SUHNER Laurence 01

Auteur / Scénariste: 

(Photo Ji-elle)

 

La romancière genevoise Laurence Suhner nous parle de son travail à l’occasion de la sortie de son recueil de nouvelles Le terminateur, chez l’Atalante, et de la sortie en livre de poche chez Gallimard du premier volet de sa trilogie Quantika, Vestiges.

 

Bonjour Laurence,

Ton recueil de nouvelles Le terminateur vient de paraître chez l’Atalante. Il regroupe un certain nombre de nouvelles écrites à des époques et sur des thèmes différents. Mes préférées sont celles où tu nous fais voyager du côté de Tau Ceti ou sur Trappist-1, ou encore celle qui met en scène des personnages de ta trilogie Quantika. Mais il y a une nouvelle qui m’a aussi enchantée, c’est M. Ablange. As-tu toujours rêvé d’étoiles et de mondes lointains ? D’où te vient cette passion ?

Bonjour Émilie.

Oui, j’ai toujours rêvé d’univers lointains et plus particulièrement de science-fiction.

Quand j’étais très petite, mon père m’inventait des scénarios que je mettais en bande dessinée. C’étaient toujours des aventures d’archéologues aux confins du monde qui découvraient des civilisations isolées et restées inconnues jusqu’alors. Mon père, statisticien et économiste, voyageait beaucoup dans les pays d’Amérique du Sud pour des mandats de développement. Il me rapportait des objets insolites : peau de boa constrictor, têtes réduites (que je vendais à mes petits camarades à l’école...), caïmans empaillés, colliers de turquoises, bijoux de Colombie, etc. Il tournait également des petits films pour nous montrer à ma mère et moi l’Amazonie, la jungle, Bogota, Rio, des coins plus exotiques les uns que les autres à mes yeux, ce qui avait pour résultat d’enflammer mon imagination d’enfant.

Dans ces histoires d’expéditions, il y avait toujours un savant fou, ou original tout au moins, personnage qu’on retrouve dans la plupart de mes histoires.

Je me suis longtemps demandé pourquoi mon père mettait en scène des scientifiques dans les scénarios qu’il m’écrivait. Je n’ai jamais pu lui poser la question (il est décédé en 2008), mais, par déduction, j’en suis arrivée à la conclusion que c’était à cause de Tryphon Tournesol ! Nous habitions Bruxelles jusqu’à mes cinq ans et mon père adorait Tintin. Le professeur Tournesol devait être son personnage préféré et c’est probablement à cause de lui que j’ai commencé à écrire, un peu plus tard, mes propres histoires de science-fiction.

Je me suis également posé très très jeune des questions sur l’univers et la place de l’homme en tant qu’espèce en son sein. A douze ans, je lisais des livres de physique et d’astrophysique.

Concernant M. Ablange, c’est l’une de mes premières nouvelles de science-fiction. Je l’avais écrite pour l’école. En la relisant, je me suis dit que tout mon univers, tous mes thèmes favoris y figurent déjà, donc elle me touche particulièrement. Elle m’a sans doute été inspirée par le roman Chronique du Peuple de Zenna Henderson que j’avais lu à dix ou onze ans.

 

Peux-tu nous parler un peu de la genèse de ce recueil ?

J’écris des nouvelles depuis longtemps.

J’en ai écrit un certain nombre (toutes celles qui ont contribué à élaborer l’univers de QuanTika) quand j’étais illustratrice et auteure BD, car je n’avais pas le temps de m’atteler à des textes plus longs. Et puis, j’ai toujours eu peur de faire lire mes textes à un public. On m’avait toujours dit à l’école qu’il fallait faire des plans très précis, et j’en suis totalement incapable, encore aujourd’hui, à part pour les scénarios BD. Je me suis donc longtemps sentie incapable d’écrire des romans et, qui plus est, des romans de science-fiction.

J’ai une armoire entière remplie de textes que j’ai écrits entre mes dix ans et mes trente ans environ. Certaines des nouvelles du recueil viennent de cette armoire !

Les textes les plus récents du recueil ont été écrits entre 2015 et 2017. La dernière est Au-delà du terminateur, écrite en avril 2017, suite à la parution de ma nouvelle en anglais (traduite par Sheryl Curtis) dans la revue scientifique anglaise Nature et Nature Futures.

 

Une femme qui écrit de la SF… Est-ce que tu penses qu’il y a plus de place aujourd’hui pour une auteure (ou autrice, comme tu préfères) de SF dans ce milieu qui est tout de même assez masculin à la base, même si les choses ont beaucoup évolué depuis trente ans ? (Ou est-ce que tu penses que cette question n’a pas lieu d’être posée, qu’il y a toujours eu une place pour les femmes en SF ?).

