Une sale Française
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une femme est interrogée par un commissaire de police qui s’intéresse de près à son cas.
Alsacienne, Aline Beaucaire est employée d’hôtel, elle est tombée amoureuse d’un sergent pilote trop beau pour être honnête et l’a suivi en zone libre, franchissant de nuit la ligne de démarcation. Le couple rêve de rejoindre Alger, via Marseille – la ville de tous les dangers. Bientôt, l’aventure tourne au drame.
Aline est-elle aussi innocente qu’elle espère le faire croire ? Et quel lourd secret a-t-elle à cacher ? Est-elle cette autre Aline au nom presque semblable, la « Panthère rouge » qui a activement collaboré avec la Gestapo ? Qui est vraiment cette « sale Française » ?
Je suis une grande fan de Romain Slocombe, notamment de sa série Sadorski, dont je déguste chaque tome comme on savoure un de ces bonbons acides, qui piquent tout en restant une friandise. Car son écriture est acérée et il n'hésite jamais à aller gratter là où ça fait mal, à soulever les tapis de l'Histoire pour y dénicher les paquets de poussière qui y ont été dissimulés (et dont beaucoup préfèreraient qu'ils restent cachés aux regards).
Dans Une sale française, j'ai retrouvé cette atmosphère lourde et grasse des turpitudes humaines durant la Seconde Guerre mondiale, cette façon de disséquer sans pitié aucune toutes les saloperies dont se sont rendus coupables des gens soi-disant biens sous tous rapports. C'est là que réside à mon sens toute la force de Slocombe, cette autopsie d'une certaine idée de la France, réalisée sous la lumière intransigeante du plus puissant des scialytiques : sa conviction profonde d'écrivain que l'humain n'a pas grand-chose de beau à offrir.
Je déconseillerais cependant à quelqu'un qui ne l'a jamais lu de commencer son approche de Slocombe par ce roman, qui peut s'avérer déconcertant. Les dossiers de police, froids et assez rébarbatifs, qui émaillent les chapitres risquent d'en rebuter certains. Alors qu'en réalité ils servent le récit de deux manières.
Pour commencer, ils offrent une vision assez juste du long travail de fourmi de la police et de la justice de l'après-guerre, dans la recherche des criminels de tous poils. Des personnes ont fini par être traînées devant les juges grâce au méticuleux recoupement d'informations et d'enquêtes sur le terrain. Tels des chiens avec leur os, ces flics obscurs et disparus de la mémoire collective ont abattu un boulot titanesque et c'est une forme d'hommage qui leur est rendu.
Ensuite, dans leur aridité administrative, ils forment un contrepoint parfait au récit à la première personne d'Aline Beaucaire, dont on soupçonne à maintes reprises qu'elle est loin d'être aussi innocente qu'elle le prétend. Un récit ponctué de larmoiements et d'appels à la compassion auxquels on a du mal à croire.
À elle seule, Aline réussit le tour de force de présenter toutes les facettes des Français de l'époque, entre louvoiements, égoïsme, justifications bancales des décisions du gouvernement, antisémitisme fondé sur du vent. Jamais elle n'hésite, jamais elle ne se soucie des conséquences de ses actes. Plus on avance dans le roman et plus on se méfie d'elle. Comme un poisson qui semble beau sur l'étal du poissonnier, mais dont s'échappe un remugle douteux et qui finit par donner la nausée. Aline, c'est l'archétype de ces Français persuadés à la libération de n'avoir rien à se reprocher, alors que...
J'ai également trouvé très intéressant de quitter Paris pour aller à Marseille, ville importante durant tout le conflit, mais dont on entend finalement peu parler dans les livres ou films sur l'époque.
Il y a du James Ellroy dans ce roman, dans la manière implacable et très factuelle de narrer, dans ces personnages interlopes inquiétants et sans pitié, dans l'analyse fine et très documentée d'une société qui s'étouffe dans ses propres contradictions.
Mais il y a surtout du grand Slocombe, au sommet de son art, qui continue ce qui semble être une obsession : dénoncer encore et toujours les multiples formes de gris dans lesquelles nos pères ont évolué et qui ont forgé le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.
Une sale française de Romain Slocombe, Seuil, ISBN 978-2--02-155445-8, 20€