier et Alexandre Dratwicki, Editions Symétrie, Lyon 2012, 360 p., 80, 60 euros.

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