C’est une question que je ne me suis jamais réellement posée, car j’ai toujours travaillé dans des milieux dit masculins, comme les images de synthèse (nous étions deux filles pour quarante mecs dans le labo), la bande dessinée (à l’époque il y avait encore moins de filles !) et le roman de science-fiction à tendance « hard science ».

De toute façon, j’aime bien aller à contre-courant et faire des choses inattendues.

 

Est-ce que tu penses que les femmes peuvent apporter une sensibilité différente dans des genres tels que le Space Opera ou la Hard SF, où l’on trouve quand même pas mal de récits dont les héros ou disons, les personnages principaux sont des hommes (prophète, militaire, aventurier, baroudeur, etc.) ? Dans Quantika, le personnage principal est une femme, Ambre Pasquier. L’histoire aurait-elle été possible avec un perso mâle ? (ou cette question te paraît-elle totalement déplacée, puisque finalement, tout n’est que littérature ?)

Dans QuanTika, l’histoire est vécue par plusieurs personnages très différents, hommes et femmes : Stanislas Stanford, sa fille Kya, Haziel Delaurier, etc. Il y a également le personnage de Tokalinan, représentant les Bâtisseurs, qui joue un rôle essentiel dans l’histoire.

Beaucoup de mes autres textes (nouvelles) ont des protagonistes masculins. J’aime bien vivre des aventures dans la peau de personnages qui n’ont rien à voir avec moi.

 

Tu as l’air à l’aise avec tout un tas de notions scientifiques : mathématiques, physique… Comment procèdes-tu pour te documenter ? As-tu une formation scientifique, et si oui, laquelle ?

Merci pour ce commentaire !!!!

J’ai d’abord suivi une formation en lettres à l’université de Genève en égyptologie, archéologie préhistorique/anthropologie et littérature anglo-saxonne : un « master of Arts » pour employer le titre pompeux décerné par l’université de Genève.

Puis j’ai suivi un cursus en informatique à l’EPFL, École Polytechnique Fédérale de Lausanne, qui forme des scientifiques. Donc deux formations théoriquement à l’opposé.

J’aime beaucoup me documenter auprès de scientifiques quand j’écris un roman ou une nouvelle. Je recherche le ou la spécialiste du domaine et je prends contact. Ça se passe toujours très bien. J’ai travaillé entre autres avec Sylvia Ekström (de l’observatoire de Genève), Amaury Triaud (MIT et Cambridge), Roland Lehoucq et Nicolas Gisin (pour les notions de physique quantique). J’ai également suivi des cours de physique à l’université de Genève pendant un an et demi pour essayer de comprendre ce que la physique quantique signifiait (si la chose est possible...).

Je n’ai pas vraiment été élevée dans un cadre scientifique. Mon père était plus économiste que statisticien et ma mère était dessinatrice de mode (mais elle n’aimait pas la BD...).

 

J’ai l’impression qu’avec la découverte des exoplanètes et la médiatisation des missions sur l’ISS, il y a un regain d’intérêt pour l’aventure spatiale ou disons, les projections dans un futur où l’homme se serait enfin affranchi des limites de sa planète d’origine. Est-ce qu’il y a des œuvres récentes qui t’ont marquée, influencée, qui t’ont semblé apporter un peu d’eau au moulin ?

J’ai récemment lu la trilogie d’Alastair Reynolds Les enfants de Poséidon.

J’ai lu énormément de science-fiction depuis mes onze ans : tous les classiques anglais et américains (qui se trouvaient dans la bibliothèque de mon père) puis la science-fiction française. Ces deux dernières années, j’ai eu très peu de temps pour lire des romans. Je lis surtout des ouvrages scientifiques pour alimenter et développer les idées de mes futurs romans.

 

Quels sont les auteurs qui t’ont le plus marquée ?

Quand j’étais enfant : Arthur C. Clarke, Clifford D. Simak, Isaac Asimov, Nathalie Henneberg, et tant d’autres, mais aussi Tolkien dont j’ai dévoré le Seigneur des anneaux.

Également beaucoup d’auteurs BD comme Mézière et Christin (Valérian agent spatiotemporel), Moebius, Caza, Roger Leloup (les aventures de Yoko Tsuno).

Je lisais aussi énormément de thrillers d’épouvante : Stephen King, Dean Koontz, Graham Masterton, des trucs assez gore et qui me forçaient à rester au fond de mon lit.

