Roma Aeterna

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Deux nouvelles, déjà, avaient prouvé la passion de Silverberg pour un Empire romain éternel. Les très émouvantes Légendes de la forêt véniane (1989), parues dans l’anthologie « Le Nez de Cléopâtre » (Présences, 1994), où deux jeunes gens, sous la deuxième république, en l’an 1897 de notre ère, découvrent, au plus profond de la forêt viennoise, le dernier descendant de l’Empire. Puis A la rencontre du Dragon (1999), publié dans le recueil « Horizons lointains » (J’ai lu Millénaires, 2000), où un historien passionné relate le tour du monde de l’empereur Trajan VII en 1529 de notre ère.

Reprenant cet univers fascinant, Silverberg sort un fort volume totalement uchronique, décrivant, chapitre après chapitre, l’évolution d’un ‘autre’ Empire romain. Celui-ci diverge, depuis l’échec de l’exode de Moïse hors d’Egypte (d’où la non-existence du christianisme) et l’élection de Titus Gallius à la mort de Caracalla (en lieu et place d’Héliogabale), d’où une politique religieuse purement romaine et non orientale. Tout cela est posé dès le brillant et bref prologue. Lequel nous avertit solennellement être en 1203 ab urbe condita (après la fondation de Rome), soit en l’an 450 après Jésus-Christ.

Au fil des dix récits, l’auteur nous amènera jusqu’en 2723 (1970). Un peu à la manière des célèbres Chroniques de Majipoor, Silverberg nous fait parcourir, par bonds temporels successifs, une autre Rome rêvée… Sans vouloir déflorer un éventail d’aventures luxuriantes, je citerai tout de même l’assassinat d’un jeune chef de guerre arabe, un certain Mahmud en 1365 (retranchez chaque fois 753 pour retrouver l’année de notre ère – c’est le jeu), la conquête du Mexique en 1861 et la grande guerre entre les empires d’Occident et d’Orient, gagnée par les Grecs qui pillent Rome en 1951. Les deux empires finiront par se réconcilier, ce qui donnera lieu à un texte méditatif sur le déclin des civilisations, de toute beauté, se déroulant à Venise (Un avant-poste du royaume). Cette Rome-là connaîtra ensuite une Terreur digne de celle de Robespierre en 2598 (Le Règne de la Terreur, nouvelle admirablement construite), qui conduira à la naissance de la Deuxième République (2603). Ce dernier ( ?) changement est, très astucieusement, couvert par un jeune touriste londonien, de passage à Rome, un peu étonné d’assister à un tel évènement. Désormais, on parle romain au lieu de latin, et apparaissent les fiacres, les journaux et le téléphone. Cette formidable fresque uchronique se clôt, après l’épisode doux-amer de la découverte à Vienne (où l’on écoute des valses) du dernier descendant impérial, ainsi que raconté ci-haut, par l’envol des Hébreux vers… les étoiles ! Et les Juifs écriront donc le second livre de l’Exode.

Eblouissant kaléidoscope d’une Rome qui aurait pu être, Roma Aeterna se dévore avec un délice constant et croissant. Le livre rendra fou les amoureux de Silverberg, les uchronistes, les passionnés d’histoire romaine ou d’histoire tout court, et ceux d’Imaginaire merveilleux. Cela fera beaucoup de monde aux portillons du Colisée.

Robert Silverberg, Roma Aeterna, Robert Laffont collection « Ailleurs Demain », traduction Jean-Marc Chambon, 398 p.

Initialement paru dans Phenix Mag n°0

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