Si c'était un homme

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J'ai longuement hésité avant de lire ce livre, pour deux raisons.

Premièrement, il est clairement annoncé comme réservé à un public averti. Lire des choses dures ne me dérange pas outre mesure en général. Mais cet avertissement couplé au titre m'a fait un peu peur.

Ce qui amène à la deuxième raison : Si c'est un homme de Primo Levi est le livre qui m'a le plus traumatisée de toute mon existence. J'en ai fait des cauchemars pendant des semaines et même encore maintenant, plusieurs années après, des passages entiers me reviennent régulièrement.

Le choix de ce titre n'est évidemment pas un hasard. À l'instar de l'Italien, Jack Machillot va dans ce court roman (94 pages) aller explorer les mêmes thèmes : l'avilissement, la folie, la façon dont la couche de civilisation et de normalité s'effrite à vitesse grand V pour laisser le champ libre à ce qui se fait de pire...

Arthur, prisonnier matricule 626B, purge sa peine dans un établissement pénitentiaire du Colorado. Dès le début, la déshumanisation est présente, orchestrée par les matons, puisque les prisonniers sont dépouillés de leur identité pour n'être plus que des numéros. Pourtant, les prisonniers résistent, à leur façon. Ils continuent à rire, se faire des blagues, jouer aux cons de la façon la plus normale possible.

Survient alors un événement dont je ne vous dirai rien, et la routine explose, remplacée par l'horreur, la terreur et l'incompréhension. Jack Machillot dissèque la lente plongée vers la folie d'Arthur, la façon dont ses instincts primaires, bestiaux, organisent malgré tout sa survie. Seul dans sa cellule avec un cadavre, 626B n'a d'autre choix que de laisser son instinct de conservation prendre les manettes. Peu importe ce qu'il est amené à faire, peu importent les faibles soubresauts de sa conscience.

D'une écriture au réalisme cru aussi implacable que celle de Levi, dépouillée d'artifices et allant droit à l'essentiel, l'auteur nous entraîne dans cette histoire dense et abominable. Une danse avec la mort omniprésente, où règnent puanteur et chair en décomposition.

Alors, certes, il faut avoir l'estomac bien accroché (et ne pas commettre la même erreur que moi : lire le roman après un bon repas de viande !). Certes, la précision clinique des descriptions rend nauséeux à de nombreuses reprises. Certes, les délires hallucinatoires d'Arthur empêchent aussi bien la sympathie que l'empathie.

Mais quelque part, on s'en fout. Arthur est humain, avec ses failles et ses faiblesses, il ne mérite pas le sort qui lui est réservé. Point.

Nous ne saurons pas grand-chose du pourquoi et du comment de la situation, l'explication est tout juste esquissée. Un prétexte pour étudier la descente aux enfers d'un homme ordinaire. Celui que n'importe qui deviendrait sans doute dans des circonstances identiques.

Celui que sont devenus tant d'hommes ordinaires dans Si c'est un homme.

Là réside le tour de force de ce roman. Jack Machillot nous flanque une gigantesque baffe en pleine figure en nous démontrant avec une habileté monstrueuse que les horreurs des camps décrites par Levi ne sont pas l'exception dues à cette période trouble. Non, elles sont inhérentes à la nature humaine. Elles rôdent là, juste sous la surface de ce vernis civilisationnel dont nous sommes si fiers et qui se délite à la première occasion.

Pourtant, étonnamment, l'impression que j'ai eue en refermant le livre (et qui perdure après deux jours), ce n'est pas le dégoût ou le rejet. Au contraire, c'est un humanisme lumineux. Comme si Jack, malgré les tares de ses congénères, ne pouvait s'empêcher de les aimer.

Sacré uppercut qu'il nous envoie !

Une pépite à découvrir, si vous vous en sentez capables.

 

Si c'était un homme de Jack Machillot, Livr'S éditions, ISBN 978-2-37910-158-8, 8€

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