Des films aussi : La chose, Abysse, Contact (mes favoris).

Dans les romans, plus récemment : Robert Charles Wilson, Kim Stanley Robinson, Alastair Reynolds, Ian Mc Donalds, Greg Egan, Greg Bear, Christopher Priest. Sylvie Denis, Laurent Genefort, Pierre Bordage, Mélanie Fazi, Andreas Eschbach.

Il y en a tant...

 

Est-ce que tu veux bien nous parler de ton parcours d’écrivain ? De la genèse de ta trilogie QuanTika, de la manière dont tu es venue à l’écriture, de ta formation à l’écriture s’il y en a eu une, de tes premiers pas vers la publication ? Et de tes projets, bien sûr !

QuanTika était d’abord une bande dessinée. J’ai réalisé trois albums en storyboard puis une quinzaine de planches du Temple Noir (qui est devenu Vestiges), avant de réaliser que je n’arriverai pas à mettre en BD ce dont je voulais réellement parler. Le temple noir était surtout une BD d’action.

Les personnages et une partie de l’intrigue de QuanTika viennent d’un autre scénario BD antérieur : Les chronosphères. On y retrouvait déjà Haziel Delaurier, Ambre Pasquier et Tokalinan. Mais le scénario était tout différent. Une uchronie avec paradoxes temporels.

La toute première nouvelle que j’ai publiée est Timhkâ que l’on retrouve dans mon recueil Le terminateur. Elle a été publiée une première fois dans la revue Galaxies en 2009, si mes souvenirs sont exacts. Avant, je n’avais jamais publié de textes, mais uniquement de la bande dessinée.

 

Comme pour tout, je me forme sur le tas, en essayant, en me plantant, en recommençant. C’est ce que j’enseigne à mes élèves. Écrire une première fois sans se mettre trop de bâtons dans les roues, puis relire et retravailler. Un texte est malléable jusqu’au bout. Vestiges est réellement mon premier roman, car c’est le premier que j’ai écrit jusqu’au bout. Il y a eu trois versions, entièrement remaniées, avant que j’envoie le texte aux éditeurs. J’avais écrit une première version de toute la trilogie avant de retravailler le tome 1. Le résultat final est très différent de la première version.

 

Tu dessines et tu crées des scénarios de BD, en plus d’écrire. Quelle différence entre ces deux medias ? Ssont-ils complémentaires ?

Oui, complémentaires.

Je ne peux pas imaginer écrire sans dessiner mes personnages au préalable (d’où l’expo QuanTika).

J’ai gardé beaucoup d’habitudes venues de la bande dessinée : par exemple, je storyboarde mes scènes d’action !!! Ça me permet de bien les visualiser, comme des plans-séquence au cinéma.

Par contre, j’écris un script serré et très structuré pour une histoire en BD, alors que j’écris sans scénario initial lorsque je m’attelle à du roman ou à de la nouvelle.

 

Quels sont tes projets futurs ? Es-tu en train de travailler à un projet de roman actuellement, et si oui, certaines nouvelles de ton recueil sont-elles liées à l’univers que tu es en train de développer ?

J’ai trois projets de roman : l’un est le spin-off de QuanTika, Les mondes de Jade, récit très complexe qui va me demander beaucoup de travail et de réflexion car il parle de cosmologie et se déroule dans deux lignes d’univers divergentes.

Le deuxième est un roman qui prend place dans l’univers du Terminateur, mais avec une intrigue très très très différente.

Le troisième est une adaptation de mon scénario BD, Les chronosphères. Une histoire qui se déroule au 19e siècle, très steampunk !!!!

Je travaille en alternance sur ces différents projets.

En parallèle, je continue à écrire des nouvelles qui seront publiées en anglais. L’une d’entre elles vient d’être éditée dans la revue américaine Anomaly (anciennement Drunken Boat) aux côtés de Mélanie Fazi (Speculative Fiction in Translation by Women, Anomalous Press).

J’ai également le projet de faire une expo avec l’univers graphique de QuanTika.

Et puis il y a la relecture de la trad’ anglaise de Vestiges qui va encore me prendre un certain temps...

Maintenant il me reste à trouver un moyen de travailler dans plusieurs lignes d’univers en même temps pour mener de front tous ces projets, en plus de la préparation de mes cours BD et de mes ateliers d’écriture.

 

Merci Laurence de t’être prêtée à ce jeu de questions réponses. Je souhaite longue vie et prospérité à QuanTika (et à tous tes projets en cours !).

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