Sauter des gratte-ciel

Le titre français est trompeur : le titre original Die Hochhausspringerin (La femme qui saute des gratte-ciel) était bien sûr difficile à rendre en français. Mais au moins cache-t-il moins que le sujet n’est pas la Sauteuse, Riva, mais la psychiatre chargée d’intervenir parce que Riva, la championne de ce nouveau « sport » et spectacle, refuse de continuer son « job ». Parce que nous sommes dans un futur « libéral » où tout est privé, entre autres ce « sport » qui est une évolution du saut à l’élastique à partir d’immeubles de plus de mille mètres et à l’aide de combinaisons spéciales, les « Flysuit »(R) qui permettent de contrôler la chute et de la transformer en vol. Parce que Riva refuse de continuer à sauter, son entraîneur fait appel à la société PsySolutions, qui confie la tâche à une débutante tout juste sortie de l’école (privée) de formation, Hitomi. Laquelle est la narratrice, et le sujet du roman : comment ses difficultés dans le travail et le retour de ses propres souvenirs vont, progressivement, la faire sortir de la Cité, la renvoyer dans les « Périphéries », le monde des pauvres qui ne gagnent pas de quoi payer leur loyer dans la Cité.

À travers la descente aux « enfers » d’Hitomi, nous découvrons le caractère dystopique de ce futur qui avait l’air d’un « meilleur des mondes ». C’est d’abord la psychologie et la vie d’Hitomi, personnage modèle de cette société, que nous montre le roman, les autres personnages, bien moins détaillés, ne jouant que le rôle de partenaires, d’occasions et d’obstacles à son évolution. Voilà pourquoi le titre français est quelque peu trompeur : Riva n’est pas le sujet du livre.

Bien entendu, à travers l’étude d’Hitomi, c’est aussi celle de cette société si possible, si dangereusement probable, que nous présente ce roman. Le « sport » du titre n’est, en fait, qu’un détail d’un tableau finalement extrêmement inquiétant...

Sauter des gratte-ciel, par Julia Von Lucadou, traduit par Stéphanie Lux, Actes Sud Exofictions, 2021. 279 p., couv (C)Depositphotos, 22€, ISBN 978-2-330-15101-0