Rivière des disparues (La)

Auteur / Scénariste: 
Traducteur: 

Kensington, Philadelphie. Dans ce quartier gangréné par la drogue se croisent deux soeurs autrefois inséparables. Aujourd’hui, tout les oppose. Mickey, l’aînée, la protectrice, a rejoint la police. Kacey a sombré dans la drogue et se prostitue pour acheter des opioïdes.

Quand Kacey disparaît à nouveau, alors qu’une série de meurtres fait rage dans le quartier, Mickey n’a plus qu’une obsession : retrouver le coupable, et sa soeur, avant qu’il ne soit trop tard.

 

Ce roman se présente comme un polar, mais il est bien plus que ça : récit familial, portrait clinique d'une société en souffrance, dénonciation de dérives policières, fresque sociale, réflexion sur la maternité... Une quantité de thèmes sont traités au fil des pages, parfois juste en quelques phrases, parfois récurrents dans tout le livre. L'autrice ne s'éparpille pas pour autant, car tous les thèmes traités sont savamment entortillés autour d'une intrigue implacable et servent à se diriger vers le final doux-amer.

Les quartiers défavorisés de Philadelphie sont décrits avec un réalisme poignant, sans fards mais sans pathos. Pour une fois, on ne nous donne pas à voir seulement les ghettos de minorités ethniques, mais ceux où les blancs sont majoritaires. La misère sociale et affective y est la même, les drames familiaux pullulent tout autant et la drogue y règne en maîtresse incontestée. À deux rues de distance cohabitent l'extrême misère et les classes moyennes à la vie douce.

Liz Moore s'attache à démontrer, par une écriture à la fois tendre et précise, à quel point héroïne et opiacés - un temps légaux -  détruisent à petit feu des pans entiers de la société américaine. Son histoire pourrait être transposée dans n'importe quelle ville des USA (j'ai pensé à l'Atlanta des romans de Karin Slaughter en lisant La rivière des disparues). Des destins sont frappés de plein fouet, des potentiels sont gâchés, des vies sont perdues, des familles sont touchées, souvent sur plusieurs générations (les passages concernant les bébés nés dépendants sont glaçants). On sent l'inéluctabilité dans ces endroits dont il difficile de s'échapper, retenus par le poids des liens familiaux et du regard des autres.

Mais l'autrice ne s'arrête pas là. À l'aide de l'enquête policière, elle met également l'accent sur les obstacles mis sur la route de celles qui pourraient vouloir s'en sortir. Ces flics qui exigent des faveurs sexuelles des jeunes junkies et les poussent vers le trottoir, ces clients qui profitent de leur fragilité. Même les associations d'aide peuvent cacher en leur sein d'ignobles personnages.

Mickey, la narratrice, tente sur le tard de briser le cercle vicieux. Mais cela implique de laisser sa soeur derrière elle et d'abandonner ses dernières illusions d'enfant. Cela implique surtout d'accepter enfin que les femmes sont entourées de prédateurs masculins prêts à profiter du plus petit signe de vulnérabilité et de prendre sa vie en main, sans laisser ces hommes gagner.

Petit à petit, elle se débarrasse de sa "peau" de victime permanente, ses yeux se dessillent et elle affronte la réalité dans toute sa complexité. Une mue qui l'amène sur le chemin d'une éventuelle possibilité de bonheur. Sans militantisme acharné, Liz Moore livre un beau portrait de femme s'éveillant à une forme de féminisme salvateur.

Roman très noir, mais aussi pétri d'humanité et d'espoir, de rage de vaincre et d'avancer, La rivière des disparues est un beau coup de coeur.

La rivière des disparues de Liz Moore, éditions Buchet-Chastel, ISBN 978-2283032367, prix 22 €

Type: