Rien ne se perd, rien ne se crée… par Catherine Bolle

Le 8 mai 1794, place de la Révolution, Paris

La charrette dans laquelle nous sommes entassés s’immobilise brutalement. Jacques, debout à ma gauche, vacille. Les poignets entravés dans le dos, je ne peux l’aider. Il chute en avant contre un autre condamné. Alors que je me penche vers lui, deux mains puissantes agrippent mes épaules. Dans un mouvement qui m’échappe, elles me tirent hors de la charrette.

Tout s’enchaîne très vite. À peine le premier d’entre nous a-t-il gravi l’escalier de l’échafaud que la lame s’abat sur sa nuque. Les huées de la foule s’amplifient tandis qu’on me pousse à la queue d’une file d’attente macabre.

— Bande de voleurs ! hurlent les Parisiens, le poing dressé.

Pauvres imbéciles ! C’est vrai que j’ai collecté les impôts au nom du roi, autrefois. Par contre, jamais je n’ai abusé du système. Mes tripes se tordent un peu plus à chaque pas, mais je ne leur procurerai pas le plaisir de me voir à terre. Je t’ai promis de rester digne, ma douce amie. Mes yeux fouillent soudain au-delà du cortège d’enragés qui nous a suivis jusqu’ici. Es-tu là, derrière eux ? Te revoir une dernière fois me hante depuis mon incarcération.

— Antoine…

C’est la voix de Jacques, dans mon dos. Je me retourne et croise son regard brillant.

— Adieu, mon ami.

Je n’ai pas le temps de lui répondre : un enfant aux allures de soldat, les traits déformés par un rictus de haine et de joie sauvage, me presse d’avancer. C’est mon tour. La voix grave et monocorde de Sanson m’accueille en haut des marches.

— Citoyen Lavoisier, dit-il, le nez sur son calepin.

Sans plus de cérémonie, il raye mon nom. Attaché à la planche par deux hommes rompus à la tâche, je tente de substituer ton visage à la lame dégoulinante qui attend sa prochaine victime. Incapable de retenir un cri au moment de la bascule, je retiens mon souffle. Le tout dernier. Il sera pour toi, ma chère Marie Anne. Pour toi et notre projet inachevé. Mes yeux se ferment pour mieux me souvenir des tiens et des mots qui m’ont guidé tout au long de ma carrière. Ils me traversent dans un sursaut de courage.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme…

 

Six mois plus tôt, au domaine de Freschines

Depuis son entrée dans le salon, Hallé ne tient pas en place. Il fait les cent pas à m’en donner le tournis.

— Je te le répète : les rumeurs vont bon train à Paris. On raconte que les fermiers généraux sont à présent la cible de la Convention.

— Calme-toi, mon ami. Les députés ne s’en prendront pas aux scientifiques.

— Pour ce que la science leur importe ! Je te rappelle qu’ils ont décrété la fermeture de l’Académie des sciences…

— Je le sais, j’y étais, dis-je en reposant mon carnet de notes sur un guéridon. Prends donc un fauteuil.

Installé sur le canapé auprès de toi, je te jette un coup d’œil. Tu suis notre échange avec la discrétion qui te caractérise. Mon plus fidèle collaborateur finit par s’asseoir en soupirant.

— Antoine, il faut fuir. Les États-Unis sont une terre de refuge où il fait bon vivre, à ce qu’on dit.

— Abandonner mes travaux et mes recherches, tu n’y penses pas ! J’ai encore tant à découvrir sur les poids et les mesures. Et aussi…

Ton sursaut m’empêche d’achever ma phrase, mais mon hésitation n’a pas échappé pas à Hallé.

— Et aussi ? demande-t-il.

Je te sonde du regard. Puis-je confier notre secret à Jean-Noël ? Le mystère qui explique que nous n’ayons pas fui à l’étranger. Le projet d’une vie, abandonné trop vite et qui ne demande qu’à renaître, malgré la douleur qu’il risque de raviver. Cela fait des semaines que nous tournons autour du sujet sans oser l’aborder franchement. Peut-être est-ce l’occasion de le faire ? Mes mains tremblent, je guette le moindre signe de ta part pour me lancer.

Sur le point de renoncer, je surprends une lueur au fond de tes pupilles. Celle qui s’allume dans tes yeux durant chaque expérience et me donne la force de poursuivre nos rêves les plus fous. D’une voix claire, sans te détourner de moi, tu réponds :

— Venez, Jean-Noël. Nous allons vous montrez quelque chose… de surprenant.

— Vous m’intriguez, mes amis. Je vous suis.

Je me lève avec une puissante envie de t’enlacer. Ton courage me remplit de fierté.

Derrière une porte dérobée au fond de la pièce, nous nous engageons dans un couloir. J’ouvre le passage, une lampe à huile à la main. Une autre porte s’ouvre à notre droite sur un escalier étroit.

— Je te préviens, Jean-Noël, ça monte !

— Mais où m’emmenez-vous donc ? Au grenier ?

— Vous ne croyez pas si bien dire ! plaisantes-tu, engagée dans mes pas.

Effectivement, la pièce dans laquelle nous arrivons, essoufflés, a été aménagée sous les combles. Au centre d’un vaste établi sont regroupés plusieurs gazomètres ainsi qu’un calorimètre. Des feuilles noircies de notes s’étalent sur le bureau massif dans un angle de la pièce et des bougies sont posées sur le guéridon à côté de la porte.

— Ma parole, c’est un véritable laboratoire !

La surprise de Jean-Noël m’arrache un sourire. Tandis que tu ouvres les rideaux afin de laisser entrer un peu de lumière, je hausse les épaules d’un air faussement modeste.

— Ce n’est pas celui de l’Arsenal, mais il est suffisant pour mes travaux actuels.

J’ajoute à voix basse, davantage pour moi-même :

— Par contre, il nécessitera quelques aménagements si jamais nous reprenons notre fameux projet.

— Vas-tu te décider à m’en dire plus à ce sujet ! s’insurge mon ami.

Cette fois, c’est toi qui t’esclaffes, comme pour masquer le trouble qui trahit tes gestes trop secs à l’instant où tu montres le vieux fauteuil recouvert d’un drap blanc au fond de la pièce.

— Notre grand secret se trouve ici, dis-tu, la voix tremblante d’émotion.

Jean-Noël s’approche lentement en se grattant le menton. Les doigts crispés sur le linge, tu hésites. Depuis combien de temps notre invention patiente-t-elle ici ? Trois ans ? Plus ? J’ai perdu la notion du temps dans le tourbillon des événements révolutionnaires… Un comble pour l’acharné de la précision que je suis. Je t’encourage d’un signe de tête avant de retenir ma respiration. Le drap glisse en douceur sur les lattes de bois, dévoilant le corps à la fois fragile et immortel dans lequel nous avions placé notre espoir avant de devoir suspendre l’expérience, occupés à d’autres charges. Un murmure d’admiration fuse des lèvres de Jean-Noël.

— Ça alors ! C’est un… un…

Incapable de détacher les yeux de l’être inachevé qui nous fait face, je termine sa phrase :

— Oui, il s’agit d’un automate. Et même davantage lorsque nous l’aurons doté d’une conscience humaine.

— Une conscience humaine ? Impossible, il s’agit d’une machine ! Voyons, mes amis, que vous est-il passé par la tête ?

Un sanglot étouffé se coince dans ta gorge. Je me précipite à tes côtés sous le regard ahuri d’Hallé. Les yeux fermés, tu inspires profondément pour reprendre tes esprits. Je te caresse la joue du bout des doigts.

— Ma douce, êtes-vous certaine de vouloir reprendre ce projet ? Nous pouvons encore réfléchir.

— Non ! m’arrêtes-tu d’un geste plein de tendresse. Il faut aller au bout. Pour lui.

Je te serre l’épaule, soulagé de voir de nouveau briller la flamme dans tes yeux. Un toussotement derrière nous me ramène à l’instant présent.

— Assez de mystères, s’agace Jean-Noël. J’attends vos explications !

— Tu as raison, mon ami. Il est temps de réveiller le passé.

Je me détourne à regret de toi et entraîne mon collaborateur devant les étagères à l’autre extrémité de la pièce. Tous mes instruments de précision y sont alignés, des balances que j’ai réussi à sortir du laboratoire de l’Arsenal aux poids que j’ai pu me procurer. Un deuxième voile blanc dissimule notre bien le plus précieux… et le plus douloureux. À l’instant où le bocal caché dessous dévoile son sinistre contenu, un frisson me parcourt de la tête aux pieds. Hallé tressaille et se retient au bureau pour ne pas tomber. J’enchaîne aussitôt :

— C’est le cerveau d’Augustin, notre fils décédé à l’âge de six ans.

Je n’ose me retourner, de peur d’être submergé par ta tristesse. Un silence plombant s’abat sur nous, jusqu’à ce que l’esprit critique de mon collaborateur refasse surface.

— Attends, bafouille-t-il, ne me dis pas que tu as imaginé pouvoir le placer dans la tête de cette chose ?

— D’Augustin, dis-je, les poings serrés. L’automate se nomme Augustin. Et cette idée est la nôtre à tous deux, Marie Anne et moi.

Hallé en reste sans voix.

La tête baissé, je soupire bruyamment. C’est terminé, nous voici seuls, toi et moi, pour poursuivre nos expériences. Je viens de perdre plus qu’un collaborateur. Un ami. Je commence à me détourner pour le raccompagner vers la sortie lorsqu’il m’interpelle :

— Et comment comptiez-vous procéder ?

Ce ton intéressé… Impatient de plonger dans de grandes découvertes…

Un sourire s’étire à la commissure de mes lèvres. En trois pas, je reviens vers le bureau. La première feuille fera l’affaire. Les croquis appuient mes explications sous les yeux ébahis de Jean-Noël qui se tait, me laissant mener à bien ma démonstration.

La question est simple : comment transférer un cerveau à l’intérieur d’un corps entièrement artificiel ? L’enjeu, de taille, impose la réussite dès le coup d’essai. C’est l’une des raisons qui explique que l’organe patiente depuis plusieurs années dans un conservateur que j’ai mis au point.

Ta présence au-dessus de mon épaule me réconforte : nous allons donner un nouveau souffle à notre entreprise. Ramener à la vie notre cher enfant parti beaucoup trop tôt. À la fin de mon explication, en sueur et les mains moites, je me redresse. Jean-Noël, toujours penché sur mes notes, finit par relever le menton à son tour. Ses yeux nous balayent, toi et moi, à la fois émerveillés et effrayés.

— Cette expérience est pure folie, déclare-t-il au bout d’une éternité. Mais je regretterais le restant de mes jours de ne pas y avoir participé !

Mon ami me tombe dans les bras. Je l’étreins avec la chaleur d’un frère.

 

Les journées qui suivent défilent à une vitesse insolente. L’automne fait preuve d’une fraîcheur précoce et pourtant, dans les combles où nous passons nos journées et une partie de nos nuits, l’effervescence qui règne nous pousse souvent à éponger nos fronts en sueur. Jamais réflexion n’a été menée de façon si intense. Toutes nos recherches effectuées jusqu’ici trouvent un sens pratique. L’un de mes fantasmes les plus profonds prend soudain une place centrale : pourrait-on se passer de respirer ?

Parfois, nous nous accordons une pause. Je te surprends alors à évoquer le souvenir de notre fils à travers des anecdotes qui avaient fini par rejoindre un espace interdit dans nos mémoires tant la détresse qui leur était associée nous terrassait. Augustin est là, avec nous. Sa présence nous encourage à poursuivre, quoi qu’il arrive.

Chaque étape vérifiée et certifiée nous arrache des moments d’intense satisfaction. Malgré tout, le doute ne me lâche pas. Et si le cerveau était trop endommagé par ces années d’inaction ?

 

Enfin, arrive le jour fatidique. Il est temps, l’hiver menace d’être virulent. Nous ne sommes que fin novembre et déjà, le givre s’étend sur les carreaux des fenêtres. Nos gestes répétés des dizaines de fois sont au point. Ne nous manque plus que le courage nécessaire pour franchir le pas. Devant nos traits tirés par toutes les nuits blanches, je décide de nous octroyer deux jours de repos.

C’est sans doute la plus grosse erreur de ma vie.

Au matin du jour tant attendu, alors que la concentration nous pousse à déjeuner dans un silence religieux, mon beau-père déboule dans le salon sans crier gare. Dégoulinant de pluie et épuisé par la route, Jacques Paulze se laisse choir sur un fauteuil en soufflant.

— Père, que vous arrive-t-il ? demandes-tu.

— Les gardes nationaux procèdent à l’arrestation de tous les fermiers généraux, répond-il d’une voix rauque. Nous sommes faits comme des rats !

Jean-Noël et moi échangeons un rapide coup d’œil. Je n’y lis aucun reproche. Mais un immense désespoir. Non ! Je ne laisserai pas ces ignares m’abattre ! Pas si près du but. Je redresse le buste, déterminé à en finir avec ce malentendu le plus vite possible.

— Ils veulent nous interroger ? Très bien, allons-y !

— Antoine, non ! bondis-tu, les larmes aux yeux. Pas aujourd’hui…

Je m’approche de toi et glisse une main dans tes cheveux retenus par un simple ruban.

— Ce ne sera qu’un contretemps à notre affaire. Dans quelques heures, je serai de retour et nous réveillerons notre fils de son long sommeil.

Puis j’enchaîne, face à mon beau-père et à mon cher collaborateur :

— Allons-y, Monsieur. Jean-Noël, je te confie ma tendre épouse et nos travaux. Veille sur eux précieusement.

— Tu as ma parole, répond-il en se forçant à me regarder malgré la douleur au fond de ses yeux.

Les au-revoir sont rapides et empreints de maladresse. Juste avant de refermer la porte de la diligence, je t’embrasse une dernière fois. Pendue à mon cou, tu susurres à mon oreille :

— Restez digne quoi qu’il arrive, mon ami. Nous finirons ensemble ce que nous avons commencé.

Comment savoir, à cet instant, que nous sommes en train de nous dire adieu ?

 

Quarante-huit heures après mon exécution, le 10 mai 1794

La sensation étrange de n’être ni vivant ni mort m’étreint dès que j’ouvre les yeux. Une foule d’informations m’assaille en même temps : j’ai été guillotiné, ma tête est tombée dans le seau, et pourtant je me réveille dans une pièce qui me rappelle un endroit familier. La lumière orangée du coucher de soleil donne aux étagères à ma gauche une allure mystérieuse en se reflétant sur les fioles qui l’encombrent, mais je reconnais sans peine mes instruments de mesure. Ils n’ont pas été rangés correctement, d’ailleurs. Il règne ici un sacré bazar, à croire que de grandes expériences ont eu lieu récemment. Une chose est cependant certaine, aussi curieuse soit-elle.

Je suis de retour à la maison. Dans notre laboratoire.

Je tourne le cou, avec la sensation désagréable d’enclencher un mécanisme mal huilé. Tes boucles brunes s’étalent sur mon bras nu, tu t’es endormie à mon chevet. Ou plutôt sur une chaise à côté de la table en bois sur laquelle je repose. J’hésite à te réveiller, j’ai toujours adoré te regarder dormir. Mais cette fois, quelque chose cloche. Tes cheveux ne chatouillent pas ma peau. Ton parfum à la fleur d’oranger ne parvient pas à mes narines. Que se passe-t-il ?

Je lève une main à hauteur de mes yeux et étouffe un cri. C’est celle d’un enfant !

L’abominable vérité s’impose à mon esprit. C’est moi qui ai intégré l’automate. Mon cerveau a pris la place réservée à celui d’Augustin. L’opération a échoué ! Notre fils est définitivement mort… Une vague de tristesse m’envahit, mais aucun signe physique ne l’accompagne. Ma gorge ne se serre pas comme elle le devrait. Aucune larme ne coule sur mes joues. Quel monstre suis-je devenu ?

D’un mouvement maladroit, je tente de me redresser. Cela te réveille. Les traits tirés et les cernes sous tes yeux témoignent des semaines de souffrances que tu as dû endurer.

— Antoine ? demandes-tu, la voix aussitôt entrecoupée de sanglots.

Tu plaques une main sur ta bouche avant d’ajouter :

— Nous avons réussi !

— Mon amie, qu’avez-vous fait ?

Ton silence face à ma question stupide me percute de plein fouet. Comment te reprocher tes actes ? Ce sont aussi les miens… Dépassant une profonde répulsion, je tends ma main d’enfant vers ta joue. Tes doigts se mêlent aux miens sans que je ne ressente leur chaleur. Malgré tout, je m’efforce de garder mon calme lorsque je te questionne, d’une voix que je ne reconnais pas :

— Que s’est-il passé ?

Les mots tardent à sortir de ta gorge. Submergée par l’émotion, tu trembles de tous tes membres en m’assénant l’horreur de la situation.

— Le cerveau d’Augustin était trop endommagé. Il s’est désagrégé à l’instant où on l’a sorti du liquide. Alors nous avons tenté le tout pour le tout… avec le vôtre.

— Mais comment ? J’ai été guillotiné à Paris et nous sommes ici…

— Grâce au calorimètre, m’expliques-tu en donnant un coup de menton en direction de l’instrument posé sur l’établi. Nous avons grassement payé l’un des hommes de main de Sanson pour qu’il nous remette votre… tête, après l’exécution. Jean-Noël était présent, prêt à la placer dans l’appareil pour la conserver à une température idéale jusqu’à l’opération qui s’est déroulée ici.

Tu ajoutes après une courte pause, les yeux baissés :

— Moi, je n’étais pas à Paris. C’était au-dessus de mes forces.

— Ma douce amie…

Malgré ma violente envie de te réconforter, je retire ma main. Te caresser la joue avec ces doigts artificiels est au-dessus de mes forces. Quel couple improbable allons-nous former à l’avenir ? Non, nous ne serons plus un couple. Je suis désormais un petit garçon, un bambin de six ans avec le cerveau d’un cinquantenaire. Un monstre ! Droite, sur ta chaise, tu sembles toi aussi perdue dans tes pensées. L’arrivée de Jean-Noël nous tire de cet embarras d’un genre inédit et que je n’aurais jamais pensé vivre en ta compagnie.

Son émotion masque difficilement la lueur d’excitation au fond de ses pupilles.

— Antoine ! Quel bonheur de te revoir parmi nous !

Il me tend la main, je m’en empare sans conviction.

— Ne t’inquiète pas, mon ami, poursuit-il, tout à sa joie de me retrouver ou plutôt de réaliser que notre expérience a atteint son but. Tu te feras à ton nouveau corps.

Je ne peux retenir un ricanement qui prend une détestable allure de gazouillis.

— Désolé de ne pas partager ton enthousiasme. Ce corps devait accueillir le cerveau de mon fils, pas le mien !

— Tu regrettes notre geste fou ?

Bonne question. Je plisse les yeux, envahi par le doute. C’est vrai, j’aurais très bien pu ne jamais connaître le fin mot de l’histoire et pourrir entièrement dans une fosse commune. Au lieu de quoi… Ma foi ! Peut-être m’habituerai-je à ce drôle de corps. Et si ce n’est pas le cas… Une idée folle jaillit tout à coup.

— Antoine ? me demandes-tu. À quoi pensez-vous ?

— À quelque chose d’impensable.

— Aussi impensable que transférer un cerveau humain dans un automate ? me questionne Hallé, le regard brillant d’excitation.

— Davantage, mon cher collaborateur.

Je me redresse sur un coude puis m’assois sur le bord de la table. Mes pieds pendent dans le vide, jamais je ne pourrai descendre sans aide ! Ce lamentable constat renforce ma détermination.

— Il s’agit d’un autre projet. Tout aussi irréalisable que celui-ci.

— Ne nous faites pas languir davantage ! t’exclames-tu, les mains serrées sur la poitrine.

Devant tes yeux animés de leur flamme habituelle et que j’adore, je me lance, un léger tremblement dans la voix.

— Après avoir placé un cerveau humain dans un automate, nous pourrions à présent envisager de placer celui d’un automate dans… un corps humain.

— J’en suis ! hurle Jean-Noël en bondissant sur place.

De ton côté, tu restes muette, mais tes traits bouleversés montrent à quel point cette future entreprise va te tenir à cœur. Tu confirmes mes pensées en reprenant tout bas la maxime qui m’est si chère :

— Rien ne se perd, rien ne se crée…

Nous achevons tous trois ensemble :

— Tout se transforme ! 

 

Ou en PDF ici http://www.phenixweb.info/sites/default/files/rien-ne-se-perd-rien-ne-se...

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